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Chapitre 4 : Production des savoirs, aspirations et projets de la Nation huronne-

5.1 Circulation des savoirs

5.1.2 Financement

L’obtention de financement est essentielle à la réalisation d’un projet tel celui décrit ici. Beaucoup des efforts de l’équipe du Bureau du Nionwentsïo ont été consacrés à cette tâche, dans la mesure où les ressources financières disponibles influencent directement les énergies qui peuvent être déployées pour faire circuler les savoirs produits dans le cadre du projet d’aire protégée. Les savoirs produits visaient, d’un point de vue pratique, à monter un dossier pouvant appuyer l’implantation d’une aire protégée. Ces données en main, il était nécessaire de trouver du financement supplémentaire pour les analyser et les communiquer puisque, comme mentionné ci-haut, le Conseil de la Nation ne possède pas la latitude financière nécessaire pour financer entièrement ce projet.

La question du financement, en plus d’être récurrente dans les entrevues que j’aie menées, revient aussi dans les rapports produits par le Bureau du Nionwentsïo sur d’autres

dossiers que celui de l’aire protégée. Ainsi, protéger des zones d’intérêt pour la Nation huronne-wendat sur le territoire, même lorsque ce n’est pas par le biais d’une aire protégée, devient extrêmement compliqué. Peu importe le type de protection, des fonds doivent être mobilisés et il semble que le financement octroyé par les gouvernements ne convienne pas aux besoins de la Nation, non seulement dans le cadre du projet d’aire protégée, mais en règle générale27. Dans un document portant sur les zones d’intérêt de la Nation huronne-

wendat sur le territoire de la Capitale Nationale, il est indiqué que: « La Nation huronne- wendat doit […] réaliser un tour de force administratif pour dégager de modestes sommes, d’année en année, afin d’identifier les zones à protéger à même les secteurs où les industriels forestiers prévoient opérer à très court terme » (Bureau du Nionwetsïo 2013 : 1). Le financement constitue donc un levier central du pouvoir d’action de la Nation sur son territoire.

Dans le cadre du projet d’aire protégée, les recherches de financement se firent auprès de plusieurs organisations gouvernementales. Les membres du Bureau du Nionwentsïo ont d’abord essayé de contacter eux-mêmes plusieurs ministères du gouvernement québécois, sans grand succès. Puis, ils s’adressèrent à la Conférence régionale des élus de la Capitale Nationale, qui leur a répondu que leur projet n’était pas assez avancé pour pouvoir être éligible à leurs programmes de financement (Entrevue 09B 2015). Cet aspect constitue d’ailleurs un problème structurel central puisque l’appel de projets d’aires protégées de la CRÉ présumait que les acteurs soumettant un projet d’aire protégée possédaient déjà des moyens financiers suffisants pour élaborer ce genre de projet. Par contre, dans le cas de la Nation huronne-wendat, ces fonds n’étaient pas au rendez- vous, ce qui paradoxalement leur fermait la porte vers du financement supplémentaire.

Des employés du Bureau du Nionwentsïo prirent aussi contact avec un employé responsable de la recherche de financement au Secrétariat aux Affaires autochtones du Québec (SAA) pour que cette personne les aide à trouver des moyens financiers en

27Rappelons que le territoire du Nionwentsïo s’étend « [du] territoire situé entre la rivière Saint-

Maurice au sud-ouest et la rivière Saguenay au nord-est jusqu’aux limites du lac Saint-Jean au nord. La portion du Nionwentsïo se trouvant au sud du fleuve Saint-Laurent s’étend vers le sud jusqu’à la rivière Saint-Jean vers l’est approximativement en direction de la ville d’Edmundston » (Bureau du Nionwentsïo 2011 : 8), et que la Nation huronne-wendat est consultée sur une multitude de projets sur l’ensemble de ce vaste territoire, ce qui demande des ressources considérables.

explorant les divers programmes de financements offerts par les ministères susceptibles d’être intéressés par leur projet. Les réponses à ces demandes furent toutes négatives. D’abord, ces demandes furent adressées au Ministère du développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), au Ministère des ressources naturelles (MRN) et au Secrétariat aux affaires autochtones (SAA). Tous ont répondu par un refus en soutenant que le projet de la Nation huronne- wendat ne cadrait pas dans leurs programmes de financement. Ensuite, une demande a été adressée au Ministère de la Culture et de la Communication (MCC). Le projet d’aire protégée pouvait cadrer dans un des programmes qu’ils proposaient, mais d’autres dossiers ont été considérés comme préférables à celui de la Nation huronne-wendat (Entrevue 01G 2015, Entrevue 02E 2015).

