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Initiative huronne-wendat de création d'une aire protégée : mobilisation des savoirs et affirmation territoriale

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Initiative huronne-wendat de création d’une aire

protégée

Mobilisation des savoirs et affirmation territoriale

Mémoire

François-Xavier Cyr

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire traite du projet de création de l’aire protégée Ya’nienhonhndeh de la Nation huronne-wendat. À travers l’exploration de la production, de la circulation et de l’utilisation des savoirs relatifs à ce projet, nous cherchons à éclairer les dynamiques constitutives des relations entre la Nation huronne-wendat et l’État québécois dans le cadre de la gestion du territoire traditionnel huron-wendat, le Nionwentsïo. Ce mémoire vise d’abord à mettre en lumière les aspirations de la Nation huronne-wendat concernant l’avenir de son territoire ancestral ainsi qu’à documenter les types de savoirs produits pour les faire valoir. Ensuite, à partir de la cartographie du cheminement de ces savoirs, sont exposés les obstacles structurels qui entravent la réalisation de ces aspirations lorsqu’elles doivent passer par la bureaucratie québécoise. Puis, en s’appuyant sur quelques-unes des diverses utilisations qui furent faites de ces savoirs, la réflexion est élargie pour porter sur les rapports de pouvoir établis entre la Nation huronne-wendat et l’État québécois dans le cadre de questions territoriales.

Mots clés : aire protégée, Hurons-Wendat, projet autochtone, aspirations autochtones,

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Abstract

This study analyzes the Ya’nienhonhndeh protected area project of the Huron-Wendat First Nation. Through the exploration of the production, the circulation and the application of the knowledges associated with this project, I seek to shed light on the constituting dynamics of the relations between the Huron-Wendat and the Quebec state regarding the former’s traditional territory, the Nionwentsïo. This study first aims to expose the Huron-Wendat’s aspirations regarding the future of their traditional territory while documenting the knowledges produced to assert these aspirations. Then, from a cartography built on the circulation of these knowledges, I elucidate the bureaucratic and institutional obstacles blocking the realization of the Huron-Wendat’s aspirations. Finally, based on the observation of the applications made of these knowledges, I broaden my reflection on the power relations existing between the Huron-Wendat First Nation and the Quebec state regarding the Nionwentsïo.

Key words : protected area, Huron-Wendat, project, aspirations, First nations,

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Problématique ... 3

Chapitre 1 : Cadre théorique ... 3

1.1 Les savoirs autochtones sur l’environnement et l’approche trichotomique des savoirs ... 4 1.2 Production ... 6 1.3 Circulation ... 8 1.3.1 Circulation autochtone ... 9 1.3.2 Circulation scientifique ... 10 1.4 Utilisation ... 11

Chapitre 2 : Mise en contexte ... 15

2.1 Conservation de la nature et aires protégées ... 15

2.1.1 Les Catégories de l’UICN ... 16

2.1.2 Indigenous and Community’s Conserved Areas (ICCA) ... 20

2.1.3 Les aires protégées dans la région de la Capitale nationale ... 32

2.2 Les Hurons-Wendat et le territoire ... 33

2.2.1 Aperçu historique des relations de la Nation huronne-wendat au Nionwentsïo ... 34

2.2.2 Le bureau du Nionwentsïo ... 36

Chapitre 3 : Question de recherche et méthodologie ... 38

3.1 Question de recherche ... 38

3.2 Méthodologie ... 38

3.2.1 Stratégie de recherche ... 40

3.2.2 Techniques de collecte de données ... 42

3.2.3 Analyse... 48

3.2.4 Contraintes et défis de la recherche ... 51

3.3 Éthique ... 53

Analyse ... 55

Chapitre 4 : Production des savoirs, aspirations et projets de la Nation huronne-wendat ... 57

4.1 Production des savoirs ... 57

4.2 Production de savoirs dans le cadre du projet d’aire protégée ... 59

4.2.1 Savoirs ethnohistoriques et patrimoniaux ... 59

4.2.2 Savoirs à caractères biologiques et écologiques ... 61

4.3 Le projet comme grille d’intelligibilité ... 64

4.3.1 Le projet : définition large ... 65

4.3.2 Le projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat ... 66

4.3.3 Diversité des aspirations ... 69

4.3.4 Un projet qui ne se construit pas en vase clos : intégration des autres acteurs ... 72

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Chapitre 5 : Circulation des savoirs et contraintes institutionnelles et

bureaucratiques de l’État québécois ... 78

5.1 Circulation des savoirs ... 78

5.1.1 Circulation interne des savoirs ... 83

5.1.2 Financement ... 84 5.2 Les institutions ... 88 5.3 Bureaucratie ... 91 5.3.1 Bureaucratie et catégorisations ... 94 5.3.2 La production de l’indifférence... 99 5.4 Discussion ... 101

Chapitre 6 : Projet d’aire protégée et structure des rapports de pouvoir ... 104

6.1 Aires protégées et rapports de pouvoir ... 104

6.2 Construction des rapports de pouvoir : le rôle de l’État québécois ... 107

6.3 Le rôle actif de la Nation huronne-wendat dans les rapports de pouvoir ... 115

6.4 Discussion ... 119

Conclusion ... 123

Discussion sur les résultats ... 124

Apports de la recherche ... 127

Apports de la recherche en lien avec la littérature explorée ... 127

Recommandations ... 129

Suggestion de recherche pour l’avenir ... 130

Considérations finales ... 131

Bibliographie ... 133

Annexes ... 145

Annexe 1 ... 145

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Liste des abréviations

ICCA Indigenous and community conserved area

MCC Ministère de la culture et de la

communication

MDDELCC Ministère du développement durable, de

l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques

MRN Ministère des ressources naturelles

PAFIT Plan d’aménagement forestier intégré

tactique

SAA Secrétariat aux affaires autochtones

TEK Traditional ecological knowledge(s)

UICN Union internationale pour la conservation de

la nature

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Remerciements

D’abord, je tiens à sincèrement remercier tous les employés du Bureau du Nionwentsïo qui ont généreusement accepté de participer à ma recherche. Sans votre aide, rien de tout ça n’aurait été possible. Je vous souhaite le meilleur des succès dans tous les projets que vous entreprendrez et j’espère que ma modeste contribution pourra vous être d’une quelconque aide.

J’aimerais aussi remercier celles et ceux qui ont accepté de répondre à mes questions, que ce soit dans le cadre d’entrevues formelles, de conversations téléphoniques ou d’échange de courriels. Sachez que je suis reconnaissant pour le temps que vous avez pris pour répondre à mes questions et pour m’aider dans ma recherche.

Je tiens aussi à remercier tous mes collègues du CIÉRA et du département d’anthropologie de l’université Laval avec qui j’ai pu échanger et réfléchir sur ma recherche. J’espère que nos conversations furent aussi constructives pour vous qu’elles l’ont été pour moi.

Je remercie aussi sincèrement ma famille qui est toujours là pour m’appuyer dans mes bons comme mes mauvais moments (surtout les mauvais) et tout spécialement mon grand-père, Philippe, qui m’appuie de toutes les façons possibles dans tous les domaines de ma vie, mais tout spécialement dans ma vie académique. Sans lui, ma bibliothèque, et conséquemment ma bibliographie, seraient très certainement bien moins fournies.

Enfin, je remercie mon codirecteur, Francis Lévesque, ainsi que mon directeur, Martin Hébert, dont les conseils et les encouragements m’ont permis de passer au travers de ma maîtrise et de m’en sortir en un seul morceau, ou presque.

