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Rêve et trauma : réflexions d'une psychologue

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Rêve et trauma : réflexions d'une psychologue

D. HADDADI Maître de Conférences de psychologie clinique Université d’Alger

Introduction

'occuper des rêves, paraît outrepasser les prérogatives d'une psychologue, car leur déchiffrage passant du contenu manifeste, au contenu latent (Freud S., 1900), par exemple, suppose un tout autre cadre que celui qui va servir à notre réflexion. Toujours est-il, que malgré la délimitation des champs d'intervention, l'aide psycholo- gique que nous offrons à la demande des traumatisés, favorise l'instau- ration d'une relation dans laquelle les rêves occupent une place non négligeable du discours des patients et les préoccupent autant que toute autre manifestation psychologique. Ils perturbent leur sommeil ce qui entrave considérablement, la journée, leur bien être. Intimement liés au fonctionnement psychique (Braunschweig D., Fain M., 1975), les rêves dans le cas des personnes ayant subi des traumas réels, se présentent avec la récurrence de certaines caractéristiques, sans pour autant obéir à une quelconque généralisation. L'absence des cauche- mars attendus dans pareils cas, en est significative. Les rêves nous interpellent davantage dans la mesure où ils semblent refléter des indi- cateurs précieux de l'évolution de la thérapie que nous préconisons dans ces cas. Aussi, au départ, ils apprécient les dispositions traumato- lytiques (Ferenczi S., 1927-1933) : «... l'état d'inconscience, c'est à dire l'état de sommeil, favorise non seulement la domination du prin- cipe du plaisir (la fonction d'accomplissement de désir du rêve), mais aussi le retour d'impressions sensibles, traumatiques, non résolues, qui aspirent à la résolution (fonction traumatolytique du rêve (p. 143) ».

C'est par le détour de la clinique, mais aussi par les données recueillies lors d'une recherche systématique sur l'équilibre psychosomatique des dermatoses, que sera exposée une réflexion sur le rêve et le trauma.

Partant de l'hypothèse que des événements ne sont considérés comme traumatiques, que par la quantité des désorganisations qu'ils provo- quent, l'altération de l'équilibre des individus suite à ces événements traumatiques, s'explique en grande partie par, d'un côté leur structure psychique, et d'un autre, par la qualité de leur fonctionnement, avant le traumatisme. L'état traumatique ne peut donc pas faire l'impasse de

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leurs histoires personnelles, tout aussi singulières les unes que les autres. Ma pratique clinique, auprès de ce type de population, semble découvrir une covariation des particularités psychologiques majeures, (Marty P., 1989) avant la survenue du trauma et des capacités à l'éla- borer, grâce certainement en grande partie, à l'aide psychologique qui leur est offerte, largement tributaire de leurs propres ressources.

La covariation va aussi de pair avec un changement notable de leur équilibre, se traduisant par une vie onirique de meilleure qualité.

Cependant, en mettant à l'épreuve cette hypothèse, à savoir le lien entre les particularités psychologiques et les capacités à élaborer le trauma, une certaine étiopathogénie de l'événement traumatique réel semble s'imposer comme hypothèse assez plausible. Elle est nettement perceptible chez les enfants semblant jouir d'une bonne santé somato- psychique avant la survenue du trauma, laquelle, cette santé, se dé- grade considérablement après le trauma. On constate, dans ces condi- tions, la survenue brutale de cauchemars qui alerte l'entourage et mo- tive la consultation. Dans ce cas tout prête à croire que, sans la surve- nue de certaines situations traumatiques, la vie de l'enfant aurait connu une destinée des plus « normales ». La même hypothèse semble s'ap- pliquer à l'adulte.

Quant à l'intervention psychologique obéissant au principe de l'éta- blissement des connexions entre l'événement traumatique et les élé- ments de l'histoire personnelle, les rêves, témoignent souvent de ces liens qui semblent s'établir souvent avec un grand décalage temporel avec la réalité. Ils sont donc annonciateurs d'une étape de bon aloi dans la prise en charge.

Arguments Cliniques

Nombreuses sont les illustrations sur lesquelles s'appuient ces hypo- thèses. Cependant, elles ne peuvent faire l'objet, dans le cadre de cette synthèse d'une étude exhaustive. Aussi, je n'exposerai que celles qui étayent les différents cas de figure auxquels la pratique clinique me confronte.