Le manque chronique de financement a provoqué un sérieux ralentissement de tous les volets du projet. D’ailleurs, aucun employé du Bureau du Nionwentsïo ne pouvait se charger spécifiquement de ce dossier, étant donné la charge de travail déjà considérable de chacun (Entrevue 01G 2015, Entrevue 04F 2015, Entrevue 11E 2015, Entrevue 07D 2015). L’absence de financement les a plongés dans un cercle vicieux qui ne leur permet pas de porter leur projet à bien et de concrétiser leurs aspirations. S’ils n’ont pas d’argent, ils ne peuvent pas continuer les campagnes terrain, si leurs campagnes terrain cessent, il leur devient impossible de continuer d’étayer le dossier justifiant la nécessité de la création d’une aire protégée, et sans un dossier déjà bien avancé, aucun financement ne leur est accordé (Entrevue 03A 2015). Par contre, bien que les questions de financement constituent le nœud du problème actuel, les rentrées d’argent ne remédieraient pas à elles seules à tous les obstacles rencontrés jusqu’à maintenant. Le financement provenant des instances gouvernementales québécoises, lorsqu’il est accordé, n’est généralement versé qu’à la fin de l’été. Dans le cadre d’une recherche portant notamment sur des éléments biologiques, la période de l’année durant laquelle les recherches terrain peuvent être effectuées est relativement courte et circonscrite. Ainsi, des financements ponctuels ne permettent pas de faire des relevés à longueur d’année, relevés qui permettraient d’avoir un réel portrait des caractéristiques floristiques ou fauniques du territoire, étant donné entre autres la spécificité de certaines plantes à n’être visibles qu’à un certain moment de l’année (Entrevue 09B 2015).

La question du financement est récurrente chez les Peuples autochtones du Canada. Certains auteurs ont d’ailleurs remarqué que même lorsqu’il y a dévolution de pouvoirs dans le cadre de gestions de ressources naturelles, donc lorsqu’un effort délibéré est fait pour donner plus de responsabilités aux communautés ou aux nations autochtones, trop souvent, le support financier n’est pas au rendez-vous, rendant ainsi les efforts des Autochtones beaucoup plus difficiles (Natcher et Davis 2007 : 276). Dans le cas de l’aire protégée huronne-wendat, la non-reconnaissance de la valeur du projet a été une entrave majeure aux efforts faits par le Bureau du Nionwentsïo pour trouver les fonds nécessaires pour financer ce projet. Comme l’expliquent Natcher et Davis (2007), le fait que ce soient souvent les gouvernements qui imposent leurs conditions au financement des projets de gestion territoriale autochtones, affecte beaucoup la capacité de ceux-ci à innover et à mener des initiatives autonomes : « the high degree of conditionality attached to funding has limited the ability of Firsts Nation to implement alternatives to existing government programs » (Natcher et Davis 2007 : 276). D’ailleurs, dans une entrevue accordée à la revue Histoire forestière du Québec, un employé du Bureau du Nionwentsïo expliquait que les demandes de consultations provenant essentiellement du gouvernement québécois sont tellement nombreuses que pour toutes leur répondre, il leur faudrait du financement et des ressources supplémentaires (Théberge 2012 : 65). Ainsi, nous constatons que la majorité du financement concernant la gestion du territoire accordé par le gouvernement provincial à la Nation huronne-wendat sert à ce que le gouvernement puisse recevoir des réponses à ses propres demandes de consultation.