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Introduction

Le territoire et la lutte qui est menée au quotidien pour sa sauvegarde constituent un aspect central de l’identité autochtone (Alfred 2008 : 10). La conservation de la nature, dont les populations autochtones se sont longtemps vues exclues (Cruikshank 2005 : 214, Dowie 2009), est aujourd’hui devenue un nouvel outil de ce combat. Elle s’est avérée être une avenue intéressante d’affirmation territoriale pour les Autochtones qui, partout autour du monde, luttent pour la conservation ou la réappropriation de leurs territoires ancestraux. Sous plusieurs aspects, la conservation de la nature et les enjeux entourant les territoires ancestraux autochtones s’entrecoupent, parfois en s’opposant l’un à l’autre, et parfois en s’alliant pour atteindre des objectifs communs.

Dans la présente recherche, j’explore le mouvement d’appropriation autochtone de la conservation en m’intéressant à un exemple en particulier, soit le projet de création de l’aire protégée Ya’nienhonhndeh proposé par la nation huronne-wendat. Je m’intéresse ici particulièrement aux savoirs mobilisés pour mettre en oeuvre un tel projet. Les savoirs sont complexes et, puisqu’ils sont en constante circulation, ne peuvent être considérés comme des produits isolés de l’influence des réseaux dans lesquels ils circulent (Goldman, Nadasdy & Turner 2011: 16). De par son imbrication dans les réseaux sociaux, le savoir est abordé dans la présente recherche comme un important vecteur des rapports de pouvoir, nous aidant à mieux cerner la manière dont un projet de conservation est pensé, négocié et éventuellement concrétisé dans un ordre politique donné.

L’orientation que j’ai prise en choisissant de me concentrer sur l’étude des savoirs m’a permis de développer une approche rendant possible d’exposer à la fois les particularités d’une aire protégée autochtone et de mettre en lumière la circulation et l’utilisation qui ont été faites de ces savoirs au sein des instances bureaucratiques régissant la création des aires protégées au Québec. Ces deux dimensions convergent dans une discussion plus large des processus d’affirmation territoriale hurons-wendat et des rapports de pouvoir en jeu lorsque cette affirmation prend la forme d’une implication accrue dans la conservation de la nature.

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Dans les pages qui suivent, après avoir exposé le cadre théorique utilisé pour étudier le projet d’aire protégée, le contexte dans lequel il s’insère et la méthodologie de la recherche, je construis mon analyse en trois chapitres distincts. D’abord, en me basant sur les savoirs produits dans le cadre du projet d’aire protégée huron-wendat, je cherche à comprendre comment ce projet s’intègre dans un processus plus large d’affirmation territoriale et comment celui-ci s’articule au travers des diverses activités du Bureau du Nionwentsïo, qui est l’organe institutionnel huron-wendat directement lié à la gestion territoriale, duquel émane le projet d’aire protégée examiné ici. Puis, en mettant en relief le cheminement des savoirs produits sur l’aire protégée dans l’appareil bureaucratique québécois, je mets en exergue les contraintes bureaucratiques et institutionnelles qui viennent mettre un frein au projet d’aire protégée huron-wendat et conséquemment, à la réalisation de leurs aspirations concernant le territoire. Enfin, à partir de l’utilisation faite des savoirs produits dans le cadre du projet d’aire protégée que j’ai pu mettre à jour, je discute des rapports de pouvoirs établis entre l’État québécois et la Nation huronne-wendat dans le cadre de questions territoriales.

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Problématique

Chapitre 1 : Cadre théorique

La production de savoirs est conceptualisée selon deux grandes perspectives : « On the one hand, facts are understood to be found or discovered only after much labour in laboratory, field, archive or museum. An alternative view focuses on the social networks and practical instruments by which – and with equally hard work – facts are constructed » (Morgan 2011 : 13). En m’intéressant aux perspectives anthropologiques sur les savoirs, je postulerai le caractère construit de ces derniers et m’insèrerai donc dans la seconde approche relevée par Morgan dans la citation ci-dessus. Je tiens pour acquis que les savoirs sont le produit d’une multitude de facteurs sociaux et non le résultat d’investigations objectives considérant les découvertes comme indépendantes de tout intérêt social (Brown 2001 : 3). Dans cette perspective, les savoirs ne représentent pas la vérité et ne sont ainsi pas opposés à des non-savoirs. Pour l’anthropologue : « tout lui est savoir, pour peu que ce savoir s’inscrive dans la vie humaine » (Adell 2011 : 30). Ne souhaitant pas aller dans une perspective aussi large que la définition des savoirs que proposent Adell, ou Barth (2002), lorsqu’il les aborde comme : « all the ways of understanding that we use to make up our experienced, grasped reality » (Barth 2002 : 1), je me concentrerai sur les savoirs produits délibérément en lien avec le projet d’aire protégée que j’étudie.

Les savoirs sont structurés et ont des effets structurants. Ils sont à la fois le produit de l’environnement naturel, social et symbolique qui les met en œuvre et les producteurs d’effets organisateurs sur les individus et les institutions qui les portent (Adell 2011 : 13). Ainsi, comme l’explique Christian Jacob, « Les savoirs deviennent ici objets et enjeux de pragmatiques qui les valident et les instrumentalisent, les diffusent et les transmettent » (Jacob 2007 dans Adell 2011 : 105). Je me suis intéressé aux pragmatiques de ces savoirs en ce sens que j’ai cherché à comprendre dans quels contextes ils agissent et par qui ils sont mobilisés (Adell 2011 : 14). Les savoirs que j’ai cherché à explorer, sont essentiellement des produits construits dans le cadre du projet de l’aire protégée (donc structurés) qui ont des impacts à différentes échelles sur le territoire de la nation huronne-wendat (donc structurants). J’ai tenté de cerner les pragmatiques de ces savoirs pour pouvoir les identifier puisque « l’on ne les saisit jamais inertes […]; au contraire ils ne s’offrent à nous qu’en

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action, en performance, dans le cadre d’un partage ou d’une réalisation » (Adell 2011 : 256).

1.1 Les savoirs autochtones sur l’environnement et l’approche trichotomique des savoirs

De nombreuses études ont été faites sur les savoirs autochtones relatifs à l’environnement, notamment sur la façon dont ces derniers sont intégrés aux savoirs scientifiques lors de processus de conservation ou d’autres formes de gestion de la nature (voir par exemple Berkes, Colding, & Folke 2000, Cruikshank 1981, Duerden & Kuhn 1996, King 2004). Cependant, peu de travaux portent sur le cheminement concret de ces savoirs au sein des institutions et de la structure sociale. Je m’intéresse ici à ce cheminement en m’attardant à la manière dont ces savoirs sont produits, à la manière dont ils circulent à l’échelle ethnographique et à la manière dont ils sont concrètement utilisés1.

Il faut aussi préciser que ces trois parties d’un même processus seront divisées de façon arbitraire pour faciliter l’opérationnalisation de ces concepts. Comme l’expliquent Goldman et al. : « The production of environmental scientific knowledge is shaped by management [utilisation] goals and directives as well as widely circulated ideas about society and environment » (Goldman et al. 2011 : 3).

Les travaux ethnographiques de Bruno Latour, qui s’intéressent aux pratiques créatrices de savoir, ainsi qu’à leur circulation à l’échelle microsociale, constituent une influence importante dans la présente recherche. Plus particulièrement, je m’intéresse à ce que cet auteur a nommé la « circulation de la référence » (Latour 1999, Latour et Woolgar 1979). Tentant de documenter empiriquement les processus concrets par lesquels des « faits » entrent dans le jeu social, cet auteur a exploré des pistes qui me semblent ici très pertinentes pour comprendre la manière dont circule la référence à partir du moment où elle est construite selon des outils et des procédures données, jusqu’au moment où elle est reprise dans divers réseaux sociaux d’une manière culturellement, socialement et politiquement située. Dans la mesure où les savoirs autochtones doivent souvent être formatés selon les modalités de la science occidentale ou de la bureaucratie pour être admis

1Cette observation en trois étapes d’un processus a d’abord été opérationnalisée en anthropologie

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comme pertinents dans des processus de gestion du territoire (transformés en écrits, cartographiés, compilés dans des bases de données) et dans la mesure où les Autochtones eux-mêmes ont de plus en plus recours au savoir expert pour faire valoir leurs droits, il m’a semblé ici pertinent d’analyser ces pratiques dans des termes généralement utilisés par Latour pour parler de la production, de la circulation et de l’utilisation des « faits » scientifiques. En ceci, ma recherche répond à l’appel récent de Goldman, Nadasdy et Turner (2011) de combiner les « science studies » avec l’écologie politique2.