D'abord, une différence de taille semble s'imposer entre les deux types de clinique que je questionne quotidiennement à savoir celle de der- matologie et celle du Centre d'Aide Psychologique Universitaire. Dans la première, les patients présentent des dermatoses chroniques, tandis que dans la deuxième, ils consultent pour une souffrance psycholo- gique. Pour cette dernière population, même si les plaintes corporelles existent, elles sont rarement lésionnelles et ne font l'objet de préoccu- pations, que rattachées à des représentations et des affects évoquant les différents registres de fonctionnement psychique : névrose, psy- chose et perversion. Les défenses mentales de type obsessionnel, hys-

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térique, psychotique voire narcissique, même s'ils entretiennent la souffrance psychique semble constituer une barrière assez solide pour empêcher des processus de somatisation (Haddadi D., 1999). Tel n'est pas le cas pour la population de dermatologie. Ceci bien évidemment dans des circonstances où les personnes qui consultent ne sont pas sous l'effet récent d'un événement réel auquel ils rattachent avec insis- tance leur désorganisation somato-psychique. C'est ainsi que de 1994 à aujourd'hui, la clinique psychologique offre une symptomatologie assez typique se reflétant par des qualités de la vie onirique tout aussi typique. Familiarisée quelque peu avec ce type de manifestations chez des enfants, adolescents et adultes ayant subi des accidents de la circu- lation, ayant survécu aux tremblements de terre, aux accidents domes- tiques (déflagration provoquée par le gaz par exemple) et aux noyades, les événements liés au terrorisme semblent se rapprocher davantage de ce type de clinique rencontrée en temps de paix civile. L'effet de sur- prise noté par la littérature dans ce domaine semble donc confirmé.

Mais la question du choix de la désorganisation reste posée. Pourquoi, perd-on ses cheveux, manifeste t-on un psoriasis généralisé pour la première fois de sa vie à l'âge de 46 ans ou même plus tard, lorsque l'on vit des scènes d'horreur telles l'égorgement de personnes ou l'assassinat de proches par les terroristes.

Pour quelles raisons, pour les mêmes motifs, d'autres personnes pré- sentent des phobies, de la persécution, des troubles de l'humeur, des troubles instrumentaux touchant le langage et la motricité sans at- teindre pour autant la sphère somatique ? La confrontation des récits des rêves avec les données recueillies par d'autres types de discours (entretiens, épreuves de personnalité, épreuves d'efficience) semblent donner des éléments de réponse qui seront esquissés dans ce qui suit.

Dans les deux types de réactions, il s'agit semble t- il de désorganisa- tions fonctionnelles dont la quantité témoigne plus de l'état d'organisa- tion anté-traumatique que de la qualité et de la quantité de l'événement lui même.

Données des investigations préliminaires

Qu'elles soient issues d'une recherche systématique obéissant à un protocole expérimental bien précis ou de la clinique, avec l'expectative recommandée, ces données montrent toujours des différences signifi- catives entre nos deux populations, celle de dermatologie et celle du Centre d'Aide Psychologique Universitaire (CAPU). La sollicitation des rêves par l'entretien clinique d'inspiration psychosomatique (P.

Marty, 1994), lorsque les rêves ne sont pas abordés spontanément par les patients, a contribué à ce recueil de données. Avec l'approche psy-

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chosomatique, pour chaque patient, l'activité onirique a été donc sys- tématiquement explorée.

En dermatologie

C'est chez cette population que sont rencontrés le plus, les rêves opé- ratoires, les rêves crus et l'absence des rêves.

L'absence des rêves : absence effective, certes discutable du point de vue neurologique, se confirmant dans les données projectives par l'inexistence de traces du refoulement, pouvant induire l'oubli du rêve.

Après l'assassinat le même jour de son mari et de son fils par des ter- roristes, une femme âgée de 46 ans présente un psoriasis généralisé.

Toutes les nuits avant de dormir, elle priait Dieu de faire de sorte pour qu'elle puisse les revoir dans ses rêves. Deux ans après cet événement tragique, elle ne réussissait toujours pas à exhausser ce vœu. Cepen- dant, la journée, elle maintenait leurs photos à sa proximité et avait tenu à garder en l'état les affaires de son mari et de son fils. Elle reni- flait leurs odeurs et éprouvait un besoin irrésistible de retrouver leurs affaires, tachées encore de sang, puisqu'il n'était pas question pour elle de les laver. L'événement a donc provoqué une désorganisation telle que cette patiente a perdu la capacité de produire des représentations.

L'accrochage au sensoriel témoigne en revanche de ses difficultés à établir des relations avec des objets internes susceptibles d'alimenter sa vie onirique.

Les rêves opératoires : une jeune femme, âgée de 29 ans, présente une pelade décalvante totale, à la suite, disait-elle, de l'horreur qu'elle avait vécue une nuit, en compagnie de terroristes. Ces derniers, à la re- cherche de son mari, absent ce jour là, avait ligoté ses beaux frères et son beau père les préparant ainsi à l'égorgement. Face à cet événe- ment, elle a continué, comme à l'habitude, de faire des rêves reprodui- sant sans transformation aucune les activités banales de la journée ou préparant celles du lendemain. Pourtant, la terreur l'habitait toujours, puisqu'elle sursautait encore au bruit du tonnerre, l'assimilant à celui de la déflagration d'une bombe.