Au Québec, il existe la possibilité de créer des aires protégées où sont permises certaines activités humaines (Deshaies 2014). Ces aires, dites de type polyvalent, paraissent correspondre à celle que les Hurons-Wendat désirent créer. Cependant, il semble que malgré tous les efforts fournis, le projet proposé par la Nation huronne-wendat ne plaise pas. Jusqu’à présent, dans ce chapitre, les données présentées semblent faire le constat d’un échec, d’une absence de circulation du projet au sein des instances gouvernementales. Que ce soit par le peu de répercussions que le projet a eues auprès de ceux à qui il a été présenté ou par l’impossibilité de trouver du financement, une initiative autochtone telle que le projet d’aire protégée semble ne pas pouvoir trouver sa place au sein des institutions québécoises et de son système bureaucratique. Il sera donc question, dans les sections qui

suivent, de comprendre comment la structure institutionnelle et bureaucratique de l’État québécois semble peu propice à la réalisation des aspirations territoriales autochtones et conséquemment, à la circulation en leur sein de ces aspirations et des savoirs qui les constituent.

5.2 Les institutions

Comme l’indiquent les données présentées dans la section précédente, les savoirs produits dans le cadre du projet d’aire protégée ont essentiellement circulé à l’intérieur des institutions étatiques québécoises. Cette circulation fut cependant très limitée et n’eut que peu d’effet sur l’évolution du projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat. Pour comprendre ce phénomène, je m’attarde dans la présente section à lier le concept d’institution et les données présentées ci-haut pour pouvoir analyser cette faible circulation des savoirs avec des outils conceptuels adéquats.

Plusieurs auteurs en sciences sociales se sont penchés sur les institutions et ont cherché à comprendre leurs fondements et leurs fonctionnements. Ces questions ont constamment été au cœur des sciences sociales, et des travaux d’auteurs influents comme Durkheim, Mauss, Parsons ou Goffman (Balandier 2004). Tôt, les durkheimiens ont proposé une définition large de l’institution en la définissant comme: « Un organisme relativement stable, soumis à des règles de fonctionnement et accomplissant des fonctions sociales spécifiques » (Balandier 2004 [1986] : 21). Mais pour éclairer les données présentées dans la présente recherche, j’utiliserai ce que Schotter (1981) qualifie de définition pointue. Il conceptualise les institutions comme: « des machines à penser ayant la charge des décisions les plus routinières, ou […] des réducteurs d’entropie » (Balandier 2004 [1986] : 21). C’est précisément ce type d’institutions auxquelles doivent faire face les Hurons-Wendat lorsqu’ils essaient d’y faire circuler, et accepter, un projet. Leur projet, étant traité de façon très routinière, ne peut pas y circuler puisque les institutions de l’État québécois, en tant que réductrices d’entropie, sont très étroitement contraintes par leurs propres règles et les catégories qui y sont associées. Inversement, elles ne savent

généralement trop que faire des sollicitations qui cadrent mal avec le principe d’ordre qu’elles sont chargées de reproduire.

La réduction d’entropie se concrétise par une mainmise sur un futur désiré. C’est-à- dire que par l’entremise des décisions les plus routinières dans la sphère de compétence qui lui est reconnue, et par l’attribution des ressources dont elle a la charge, l’institution impose ses règles et catégories jusqu’à réduire au maximum tous les vecteurs de changements possibles. L’institution s’attarde à produire un futur singulier qui, par défaut, empêche la pluralité des projets. Comme l’explique bien De Pina-Cabral : « Instituting, thus, is a future-oriented gesture that invests a set of patterns with conditions of continuity : it is a singularity project » (De Pina-Cabral 2011 : 492). Ce faisant, les actes institutionnalisant sont projetés vers le futur, se l’approprient et ne laissent pas de place à d’autres interprétations ou plutôt d’autres projections puisqu’elles ne se conforment pas au projet de l’institution. Pour se donner les moyens de cette production d’un futur singulier, l’institution se doit de se l’approprier jusque dans ses plus petits détails.