L’idée que les savoirs scientifiques sont situés socialement et historiquement a été systématisée au début des années 1960 par l’historien Thomas Kuhn (Kuhn 1962). Au lieu de parler de Science, Kuhn parle de « science normale » qu’il décrit comme : « une tentative opiniâtre et menée avec dévouement pour forcer la nature à se ranger dans les boîtes conceptuelles fournies par la formation professionnelle » (Kuhn 1962 : 22). Il positionne ainsi la science comme tributaire d’actions et d’institutions sociales.

Les premiers écrits que j’ai pu trouver qui tentent explicitement de comprendre la « vie sociale » des savoirs dans des termes empruntés à l’économie politique, surtout en termes de production et de circulation, sont ceux du sociologue colombien Orlando Fals Borda (1979). Fals Borda tente de comprendre comment chemine le savoir populaire dans un contexte de luttes politiques. L’auteur s’attarde en particulier à la transformation des savoirs locaux par les scientifiques ou plutôt par les élites intellectuelles (Fals Borda 1979). Cet auteur prend pour assise que le sens commun ou le savoir local est nécessaire à la construction d’une base conceptuelle pour n’importe quelle action sociale (Fals Borda 1979 : 37). Par contre, comme il semble être le cas pour les savoirs autochtones lorsqu’ils ne cadrent pas avec les formes d’expression admises dans les institutions dominantes, Fals Borda considère que pour avoir une portée dans les luttes politiques contemporaines, ces savoirs doivent faire l’objet d’un « travail » de synthèse et de reformulation afin d’être compris par les interlocuteurs que l’on interpelle.

2Dans la littérature sur l’analyse des savoirs, certains auteurs ont déjà mis de l’avant l’importance

de prendre en considération les divers moments de l’existence des savoirs, notamment Fredrik Barth (2002), mais Goldman, Nadasdy et Turner sont les premiers à systèmatiser cette idée dans une grille d’analyse en trois temps.

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Dans l’ouvrage collectif de Nadasdy, Goldman et Turner, intitulé Knowing Nature; Conversation at the Intersection of political Ecology and Science Studies, les auteurs cherchent à mettre en lumière les enjeux politiques qui se retrouvent au sein de ce qu’ils appellent la « trichotomy » de la production, de la circulation et de l’utilisation des savoirs environnementaux (Goldman, Nadasdy & Turner 2011 : 4). Les auteurs considèrent que pour mieux comprendre les politiques environnementales, les chercheurs doivent se concentrer sur la façon dont les savoirs, tant scientifiques que locaux, sont construits et voyagent (Goldman, Nadasdy & Turner 2011 : 10). Depuis Khun, nous pouvons considérer que les savoirs sur la nature sont produits et non « découverts ». Les travaux contemporains auxquels se réfèrent Goldman, Nadasdy et Turner nous rappellent que ces savoirs sont produits non seulement par les recherches scientifiques, mais aussi par les populations locales, par les responsables gouvernementaux, et par les autres acteurs impliqués dans les décisions relatives à l’environnement3. Ces acteurs sont eux-mêmes influencés par les

savoirs en circulation qui sont produits par les divers groupes avec lesquels ils entrent en contacts lors de leur processus d’accès aux ressources, que ce soit dans le cadre de projets de développement ou de conservation de la nature (Goldman, Nadasdy & Turner 2011 : 16). Dans une telle optique de travail, ce qui devient intéressant n’est plus le contenu spécifique du savoir lui-même, mais bien l’implication de ces savoirs au sein de rapports de pouvoirs existant entre les différents acteurs. Cette approche suppose donc, qu’à partir de l’éclairage que peut jeter la recherche sur la trichotomie production/circulation/utilisation des savoirs environnementaux, il devient possible de développer une compréhension plus fine des rapports de pouvoir inhérents à la gestion environnementale.

1.2 Production

La littérature portant directement sur la trichotomie des savoirs est plutôt mince. Néanmoins, il existe une quantité appréciable d’articles et de livres scientifiques portant tant sur les savoirs autochtones, que sur les processus de gestion des ressources naturelles et de création des aires protégées en partenariat entre des instances étatiques et des

3Goldman, Nadasdy et Turner se positionnent clairement sur ce que sont les savoirs, et j’adhère à

cette définition : « All Knowledge is « local » and culturally/socially contextual, which means that scientific knowledge is situated (cultural) practice » (Goldman et al. 2011 : 14).

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communautés autochtones. Dans de tels cadres, la production des savoirs autochtones est la plupart du temps saisie par ce qui est communément appelé les TEK ou Traditional Ecological Knowledges. La construction des TEK se fait généralement à partir d’une interprétation scientifique des savoirs autochtones, interprétation où ceux-ci peuvent être isolés de leur contexte et transformés en savoirs décontextualisés et universalisables (Nadasdy 2003 : 132). Selon Nadasdy, une fois inscrits dans ce paradigme scientifique de la construction des savoirs, les savoirs autochtones se voient transformés en artéfacts plutôt statiques, coupés de la tradition orale vivante dans laquelle ils ont été « puisés ».

Il est possible de diviser la littérature traitant des TEK en deux grandes catégories, soit : les savoirs transmis par la tradition orale, et les savoirs accumulés par l’expérience empirique. Il s’agit, cependant, davantage de deux pôles d’acquisition de connaissance que de deux catégories entièrement distinctes de production des savoirs (Duerden & Kuhn 1996b : 73).

Les auteurs se concentrant sur l’aspect traditionnel des TEK le font souvent dans une perspective de légitimation où l’ancrage culturel dans une tradition ancienne est présenté comme la source de la pertinence de ces savoirs. Ces savoirs sont vus comme produits dans un autre schème de pensée et, conséquemment, doivent être respectés comme différents, mais égaux. Dans cette vision, la production des savoirs autochtones se fait par transmission intergénérationnelle d’éléments provenant d’un corpus culturel, lui-même émanant d’une ontologie et d’une épistémologie particulière à une ou plusieurs populations autochtones (Berkes, Colding & Folke 2000, Berkes & Davidson-Hunt 2006, Cruikshank 2005).

En suivant une perspective différente, certains auteurs se concentrent sur l’aspect empirique de l’acquisition des savoirs autochtones sur la nature, justifiant plutôt leur valeur par leur mode d’acquisition directe sur le territoire, qui est présenté comme similaire à celui des savoirs scientifiques, bien que n’émanant pas de la même ontologie4 (Fienup-Riordan

4À ce titre, il est pertinent d’ajouter que cette façon de justifier la valeur de savoirs par leur aspect

empirique n’est pas nouvelle. L’anthropologue Bronislaw Malinowski considérait que toutes les sociétés faisaient de la science puisque toutes les sociétés acquièrent des savoirs de façon empirique (Nadasdy 2003 : 61).

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1999, Moller, Berkes, Lyver & Kislalioglu 2004). Ainsi, la production des savoirs se fait par l’expérience. Un TEK sera ici un savoir expérientiel issu de la vie sur le territoire. Bien que moins contraignante au niveau de l’ « authenticité culturelle » qui sert souvent de critère de légitimation des TEK, cette forme de production pousse du revers de la main tout savoir qui pourrait être produit autrement que par l’expérience concrète.