Les rêves répétitifs : ne semblent, auprès de cette population corres- pondre ni à ceux des névroses traumatiques, ni à ceux des névrosés mentaux, car ils ne répètent pas l'événement traumatique, ils n'accè- dent pas, non plus à une mise en scène pouvant témoigner de straté- gies défensives, consistant à rendre les désirs du rêveur méconnais- sables par le conscient. Sans interrompre le sommeil, ils sont accom- pagnés d'une grande terreur et ne font l'objet d'aucune association mises à part celles d'événements réellement vécus dont les sujets ne semblent garder qu'une mémoire sensori-motrice. Cette mémoire sen- sorielle, le plus souvent vestibulaire d'ailleurs, sous forme de chutes,

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rappelle un holding mal assuré laissant au sujet un souvenir de sa dé- chéance réactivée par les événements liés au terrorisme ou tout autre traumatisme, y compris celui causé par son affection dermatologique.

Aussitôt les yeux fermés, ces sujets ne voient pas les terroristes qui les avaient réellement menacés ou causé des massacres vus et entendus, ils se voient tomber d'une falaise ou perdre l'équilibre. L'affect de terreur est cependant associé à ces événements, accentué par leur ma- ladie. Une lutte insupportable s'oppose au sommeil, ils se réveillent avec une sensation de fourmillement, d'engourdissement de tout le corps.

Les rêves crus : L'horreur vécue par les événements du terrorisme alimentent pour certains sujets des récits de rêve tellement crus qu'ils provoquent l'étonnement voire la sidération pour ceux qui les écou- tent. Ce sont des rêves où la vie pulsionnelle, sexualité et agressivité, s'exprime, sans la moindre retenue. L'inceste est également présent.

Même dans ce cas de figure, le travail de transformation semble ab- sent. Les personnes vues dans les rêves sont immédiatement recon- nues et les désirs agressifs et sexuels même incestueux du rêveur satis- faits. Dans la réalité, ce sont plutôt des personnes inhibés dans l'ex- pression de leurs désirs se présentant avec une très grande chasteté motivée consciemment par des principes moraux et religieux.

Ces illustrations ainsi que d'autres montrent auprès de la population de dermatologie que les rêves répétitifs traumatiques ne s'observent pas systématiquement chez les personnes ayant vécu des scènes trauma- tiques. Cependant, la question de l'absence de ce type de rêves auprès de cette population trouve des éléments de réponse auprès de la popu- lation du CAPU.

Au Centre d'Aide Psychologique Universitaire

Avant 1994, c'est auprès de cette population que les rêves répétitifs traumatiques se sont donnés à voir chez des personnes qui réagissaient de la sorte à des événements récents et réels, les laissant dans une sidération totale se protégeant la journée par l'évitement de tout ce qui leur rappelle l'événement et la nuit répétant cet événement avec l'effroi qu'il a réellement provoqué. Les événements liés au terrorisme se sont manifestés par une vie onirique de même qualité à savoir la répétition dans les détails (images et affects) des événements vécus directement ou même indirectement. L'histoire de ces sujets, montre des particula- rités psychologiques majeures pouvant supposer des capacités à gérer de manière générale les aléas de la vie. Les défenses mentales à leur disposition avant l'événement traumatique qui a motivé leurs cauche- mars semblent leur permettre de reconnaître l'aspect étrange de ce qu'ils ont vécu, auquel ils opposent un travail de maîtrise en le répé-

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tant dans leurs cauchemars. L'appareil psychique ne semble pas perdre totalement son rôle de système de protection, il effectue un travail de figuration de l'événement. L'effraction du pare-excitation externe ne semble pas atteindre la peau psychique laquelle favorise dans l'état de sommeil la constitution de la pellicule du rêve au sens de D. Anzieu, 1985), pellicule visuelle, mais aussi auditive, olfactive voire gustative.

Cela laisse entendre très probablement aussi des capacités à régresser au stade d'un environnement mère dans lequel la sensorio-motricité constitue un point de repli utile permettant d'abord le colmatage des brèches provoquées par l'effraction, ensuite l'intégration progressive de l'événement à l'histoire psycho-affective.