Cette construction d’un futur singulier se répercute notamment sur le type de programmes de financement mis en place par le gouvernement. Prenons l’exemple des programmes de financement concernant le projet d’aire protégée de la Nation huronne- wendat. Le projet d’aire protégée, comme expliqué précédemment, a été refusé par tous les ministères du gouvernement québécois susceptibles d’être partenaires dans ce genre d’initiative. Ainsi, il devient évident que le projet proposé par la Nation huronne-wendat ne correspond pas aux aspirations institutionnelles portant sur le territoire québécois. Ne cadrant pas dans les normes des programmes de financement, le projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat, s’il était porté à bien, constituerait forcément un vecteur de changements. Mais cette transformation ne trouve pas sa place et ainsi, l’institution accomplit son rôle de réducteur d’entropie. Au Québec, cette tendance réductrice se fait sentir aussi à un niveau interministériel. Lorsqu’il est question d’un projet impliquant des Autochtones, tous les ministères québécois doivent suivre les orientations gouvernementales et particulièrement lorsqu’il est question des politiques territoriales. Chaque fois qu’une question autochtone est soulevée, le Serétariat aux affaires autochtones (SAA) s’assure que les ministères respectent les lignes directrices du gouvernement

(Entrevue 04G 2015). En effet, si le projet d’aire protégée des Hurons-Wendat vient contrevenir à une quelconque orientation gouvernementale, celui-ci ne pourra pas être appuyé par l’appareil étatique. Lorsqu’il est question de projets de Nations autochtones au Québec en général, et de projets menés par la Nation huronne-wendat en particulier, la participation financière du gouvernement provincial est souvent un prérequis important. Ainsi, cette forme de dépendance face au financement étatique contribue à contraindre plusieurs communautés et nations autochtones à adopter le futur institutionnel dans tous les projets nécessitant des moyens financiers importants.

Outre la participation financière, un projet d’aire protégée autochtone en soi constitue en lui-même une dérogation du projet singulier de l’institution étatique québécoise. Comme un interlocuteur me l’a appris, il n’existe au Québec aucune aire protégée autochtone à strictement parler et l’éventualité d’une telle forme d’aire protégée, en fonction des régulations actuelles, ne se retrouve pas selon lui dans le spectre des possibles de l’appareil bureaucratique québécois. En fait, une aire protégée est un statut accordé à un territoire particulier qui émane d’une loi du Québec. Une fois ce statut accordé, il implique l’application d’un nouveau régime d’activités sur une portion de territoire donné. Ainsi, la création d’aires protégées reste une prérogative de l’État québécois, même si ce statut peut avantager les communautés et les nations autochtones concernées (Entrevue 05F 2015).

La même logique s’applique à des exemples plus pointus émanant du processus de création de l’aire protégée huronne-wendat. Dans son désir de produire des savoirs à caractère biologique pour justifier la création de l’aire protégée, l’équipe du Bureau du Nionwentsïo s’est attardée entre autres à produire des données sur les milieux humides. Cependant, lorsqu’un employé est entré en contact avec un responsable du gouvernement québécois pour s’informer sur la protection des milieux humides en sol québécois, on lui a répondu qu’il existe déjà une forme de protection des milieux humides au Québec et que conséquemment, la présence de ce type d’écosystème ne pourrait pas justifier la création d’une aire protégée sur un territoire donné (Entrevue 06B 2015).

Nulle part il n’est indiqué qu’une nation ou une communauté autochtone ne peut pas créer d’aire protégée. Par contre, l’appropriation systématique par les institutions de chacun

de ces éléments de décisions routinières coupe l’herbe sous le pied à quiconque chercherait à proposer un projet porteur d’un futur alternatif à un appareil institutionnel s’étant déjà approprié la légitimité des actions orientées vers le futur. Comme l’expliquait Douglas en parlant des institutions : « Une réponse ne sera considérée comme la bonne que dans la mesure où elle rencontre la pensée institutionnelle qu’ont déjà en tête les individus au moment où ils entreprennent de décider » (Douglas 2004 [1986] : 32). Cette assertion implique aussi que, tout en n’affirmant pas posséder un monopole du futur, la pensée des institutions contraint les actions des individus en réduisant à un minimum la variété des possibles.