Certains auteurs tentent de concilier ces deux perspectives, en traitant à la fois de l’acquisition des savoirs par transmission intergénérationnelle et de leur acquisition par observation (Lertzman 2006, Turner, Ignace & Ignace 2000). Par ailleurs, dans la présente recherche, une attention particulière est portée au développement croissant de la capacité des Premières nations à produire du savoir-expert ou à embaucher des consultants externes capables de produire directement des savoirs dans le paradigme dominant. Peu de littérature existe à ce sujet, et elle se limite souvent à traiter de la scolarisation croissante et de l’augmentation de la capacité technique au sein de certaines Premières nations, mais sans nécessairement examiner les implications qu’ont ces capacités de production pour notre compréhension de la participation des peuples autochtones dans des processus de gestion de la nature (Stevenson & Perreault 2008).

1.3 Circulation

La circulation est une étape critique dans le processus de transformation des savoirs. Comme l’explique Goldman : « certain ideas become information, and certain forms of information become accepted facts primarily because of the ways in which they successfully circulate through various (social, political, economic, and academic) networks » (Goldman, Nadasdy & Turner 2011 : 204). Une fois le savoir produit, il est perçu comme un traducteur de connaissances émanant d’un système culturel (autochtone) particulier sur un sujet donné. Cependant, le chemin est souvent assez long entre le moment où le savoir est produit et le moment où il sera concrètement mis en application dans un processus de gestion institutionnalisé.

J’ai pu relever deux grandes façons par lesquelles les savoirs autochtones circulent : soit par le biais des autochtones eux-mêmes à l’intérieur où à l’extérieur de leurs

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communautés, ou par le biais des scientifiques s’intéressant à ce savoir. La deuxième voie est de loin la plus fréquente, mais je tenais néanmoins à exposer le premier cas de figure étant donné qu’il émane d’un processus de circulation qui est produit en dehors des schèmes scientifiques. Cette forme de circulation est d’autant plus intéressante qu’elle ne se rattache pas à la même épistémologie, que sa forme peut être différente et qu’elle est en constante expansion.

1.3.1 Circulation autochtone

Les savoirs, pour pouvoir circuler au sein d’une culture donnée, doivent être modulés pour s’insérer dans un mode de transmission particulier. Berkes, Colding & Folke (2000) parlent d’une « cultural internalization », que nous pourrions traduire ici par « circulation interne ». Le savoir autochtone circulant à travers des sociétés autres (la plupart du temps des sociétés occidentales) le fait de façon bien différente. Elle est généralement liée à des processus institutionnels de consultation, de revendication, de cogestion, ou autres5.

Même si elle est inscrite dans des processus relativement formels, la circulation des savoirs vers les institutions dominantes peut se faire par des discours relativement indirects. Feit (2001) analyse la façon dont les Cris ont réussi à communiquer leur vision du territoire à la population canadienne et surtout québécoise lors des négociations concernant les projets de barrages hydro-électriques sur le territoire de la Baie-James. Dans ce cas particulier, la circulation se fait par le biais de la métaphore du jardin. Cette métaphore est particulièrement judicieuse puisqu’elle possède une forte résonnance dans les imaginaires

5L’exemple exposé par Hébert (2006) quant à la délégation autochtone présente au XIIe Congrès

forestier mondial est parlant. La délégation cherchait à communiquer une éthique autochtone dans le monde de l’exploitation des ressources forestières. Cependant, comme Hébert le soulève, une telle diffusion n’est pas sans risques : «Il semble que (du moins c’est la perception exprimée) chaque discours formulé pour exprimer la dépossession par les acteurs autochtones, chaque vision du futur exprimée, chaque revendication politique courent le risque de se voir récupérés par les gouvernements et les entreprises, vidés de leur dimension critique et ré-injectés dans la sphère publique avec des conséquences politiques et un sens altéré. Les discours de la «responsabilité envers les générations futures» et ceux de « développement durable » sont deux exemples illustrant cette dynamique» (Hébert 2006 : 40).

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occidentaux (Harrison 2008). Feit expose donc un exemple astucieux de circulation et de transformation du savoir autochtone sur le territoire, exemple apte à amalgamer ontologies autochtone et occidentale.

1.3.2 Circulation scientifique

Lorsqu’il est question de processus décisionnels dans lesquels les gouvernements sont impliqués, les savoirs autochtones sur la nature circulent surtout par le biais d’études scientifiques. Généralement, cette circulation passe par l’utilisation d’outils d’extraction et de gestion de données propres aux sciences occidentales. Dans un contexte d’intégration aux savoirs scientifiques occidentaux, le savoir autochtone est généralement retiré de son contexte culturel, puis on essaie de le classifier, de le codifier et finalement de l’utiliser comme une donnée mesurable (King 2004, Cruikshank 2005 : 259). Dans ces cas, ces savoirs sont reformatés pour répondre aux besoins de gouvernements et d’industries, mais risquent de perdre en chemin leur vocation première qui était d’appuyer les projets des peuples autochtones dont ils émanent (Simpson 2008 : 75). On peut donc dire que dans de tels cas, le savoir qui circule est devenu un artéfact de la science occidentale (Nadasdy 1999 : 9).

À l’instar de King, Nadasdy argumente que les projets d’intégration des savoirs, ou plutôt des artéfacts scientifiques que sont les TEK, sont construits autour du postulat que les savoirs autochtones devraient être utilisés comme de simples données scientifiques parmi tant d’autres (Menzies 2006 : 11). Ces mêmes études proposeraient que ces savoirs soient incorporés à des systèmes administratifs de gestion déjà existants et qu’ils soient utilisés et transformés par des scientifiques et des gestionnaires (Nadasdy 2003 : 369). Il explique que ce processus est loin d’être neutre, que les gens qui intègrent ces savoirs le font à leur manière, et non à celle des groupes locaux ou autochtones. Selon lui, l’approche par intégration des savoirs autochtones et scientifiques fait fi de plusieurs dimensions des savoirs autochtones, pour ne conserver que celles qui sont les plus susceptibles à une objectivation technique pouvant être inscrite, par exemple, dans une grille d’indicateurs préétablis, dans une base de données, sur une carte géographique ou dans une étude

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statistique. Ainsi, ces savoirs deviennent des données qui s’insèrent dans un système de gestion dont les outils, eux, restent inchangés (Nadasdy 1999 : 5).

Nadasdy explique que les savoirs autochtones subissent deux changements majeurs lors de ces processus d’intégration. Tout d’abord ils sont compartimentés, puis ils sont ensuite distillés pour devenir intelligibles scientifiquement. La compartimentation des savoirs vient créer l’illusion que la science occidentale possède le monopole des savoirs étant donné que les groupes autochtones ne possèdent pas de catégories équivalentes. On assiste conséquemment à une dépossession des savoirs (Nadasdy 1999 : 7). La distillation se produit lors de la production des données, au moment où les chercheurs choisissent les résultats qu’ils considéreront comme pertinents, mais aussi au moment de l’interprétation de ces données par les systèmes administratifs (Nadasdy 1999 : 9). Ultimement, ce savoir compartimenté et distillé deviendra totalement étranger à la tradition épistémologique dont il émane (McGregor 2006).

La compartimentation peut se faire dès l’instant où le sujet d’une recherche est circonscrit. Dans les cas qui nous intéressent ici, cette définition se fait autour d’un élément particulier du monde naturel. Une telle étude portera un biais dès l’instant où elle s’intéressera aux savoirs autochtones puisqu’elle imposera préalablement ses catégories (Gagnon et Berteaux 2006, Fienup-Riordan 1999, Berkes & Davidson-Hunt 2006). Il faut par contre spécifier que les groupes autochtones sont généralement conscients de l’incompatibilité (pas absolue, cependant) de leurs savoirs avec les institutions décisionnelles et tentent de prendre le contrôle de la circulation de ces savoirs de façon à ce qu’ils restent le plus possible fidèles à leurs intentions de départ au moment où ces savoirs serviront à construire une action concrète (voir par exemple Turner & Bitoni 2011 et Hermann & al. 2012).

