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Chapitre 4 : Production des savoirs, aspirations et projets de la Nation huronne-

4.3 Le projet comme grille d’intelligibilité

4.3.2 Le projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat

D’abord, il faut préciser qu’au Canada, les Premières Nations sont souvent en processus d’adaptation face aux instances gouvernementales avec lesquelles elles doivent, en plus, la plupart du temps forcer le dialogue. Comme c’est souvent le cas pour la Nation huronne-wendat, avec notamment les demandes d’harmonisation forestière, ils doivent s’adapter à des exigences gouvernementales et pour cette raison ne suivent pas un chemin qu’ils ont choisi. Le projet découle d’une logique différente. Le projet se différencie de l’adaptation puisqu’il donne la possibilité d’anticiper des situations, ce qui permet d’échapper à des situations coercitives envisagées (Boutinet 1990). Ainsi, en prenant les devants et en amorçant leur propre projet, les Hurons-Wendat sont définitivement projetés vers l’avenir et cherchent à prendre en main leur futur.

J’aborderai ici le projet à deux niveaux différents. Soit, concrètement, le projet d’aire protégée et les actions effectuées dans l’optique de mettre en place une aire de protection de patrimoine huron-wendat créée et gérée par la Nation. Puis, en trame de fond, j’utiliserai ce premier projet pour essayer d’en comprendre un plus grand, dans lequel il s’insère, soit le projet d’affirmation et d’occupation territoriale mené par le Bureau du Nionwentsïo.

Le besoin d’actions concrètes pour affirmer et pouvoir occuper leur territoire est en fait une réaction au long processus d’éviction des Hurons-wendat de leur territoire traditionnel (Théberge 2012b : 67). Le paroxysme de cette situation est arrivé vers la fin des années 1980, juste avant la cause Sioui :

C’est une époque où si tu voulais pratiquer tes droits de chasse, de pêche et de trappe, bonne chance. Parce que tout le territoire est complètement attribué en ZEC, en réserves fauniques, en parcs, en pourvoiries, tout a été attribué. Puis le territoire libre, bien c’est au fond d’un champ de blé d’Inde dans Portneuf. Il n’y a plus de place pour aller pratiquer les activités. Donc c’est une période très difficile pour les Hurons pour aller à la chasse et à la pêche librement (Entrevue 05A 2015).

Une telle situation a donc poussé les Hurons-Wendat à prendre des actions concrètes pour s’assurer des droits sur le Nionwentsïo. Une fois le jugement Sioui prononcé, des actions ont été prises par le Conseil de la Nation.

Dans l’historique des relations de la Nation au territoire, on peut constater d’autres exemples de formes d’occupations territoriales plus « institutionnalisées », c’est-à-dire prises en charge expressément par le Conseil de la Nation ou par un organe administratif qui en découle. À titre d’exemple, prenons la gestion du secteur Tourilli dans la Réserve faunique des Laurentides qui a été déléguée au Conseil de la Nation. La prise en charge de ce territoire constituait aussi une action posée dans une optique d’occupation territoriale. Comme l’explique un de mes interlocuteurs à ce sujet : « Ce qu’on cherchait à l’époque, puis je ne veux pas mettre des mots dans la bouche de personne, mais ce qu’on cherchait à l’époque c’était un endroit pour que les Hurons aient une petite place au soleil pour aller à la chasse et à la pêche, pour avoir la paix » (Entrevue 12C 2015). Cette recherche d’un endroit dans lequel ils pourront avoir « une petite place au soleil » fait partie d’une aspiration qu’ont la plupart des nations autochtones, soit de pouvoir vivre sur un territoire

en fonction de leurs propres intérêts et désirs. C’est vers cet idéal que s’orientent les actions du Bureau du Nionwentsïo dans les différents projets qu’ils mettent sur pied.

Dans le cas qui nous occupe ici, soit celui de l’aire protégée, le même constat s’impose. Par le biais de ce projet particulier, on peut trouver le désir de créer une aire protégée huronne-wendat, ou, « à saveur autochtone » (Picard 2015 : 3). En affirmant vouloir bâtir ce nouveau type d’aire protégée, les Hurons-Wendat saisissent leur propre futur et sortent du futur institutionnel imposé par l’État en signifiant clairement leur intérêt de ne pas se contenter des zones tampons proposées par les plans d’harmonisation forestière. Aussi, en spécifiant le désir d’avoir une aire protégée huronne-wendat, ils proposent leurs propres conditions quant aux paramètres de l’aire protégée et ne se limitent pas qu’aux critères donnés par le gouvernement québécois, même si d’importants efforts sont faits pour s’agencer le mieux possible avec ces critères.

Créer une aire protégée constitue d’ailleurs une garantie à long terme de la protection du territoire. L’image historiquement construite de l’aire protégée ou du parc comme un modèle de conservation intégrale de la nature « sauvage » (Oelschlaeger 1991) donne une orientation au projet, lui donnant ainsi un but concret à atteindre qui permettra de venir faire s’agencer la création d’une aire protégée avec l’espoir d’une occupation par les générations futures du territoire traditionnel huron-wendat:

L’aire protégée, c’est la garantie, c’est une image. Tu sais un parc, on le sait, un parc c’est un endroit qui est noble, c’est un endroit…tu ne touches pas à ça. Il y a un autre contexte, il me semble que l’air n’est pas pareil dans un parc qu’ailleurs. Tu sais que, christie tu es dans un parc, ça sent le pur, c’est là pour toujours, ça ne changera pas, c’est quelque chose, tu as un sentiment, t’es bien, tu dis : C’est comme ça, puis c’est juste comme ça, ça ne changera pas. Tu as cette garantie-là que ça va être protégé […] C’est pour ça que de s’harmoniser c’est une chose, mais il me semble que tu n’as pas le sentiment de sécurité à long terme. Tu n’as pas le sentiment de dossier réglé, d’un dossier final et réglé. On s’est harmonisé une fois, on risque de s’harmoniser une deuxième fois, une troisième fois (Entrevue 08B 2015).

C’est donc dans cette optique que s’est construit le projet de l’aire protégée, celle de la réalisation des aspirations territoriales de la Nation huronne-wendat, que le Bureau du Nionwentsïo est responsable d’appuyer techniquement.