Pour créer cette impression de monopole sur le futur, les institutions se matérialisent à travers le système bureaucratique qui, dans les mots de Castoriadis, oriente ses actions dans une perspective d’ « anticipation systématique de l’avenir » (Castoriadis 1975 : 239). Dans la section qui suit, je m’attarderai, pour pousser plus loin la réflexion, à essayer de comprendre les logiques institutionnelles dans leurs pratiques courantes. En fait, je tenterai de comprendre concrètement l’institution plutôt comme une organisation, qui peut être conceptualisée comme une institution matérialisée (Garsten et Nyqvist 2013 : 5). L’élément constituant de l’État québécois, si on le conçoit comme une organisation, est son système bureaucratique. C’est à travers l’activité des employés de l’État et à travers le fonctionnement inhérent à la bureaucratie que se jouent pragmatiquement les rapports entre les Peuples autochtones et l’État. Dans le cadre du projet d’aire protégée, c’est à travers ces rapports que s’est produit l’essentiel de la circulation des savoirs produits.

5.3 Bureaucratie

Organisations may be seen as circuits of power, in which normative frameworks are produced and globally diffused, where knowledge is crafted and circulated and from where packages of ideas are diffused (Garsten et Nyqvist 2013 : 4). Nous attarder au fonctionnement de l’appareil bureaucratique, dans quelques-unes de ses grandes lignes, pourra ici permettre de signifier certains des problèmes de circulation ayant été observés dans le cadre du projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat. La

structure bureaucratique constitue en elle-même un monde complexe dans lequel il est souvent difficile pour un groupe autochtone d’y insérer ses aspirations.

L’approche qui semble avoir le plus marqué les sciences sociales en terme d’analyse des bureaucraties est celle de Weber. Il fut en fait le premier à s’intéresser précisément à la bureaucratie en tant qu’objet d’étude sociologique. Il voyait dans les systèmes bureaucratiques l’incarnation de la raison. En fait, Weber parlait de la bureaucratie comme d’une institutionnalisation de la rationalité (Weber 1946). Cette rationalité devient l’élément justificateur de la confiance accordée à l’appareil bureaucratique et surtout de son autolégitimation. En assoyant sa crédibilité sur cette rationalité, la bureaucratie vient légitimer les savoirs qu’elle produit et, réciproquement, participe à la reproduction de l’autorité de cette rationalité particulière. En fait, le pouvoir bureaucratique est intimement lié au savoir (Garsten et Nyqvist 2013 : 9). Elle-même productrice de savoir, la bureaucratie légitime son savoir en présentant ce dernier comme une extension, ou une condition, de ses propres activités, légalement sanctionnées. Du même coup elle se trouve souvent à délégitimer les productions concurrentes, produites selon des méthodes ou des cadres épistémologiques autres que ceux alimentant le pouvoir bureaucratique et émanant de lui. C’est cette nécessité de parler le langage de la bureaucratie qui viendrait expliquer l’effort fait par la Nation huronne-wendat pour produire des savoirs techno-scientifiques dans le cadre de leurs actions sur le territoire. La rationalité particulière qui se trouve instituée dans l’appareil bureaucratique québécois n’influence d’ailleurs pas uniquement la production et la consommation des savoirs, mais bien l’entièreté du fonctionnement du système bureaucratique.

La rationalité particulière que s’impose la bureaucratie est cependant difficilement réconciliable avec la réalité des populations autochtones. Comme me l’expliquait l’un de mes interlocuteurs, les ministères ont le devoir de s’assurer que chaque acteur touché par un dossier se sente confortable dans les décisions prises par un ministère, qu’il soit autochtone ou non (Entrevue 01C 2015). Cette affirmation traduit une ligne éthique que s’imposent les ministères et qui se construit sur la gestion rationnelle de l’État, soit une gestion qui se veut égalitaire pour tous. Comme l’explique Grammond, spécifiquement pour le Québec :

La gouvernance étatique centralisée suppose une approche scientifique de la gestion du territoire. […] Or, étant donné que le savoir scientifique obéit à une logique rationnelle et universalisante, l’adoption de la science comme critère de gouvernance conduit à privilégier des solutions uniformes à travers le Québec, ce qui renforce la tendance