1.4 Utilisation

L’utilisation des savoirs environnementaux se concrétise par le biais des approches de gestion des ressources et du territoire. Elles sont construites : « from a mix of common understandings about human societies and the environment, scientific findings and

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technologies, standard (accepted) management approaches, political and economic prerogatives, and location-specific understandings » (Goldman et al. 2011 : 2).

Dans les cas où les savoirs autochtones sont abordés comme des TEK, leur application se fait presque toujours dans un cadre de cogestion des ressources naturelles ou de protection de l’environnement (Duerden & Kuhn 1996). Pour plusieurs scientifiques, les savoirs traditionnels sur l’environnement peuvent et doivent être la source de nouvelles informations pouvant être incorporées aux savoirs scientifiques (Duerden & Kuhn 1996b : 72). Dans une telle perspective, les savoirs autochtones sont réduits à leur plus simple interprétation, celle de données factuelles (Fienup-Riordan 1999, Berkes & Davidson-Hunt 2006). Dans de tels cas, les chercheurs associent, par exemple, l’idée que se font les populations autochtones de la nature à celle de biodiversité, ne remettant pas en cause les paradigmes utilisés et réduisant ainsi un savoir holistique à de simples données ponctuelles.

D’autres auteurs, peut-être un peu plus idéalistes, proposent que l’intégration des savoirs scientifiques et des savoirs autochtones, au-delà d’un simple cumul de données, permette une restructuration des paradigmes tant scientifiques qu’autochtones, contribuant ainsi à une transformation progressive des paradigmes sur la nature de chacune de ces deux traditions épistémologiques. En fait, il arrive souvent que l’intérêt de prendre en compte les savoirs autochtones provienne d’un désir de briser la résistance, que ce soit à la conservation ou au développement, de ces populations en les adoucissant par des promesses d’utilisation et de mise en pratique de leurs savoirs au même titre que sont utilisés les savoirs scientifiques (Berkes & Davidson-Hunt 2006, Fraser, Coon, Prince, Dion & Bernatchez 2006, Berkes, Colding & Folke 2000, Moller & Berkes 2004).

Un autre type d’utilisation des savoirs autochtones, particulièrement récurrent dans la littérature que j’ai explorée est celui pouvant être nommé l’« empowerment » ou l’accroissement des capacités. Pour beaucoup d’auteurs, l’intégration des savoirs autochtones dans des processus de cogestion se conclut souvent par un effet positif sur le pouvoir d’action des communautés et des nations autochtones (West & Brechin 1991, Murray & King 2012, Turner & Bitoni 2011). Dans certains cas, on assiste à une institutionnalisation du savoir autochtone, comme c’est le cas au Nunavut avec l’Inuit Qaujimajatuqangit (Gagnon et Berteaux 2006, Lévesque 2014), qui est devenu un principe

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guidant les actions du gouvernement du Nunavut. Si cette utilisation des savoirs autochtones permet un accroissement du pouvoir institutionnel des communautés autochtones, elle peut permettre parallèlement une recrudescence du pouvoir de résistance (Feit 2000).

L’utilisation la plus fréquente des savoirs autochtones est la cogestion. Celle-ci est devenue, selon Nadasdy, institutionnalisée dans les structures de pouvoir, et, toujours selon lui, elle ne représente pas une alternative réelle aux structures de gestion de l’environnement déjà existantes (Nadasdy 2005 : 216). Selon l’auteur, la cogestion mène plutôt à une bureaucratisation des communautés et des nations autochtones, ce qui conduit à un plus grand pouvoir de l’État, réprimant ainsi les changements que désiraient les Autochtones en s’inscrivant dans un tel processus. Il est cependant nécessaire, avant de conclure, de spécifier que la transmission intergénérationnelle reste pour certains une utilisation primordiale des savoirs autochtones, bien que cela se produise en dehors des relations avec les États ou les instances scientifiques (Gagnon et Berteaux 2006).

La littérature portant sur les savoirs autochtones est assez dense. Bien que celle-ci

ne porte qu’à de rares occasions spécifiquement sur la trichotomie

production/circulation/utilisation, nous voyons ici que ces trois catégories sont inhérentes à toute question concernant les savoirs autochtones et sont imbriquées les unes avec les autres. Une telle perspective combinant les Science studies et l’écologie politique ne devient cependant possible que lorsque le savoir est considéré comme immanent et non transcendant. C’est-à-dire que cette grille d’analyse ne devient intelligible que s’il y a production humaine des savoirs, et non découverte de ces derniers. Il devient ainsi possible d’analyser ce savoir comme un fait social.

Cette façon de suivre le cheminement des savoirs permet de mettre en évidence les rapports de pouvoir là où ils sont le moins attendus : dans les petites actions propres à la transformation des savoirs au sein des instances bureaucratiques ou scientifiques d’une institution de pouvoir. Décortiquer le cheminement des savoirs me semble alors plus que pertinent dans l’analyse d’un quelconque projet impliquant la rencontre de savoirs autochtones et de savoirs scientifiques. Dans le cas du projet de création d’une aire protégée par les Hurons-Wendat, l’analyse selon cette trichotomie des savoirs a permis de

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bien situer les lieux de production de ces derniers, de mettre à jour les réseaux à travers lesquels ils circulent et se transforment et ainsi, de faire apparaître ethnographiquement les rapports de pouvoir s’insérant dans ce processus. La littérature explorée jusqu’ici a permis de constater la diversité des projets de gestion et de conservation de la nature dans lesquels les savoirs autochtones sont impliqués. Chacun de ces projets a des résonnances politiques importantes pour les communautés autochtones concernées et il en est de même pour le projet proposé par les Hurons-Wendat. Comme l’expliquait déjà E.E. Evans-Pritchard : « Knowledge integration is at least as much a political process than an epistemological one » (Nadasdy 2003 : 113).

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Chapitre 2 : Mise en contexte

Dans les pages qui suivent, l’aire protégée dont il est question dans la présente recherche est située dans son contexte social, historique, politique et institutionnel. J’expliciterai différents aspects du concept fort chargé en significations qu’est l’aire protégée, ses implications théoriques et pratiques dans le contexte social et politique des nations autochtones tant au Québec qu’au Canada. J’exposerai ensuite brièvement la situation des aires protégées dans la région de la Capitale-Nationale pour permettre de cerner avec plus de précision dans quel contexte politique s’insère le projet d’aire protégée des Hurons-Wendat. Finalement, je présenterai brièvement l’histoire récente des rapports que les Hurons-Wendat entretiennent avec le territoire de façon à mettre en lumière le contexte dans lequel s’opère le projet d’aire protégée.

2.1 Conservation de la nature et aires protégées

Les premiers relents de conservationnisme apparurent dans la seconde moitié du 19e

siècle, alors que la Grande-Bretagne était le plus grand empire colonial au monde. Pour une petite élite de chasseurs de gros gibiers, provenant essentiellement de la noblesse anglaise, les empires coloniaux étaient devenus de vastes terrains de chasse. L’idée de préserver des terres pour faire perdurer la chasse et empêcher l’extinction de leurs proies favorites devint une obsession pour certains membres de cette élite. C’est ce qui mena vers les premières « aires protégées », qui furent d’abord des réserves à gibier, puis des parcs (Adams 2004 : 17). Cette peur de l’extinction restera l’un des principaux vecteurs du mouvement conservationniste mondial. Cependant, depuis le début des années 1990, les arguments faisant la promotion de la conservation sont de plus en plus ancrés dans une réflexion qui se veut plus objective, organisée autour du concept scientifique de biodiversité (Adams 2004 : 25). Aujourd’hui, le concept d’aire protégée est utilisé internationalement et fait l’objet d’une multitude d’interprétations, tant à l’échelle internationale que locale.

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2.1.1 Les Catégories de l’UICN

Le concept d’aire protégée tel que véhiculé par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature)6 peut être compris comme un compromis. Il vise à harmoniser

diverses définitions de la conservation de la nature utilisées dans différentes régions du monde, tout en offrant des balises communes pour la mise en œuvre de projets concrets (Dudley 2008 : 2). La définition la plus récente de l’aire protégée proposée par l’UICN est la suivante : « Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associées »7 (Dudley 2008 : 8). Ici, le nœud de la définition est le concept de nature. Dans

l’optique adoptée par l’UICN : « la nature fait référence à la biodiversité aux niveaux génétiques, de l’espèce et de l’écosystème, de même qu’à la géodiversité » (Dudley 2008 :11 dans Bélanger et Guay 2010 : 9).

L’UICN considère qu’il n’existe pas qu’un seul moyen de protéger la nature et, conséquemment, propose une catégorisation balisant cette variété de formes de conservation. En créant un système à catégories multiples, l’UICN vise à accorder une importance aux différentes réalités sociales et politiques de partout à travers le monde et à créer un système flexible pouvant s’adapter à des situations différentes. Ce système permet aussi d’englober les deux paradigmes dominants de la conservation. Soit la vision que certains appellent préservationniste de la nature où l’idée est de construire des zones de type « cloche de verre » (soit les catégories I et II) et des zones plus conservationnistes où une utilisation durable des ressources permet tout de même certaines formes d’activités humaines. Certains auteurs considèrent que ces deux paradigmes peuvent être simplifiés en disant que l’un est établi pour sauver la nature de l’homme, alors que l’autre cherche à sauver la nature pour l’homme (Krech III 1999 : 25). Enfin, cette tendance au changement

6 L’UICN est la première organisation environnementale mondiale et fut fondée en 1948. Elle n’a pas de pouvoir coercitif, mais possède une influence conséquente au niveau international en ce qui concerne les questions environnementales. Concrètement : « L’UICN soutient les gouvernements, les ONG, les conventions internationales, les organisations des Nations Unies, les sociétés et les communautés, en vue de développer des lois, des politiques et de meilleures pratiques » (UICN 2014).

7 Tant le Canada que le Québec possèdent leur propre définition d’une aire protégée, mais celles-ci sont grandement inspirées de celle proposée par l’UICN.

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est bien expliquée par Figgis lorsqu’elle dit que : « The trend of modern nature conservation thinking is towards creating larger conservation entities or network integrating them more closely with human needs and involving more elements of the community in securing areas and managing them for biodiversity benefits » (Figgis 2003 : 203). Les propositions faites par l’UICN sont un outil pour aider les diverses institutions et communautés à mettre en œuvre des mesures de conservation de la nature (Dudley 2008 : 3).

Un premier système de catégorie a été établi en 1978, pour subir quelques modifications avec le temps et en arriver, finalement, avec les six grandes catégories proposées en 1994 :

I - Protection intégrale [IA) Réserve naturelle intégrale et Ib) Zone de nature sauvage] II - Conservation de l’écosystème et protection (p.ex. Parc national)

III - Conservation d’éléments naturels (p.ex. Monument naturel)

IV - Conservation par une gestion active (p.ex. Aire de gestion des habitats / espèces) V - Conservation d’un paysage terrestre / marin et loisirs (p.ex. Paysage terrestre / marin protégé)

VI - Utilisation durable des écosystèmes naturels (p.ex. Aire protégée de ressources naturelles gérée)

(Dudley 2008 : 4)8 Je n’explorerai pas ici les catégories I, II et III, étant donné le peu de place qu’elles laissent à l’implication humaine et qu’elles semblent d’emblée peu intéressantes dans un cas où une communauté autochtone voudrait installer une aire protégée sur un territoire qu’elle-même occupe. Ce choix est compatible avec les observations faites par Noury en ce qui concerne le plan de conservation du territoire des Ilnus de Mashteuiatsh: « Dans tous les cas, une position favorable est maintenue seulement si les propositions d’aires protégées ne contraignent pas les activités traditionnelles […] » (Noury 2010 : 26). Les catégories IV, V et VI sont quant à elles ouvertes, à différents degrés, à l’implication humaine et peuvent permettre diverses formes d’activités .

8La gradation entre ces diverses catégories ne se base pas sur le niveau plus ou moins élevé de

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La catégorie IV laisse place à l’intervention humaine dans la mesure ou cette intervention permettrait d’améliorer la protection des espèces animales pour lesquelles l’aire protégée a été établie (Dudley 2008 : 18). Donc, bien qu’il s’agisse d’une forme de protection pouvant s’insérer dans un paradigme acceptant la présence humaine dans la conservation, la présence réservée à ces derniers reste très limitée. Cette catégorie n’est cependant pas à négliger dans le cadre de la présente recherche dans la mesure où certains projets mis en place par les Hurons-Wendat au cours des dernières années relèvent des préoccupations de la catégorie IV, notamment un projet de contrôle de l’ours noir à des fins de restauration de la population de caribou forestier dans la Réserve faunique des Laurentides (Gros-Louis 2014).

Dans les aires protégées de catégories V, l’activité humaine est plus importante, notamment par le biais de ce que l’UICN appelle des « traditional management practices » (Dudley 2008 :20)9. Dans de tels cas, ce que l’on veut conserver est l’interaction entre

l’humain et son environnement, puisque, théoriquement, dans de telles zones, c’est cette interaction qui permet à la biodiversité de subsister. Les activités coutumières des Premières nations, y compris la chasse, la cueillette, la pêche et la trappe, sont généralement considérées comme faisant partie des modes traditionnels de gestion du territoire.

La catégorie VI est la plus souple quant au type d’activités que peuvent mener les humains sur le territoire de l’aire protégée. Elle permet d’aller plus loin, en termes de présence humaine, qu’une simple cohabitation harmonieuse de l’humain et de la nature. On y accepte certaines formes d’utilisations des ressources naturelles, y compris des activités industrielles de basse intensité (Dudley 2008 : 22). L’idée à la base de la catégorie VI provient de demandes formulées par de nombreux pays voulant des catégories de territoires de conservations « gérées aux fins de protéger leur diversité biologique, de telle sorte qu’elles assurent un flux durable de biens et services à la communauté » (UICN 1994 dans Bélanger & Guay 2010 : 6). Ce n’est plus seulement la biodiversité qui est prise en considération, mais également les activités économiques des communautés vivant en marge

9Au Québec, le MDDELCC (Ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la

Lutte contre les Changements Climatiques) utilise le terme « paysage humanisé » pour traiter de cette forme d’aire protégée (SHFQ 2012 : 15).

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ou à l’intérieur de l’aire protégée. Dans un contexte où les ressources forestières et le tourisme sont vus comme des leviers importants d’autonomie et de développement économique pour les Peuples autochtones, les possibilités qu’offre la catégorie VI sont particulièrement intéressantes pour une aire protégée autochtone.

Au Québec, les catégories V et VI sont qualifiées d’aires protégées polyvalentes (Stolton & Oviedo 2004 dans Guay & Bélanger 2010 : 6), puisqu’elles permettent une utilisation durable du territoire. En fait, une aire protégée polyvalente « vise à la fois la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles, lesquelles doivent être complémentaires, ou du moins compatibles, et doivent permettre la préservation des valeurs culturelles, patrimoniales et identitaires en lien avec la conservation de la nature » (Deshaies 2014 : 14). Ces catégories ont même mené certains auteurs à avancer qu’elles établissaient un nouveau paradigme pour les aires protégées (Bélanger & Guay 2010 : 6). En fait, on parle d’un nouveau paradigme étant donné que l’utilisation durable des ressources, mise en parallèle avec d’autres moyens comme la protection, est désormais considérée comme une façon valide de conserver la nature (Bélanger & Guay 2010 : 7). Ce nouveau paradigme a permis un élargissement considérable des possibilités de zonage de conservation. Déjà en 2005, 61,7% de la surface protégée de la planète l’était sous forme de catégories V et VI (Bélanger & Guay 2010 : 6). Cependant, au Québec, il n’existe pas d’aires protégées polyvalentes effectivement créées. Présentement, il n’existe que deux projets pilotes : dans les réserves fauniques de Matane, dans le Bas-St-Laurent, et Mastigouche, en Mauricie-Lanaudière (Entrevue 01C 2015, Nature Québec 2014). Certains groupes environnementaux sont cependant rétissants face à la mise en place de ce type d’aire protégée au Québec. Ils craignent un glissement vers une conservation de la nature beaucoup trop souple qui ne permettrait plus une réelle protection de la biodiversité (Société pour la Nature et les Parcs 2015, Entrevue 04G 2015, Entrevue 01B 2015).

L’établissement d’une aire protégée ne se fait pas qu’à partir d’une désignation et d’un zonage; cette aire doit également être prise en charge. En 2003 et en 2004, lors du Durban World Park Congress et du Bangkok World Conservation Congress, des propositions furent faites visant à insérer une dimension de gouvernance aux catégories de l’UICN (Dudley 2008 : 5). L’UICN reconnaît aujourd’hui quatre grands types de

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gouvernance : 1) la gouvernance par les gouvernements, 2) la gouvernance partagée, 3) la gouvernance privée et 4) la gouvernance par les populations autochtones et par les communautés locales (Dudley 2008 : 26). Je m’intéresserai dans la section suivante à cette quatrième forme de gouvernance, ou ce qui est communément appelé les ICCA (Indigenous and community conserved areas).

2.1.2 Indigenous and Community’s Conserved Areas (ICCA)

Le changement de paradigme10 qui a occasionné un détachement progressif de la

vision cloche de verre de l’aire protégée a permis un assouplissement quant à la forme que celle-ci pouvait prendre (Adams 2004 : 98). Conséquemment, cet assouplissement a mené vers une reconsidération des modèles de gestion de ces aires. À travers le monde, les divers acteurs de la conservation en sont venus à considérer que les aires protégées ne devaient pas obligatoirement être gérées par les États, mais que d’autres solutions pouvaient être envisageables et viables. Plusieurs formes de gouvernance furent proposées; notamment la gouvernance autochtone des aires protégées, les ICCA (Indigenous and community conserved areas). Selon l’UICN, ces dernières sont définies comme : « natural and/or modified ecosystems containing significant biodiversity values, ecological services, and cultural values, voluntarily conserved by indigenous, mobile and local communities, through customary laws and other effectives means » (IUCN 2008 dans Berkes 2008 : 19). On fait référence ici à une gestion traditionnelle ou coutumière du territoire. Une telle interprétation de l’aire protégée autochtone la rapproche beaucoup des aires de catégories V et VI dans lesquelles il est question d’activités traditionnelles de l’humain en relation avec l’écosystème. Ce rapprochement se solidifie dans les trois caractéristiques principales des ICCA proposées par l’UICN :

10Il faut cependant préciser que bien qu’un paradigme « cloche de verre » se soit installé dans le

monde de la conservation, il n’en fut pas toujours ainsi. Les plus vieilles pratiques de conservation pouvaient soit être construites autour d’une utilisation particulière de l’humain d’un territoire donné (comme les Games Preserve en Europe (Berkes 2008)) ou d’un désir provenant directement du monde industriel, comme ce fut le cas au Québec où : « Les premiers à promouvoir la conservation de la forêt sont des marchands de bois qui s’inquiètent de la qualité et de la quantité des arbres exploités à des fins commerciales » (Hébert 2006 : 175). Donc il ne s’agit pas du premier changement de paradigme dans le monde de la conservation.

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First, ICCAs involve a community (or communities) closely connected to the ecosystem culturally and/or because of livelihood needs. Second, management decisions of the community effectively lead to conservation, even though conservation may not be the primary objective. Third, the community is the major decision maker, and community institutions have the capability to enforce regulations (Berkes 2008 : 19).

Dans de telles aires protégées, on reconnaît que l’activité humaine contribue à la conservation de la biodiversité. D’ailleurs, Berkes explique que la grande majorité de ces aires protégées s’insère dans les catégories V et VI (Berkes 2008 : 20), mais il faut préciser que les ICCA peuvent se retrouver dans chacune des catégories de l’UICN (Kothari & al. 2012 : 19).

Ce type d’aire protégée implique que les institutions locales ont de facto et/ou de jure la capacité de développer et d’appliquer les décisions relatives à l’aire protégée (Kothari & al. 2012 : 17). Les règles concernant la façon de gérer ces aires par les communautés sont elles aussi très variables, passant de traditions orales à des règlements statués en fonction des lois de l’État (Kothari & al.: 22). Dans ce type de zonage, ce sont les membres de la communauté qui décident des enjeux qui devront motiver la création de l’aire protégée : « The segregation of areas for protection within traditional lands is normally not based on valuation of biodiversity « exceptions » and uniqueness (endemism, rare species, etc.) but on cultural values that reflect complex ecological processes […] » (Borrini-Feyerabend 2004 : 64).

Si l’aire protégée est construite autour de valeurs culturelles qui reflètent des processus écologiques complexes, c’est qu’un travail préalable a dû être fait pour mettre de l’avant les savoirs produits culturellement par la communauté en question. Les savoirs de cette communauté ont dû circuler pour pouvoir être compris et mis en valeur. C’est précisément ce cheminement que j’ai cherché à explorer dans la présente recherche en m’intéressant au cas d’un projet d’aire protégée développé par la nation huronne-wendat s’inscrivant dans une tendance d’implication croissante des nations et des communautés autochtones dans la constitution d’aires protégées au Canada.

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Exemples d’aires protégées autochtones au Canada

L’ouverture du Canada à l’implication des Autochtones dans le monde de la conservation s’est produite au cours des années 1970 alors que les questions autochtones ainsi que les Peuples autochtones du Canada et du monde commencèrent à se tailler une place sur l’échiquier politique tant national qu’international. Au Canada, ce changement se produisit plus précisément suite à la sortie du rapport Berger sur le projet de pipeline dans la vallée du Mackenzie puis par l’entente finale des Inuvialuit en 1984 (Adams 2004 : 118). Parcs Canada a décidé d’agir dans une optique d’inclusion en 1999 en promulguant une nouvelle législation permettant certaines activités des membres des communautés et des nations autochtones touchés par l’implantation de parcs nationaux ainsi que l’implication de ces mêmes membres dans les processus décisionnels pour sortir de la pratique exclusionniste (envers les Peuples autochtones) adoptée pendant plusieurs décennies dans le domaine de la conservation (Martin 2006 : 141).

Aujourd’hui, bien que le Canada ne soit pas en tête de file dans la création d’aires protégées (autochtones ou non) (Deguignet et al. 2014), il y existe tout de même une variété d’exemples d’aires protégées où les Autochtones ont eu un rôle non négligeable à jouer, que ce soit au niveau de sa création ou de sa gestion. Parc Canada reconnaît l’importance de la protection du patrimoine tant naturel que culturel. Des concepts tels que celui de « paysage culturel » et « d’esprit du lieu » sont reconnus et laissent place aux valeurs autochtones (Hébert 2012 : 14).

L’implication des nations et des communautés autochtones peut se faire à plusieurs niveaux dans les processus de création et de gestion des aires protégées. Elles peuvent travailler à la gestion des aires protégées et, dans quelques cas, en être les instigatrices. Bien que cela ne soit pas toujours explicite, les savoirs sont au centre des implications des populations autochtones dans ces projets.

Il est fréquent que le rôle des Autochtones soit de nature plutôt consultative. C’est le cas notamment dans l’initiative de désignation de Pimachiowin Aki comme site du patrimoine mondial, où la première nation de Pikangikum en Ontario ainsi que les communautés de Pauingassi, de Little Grand Rapids et de la rivière Poplar au Manitoba

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furent consultées et établirent un partenariat avec les deux gouvernements provinciaux pour obtenir la désignation de site du patrimoine mondial (Conseil canadien des Parcs 2011 : 67). Ce projet vise à créer un site du patrimoine mondial de l’UNESCO qui protègerait tant l’environnement que la culture ojibwée (Anishinaabe) et où l’aire protégée permettrait de créer un modèle de gestion permettant d’intégrer, et par conséquent d’utiliser, les savoirs scientifiques et les savoirs autochtones sur ce territoire (Lemelin & Bennett 2010). Similairement, dans un autre cas ontarien, le gouvernement provincial a travaillé à créer des aires protégées dans la forêt de Whitefeather, mais en respectant le cadre d’intendance coutumière « keeping the land », élaboré par le peuple de Pikangikum (Conseil canadien des Parcs 2011 : 63). Dans de telles initiatives, les instances gouvernementales se basent en partie sur les savoirs autochtones portant sur un territoire donné pour construire une aire protégée.

Cogestion

Souvent, le rôle des communautés et des nations autochtones se traduit par une implication dans la gestion d’une aire protégée déjà établie. Dans plusieurs parcs nationaux ou provinciaux, des groupes autochtones sont impliqués à divers niveaux décisionnels. Cependant, la définition du rôle des Autochtones dans la gestion des aires protégées varie passablement d’un cas à l’autre. Dans le parc Tatshenshini-Alsek, en Colombie-Britannique, on parle de gestion concertée entre les premières nations de Champagne et de Aishihik et le ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique (Chambers & al. 2001). Dans une même optique, on parle de gestion participative dans le parc provincial britanno-colombien Indian Arm où la première nation Tsleil-Waututh a signé une entente après avoir été initialement écartée du projet par le gouvernement provincial (Conseil canadien des Parcs 2011: 87). Le Parc national Wapusk, au Manitoba, créé par le gouvernement fédéral dans le cadre d`une campagne plus large de Parcs Canada visant à représenter les 39 régions naturelles à l’intérieur de parcs nationaux canadiens, est géré par un comité de gestion intégrant des représentants des communautés autochtones cries touchées par l’établissement du parc (Martin 2006 : 140). Cependant, dans ce cas, l’étude de Martin a démontré une insatisfaction face au partage des informations et des décisions

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entre les décideurs gouvernementaux et les représentants des communautés autochtones ainsi qu’un manque de transparence par rapport à la population des communautés autochtones concernées (Martin 2006 : 145). Dans de tels cas, la question des savoirs, et surtout de leur utilisation, reste à l’avant-plan, elle vient même justifier la place des Autochtones dans ces processus. Dans le cas du parc provincial d’Indian Arm, par exemple, des entrevues ont été faites auprès des ainés de la Nation et des fouilles archéologiques ont été effectuées pour établir comment s’effectuait l’utilisation traditionnelle du territoire et ainsi produire des savoirs sur cette utilisation (Indian Arm Provincial Park Management Board 2010).

Certaines aires protégées sont cogérées par un modèle se disant de « gouvernement à gouvernement », comme c’est le cas pour le parc provincial de Ts’il?os en Colombie-Britannique, qui est cogéré par BC Parks et la première nation Xeni Gwet’in (Cariboo District 1997). Bien que la situation politique soit différente, un cas de figure semblable s’est produit au Nunavik. Une entente a été signée entre le gouvernement fédéral et l’Administration régionale Kativik pour confier aux Inuit du Nunavik : « la réalisation des immobilisations, l’aménagement et la gestion du parc de la Kuururjuaq » (Conseil canadien des Parcs 2011: 51). Par le biais de cette initiative, on cherche à mettre à profit les connaissances traditionnelles des Inuit pour conserver le patrimoine dans la région située à l’intérieur du parc. Avec ce savoir, les Inuit veulent mettre en évidence le « paysage invisible » qui : « exprime leur conception de l’harmonie qui règne entre le patrimoine naturel et spirituel » (Conseil canadien des Parcs 2011: 53)11.

Initiatives autochtones

Les cas présentés précédemment étaient des initiatives émanant de divers paliers de gouvernement, auxquelles les Autochtones ont participé d’une quelconque façon. Dans

11Plusieurs autres exemples, qui n’ont pas été élaborés dans le présent travail, peuvent être cités:

Wood Buffalo National Park, Saskatchewan (Beltran 2000: 59), Prince Albert National Park, Saskatchewan, Quetico Provincial Park, Ontario (Gladu & al. 2003), Fort Carlton, Saskatchewan, Le parc territorial Qikiqtaruk, Yukon (Conseil canadien des Parcs 2011: 33).

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cette section, il sera question de cas canadiens où ce sont les Autochtones eux-mêmes qui ont pris l’initiative dans des processus de création d’aires protégées.

Au Nunavut, le gouvernement a institutionnalisé le concept de paysages culturels. Le service des parcs territoriaux et des lieux exceptionnels du Nunavut vise à protéger un savoir que les communautés jugent important et qu’elles craignent de voir disparaître avec les ainés. La production de ce « paysage culturel » met en valeur l’intégration des humains et de la nature. Ils définissent le paysage culturel comme : « des vestiges naturels et humains associés à l’activité humaine et revêtant une importance particulière pour des personnes ou un groupe » (Conseil canadien des Parcs 2011: 6). Pour appliquer cette notion de paysage culturel et en arriver à protéger un territoire, ils procèdent à une organisation technocratique des connaissances sur le territoire en question, en les cartographiant, les triant et les enregistrant (Conseil canadien des Parcs 2011 : 7). Ainsi, le savoir produit circule pour ensuite être appliqué à la création de parcs nationaux.

Au Nouveau-Brunswick, la Nation Mi’kmaq a mandaté la société Metepenagiag Heritage Park Inc. pour mettre sur pied le projet de parc du patrimoine Metepenagiag. Le conseil de bande est responsable de ce projet visant à protéger deux sites archéologiques autochtones (Tumulus-Augustine et Oxbow). Le conseil de bande est en outre responsable d’établir des partenariats et d’obtenir du financement. Les ainés ont un rôle prédominant, ils « donnent des indications sur ce que l’on peut faire connaître, facilitent la prise de décisions et voient à l’élaboration sur l’authenticité et l’intégrité du projet » (Conseil canadien des Parcs 2011: 43).

La Colombie-Britannique semble être la province canadienne où les aires protégées initiées par les Autochtones sont les plus répandues. On retrouve d’ailleurs dans cette province une forme d’aire protégée nommée conservancies, qui a été créée: « expressly to recognize the importance of some natural areas to First Nations for food, social and ceremonial purposes » (BC 2011 dans Turner & Bitoni 2011). Dans le processus de création de ces aires protégées, les Premières nations sont consultées dès le moment de circonscrire une nouvelle conservancy. Bien que ce concept semble s’insérer dans ce qui a été identifié plus haut comme des ICCA, le modèle des conservancies demeure tout de même particulier au Canada dans la mesure où il est légiféré par les lois de la

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