Par ailleurs et dans les mêmes circonstances, toujours auprès de cette population, l'observation clinique, montre des différences significa- tives entre cauchemars et rêves traumatiques. Un sujet qui se réveille souvent avec une terreur nocturne en voyant un serpent au moment où dans sa voiture il s'apprêtait à écouter de la musique ou sur son che- min pour rencontrer la jeune fille qu'il a tant désiré voir, ce cauchemar utilisant le serpent comme symbole de la défense de son désir n'a évi- demment rien à voir avec la répétition rencontrée dans les rêves trau- matiques. Les rêves traumatiques sont la preuve de l'échec du travail de transformation en possession de ce phobique. L'insensibilité aux événements de violence terroriste, chez cette population se traduit par une activité onirique habituelle de ce type, soit chez des sujets de structure névrotique ou psychotique symptomatologiquement organi- sée. La symptomatologie mentale positive, semble donc protéger, l'individu des somatisations mais aussi des traumatismes. La parenté entre névroses actuelles et névroses traumatiques se traduit par une espèce de balayage des représentations dans les deux cas, en laissant les sujets atteints de maladies chroniques, en l'occurrence, celles de la peau, dans l'incapacité à réagir autrement qu'en donnant à leurs excita- tions une voie de frayage dans le soma.

Pour récapituler, les investigations préliminaires, montrent deux cas de figure :

1- Une vie onirique habituelle : dans ce cas, se dessinent deux éven- tualités, celle d'une insensibilité verbalisée aux événements les plus atroces avec l'adoption des mêmes stratégies défensives sauf parfois leur exacerbation. Une très forte sensibilité, sans pour autant modifier la vie onirique habituelle, sous forme de rêves opératoires, crus ou ceux isolés précédemment, reproduisant une déchéance, évoquant des angoisses diffuses.

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2- Des rêves répétitifs traumatiques : rencontrés avec une grande ré- currence chez des personnes « normalo-névrotiques», immédiatement après un événement se caractérisant surtout par sa soudaineté.

Données de la prise en charge psychologique

Le suivi montre d'une manière générale, pour les personnes présentant des rêves répétitifs traumatiques, des dispositions traumatolytiques, au point où, elles me font éprouver un affect de plaisir lorsque je les ren- contre car elles augurent d'un travail psychique grâce auquel mon intervention a de fortes chances d'aboutir à l'élaboration du trauma- tisme.

Pour les besoins de la démonstration, l'illustration clinique suivante permettra d'étayer cette hypothèse.

Un jeune homme âgé de 23 ans se présente sollicitant de l'aide pour la morosité dans laquelle il s'était installé depuis que deux terroristes l'avaient accosté, le dépouillant de son argent et de sa montre en le rouant de coups. Il se rendait ce jour là à son premier rendez-vous avec une jeune fille, avec laquelle il avait entretenu pendant quelques mois un échange épistolaire à travers lequel, des deux côtés, naissaient des sentiments d'amour et de grande tendresse. Echappant à la mort avec quelques blessures, il décide de mettre fin à cette relation tout en gardant le silence sur ce qui lui était arrivé. Trois années après cet événement il ne réussissait pas encore à récupérer le plaisir qu'il avait en projetant la réalisation de certaines ambitions. Sa vie n'avait plus aucun sens. Il continuait, selon son expression, à « vivoter », sans éprouver, ni le plaisir, ni l'intérêt de vivre. Sa passion pour la lecture avait disparu, au point où il se trouvait dans l'incapacité totale de comprendre un texte de quelques lignes, sans le relire plusieurs fois.

L'investigation première montre une très grande inhibition, se tradui- sant dans l'entretien par des silences vides psychiquement. Il ne pense à rien, ne retrouve pas ses souvenirs, en se plaignant d'une sensation de compression dans sa tête. Il dort très difficilement pour voir dans son sommeil la scène traumatique qu'il avait subie. Les épreuves de personnalité, notamment le Rorschach et le TAT, exprime la même inhibition. Au Rorschach, en 24', il donne 10 réponses, ce qui se tra- duit en moyenne par 2' par réponse. Les histoires du TAT, pauvres, sont données en moyenne chacune en 3'. Face à la couleur rouge de la planche II du Rorschach,, il exprime son incapacité à lui trouver un symbole. A l'enquête, il dira : « Je ne sais pas ce que représente le rouge, il me fait penser au sang, ça me rappelle une personne égorgée que j'ai vue ». En effet, en 1994, deux ans avant son accident, il voit deux hommes égorgées dont une porte le même nom de famille que lui.

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Après quelques séances il me parle de trois rêves tournant précise t- il autour du thème suivant : « un homme tire une balle sur moi, je tombe, mais cela me laisse indemne ». Dans l'un de ces trois rêves, il s'agissait d'une bataille entre les kabyles et les arabes, dans son lieu de vie.

Vint ensuite le récit de ce rêve : Sa mère lui demande de donner à un de ses frères la montre qu'elle lui avait offerte réellement. Il lui répond : « je préfère la casser que de la lui donner. Soudain, me dit-il, je me retrouve sur la route qui mène à la ville S., sur le bord de cette route se trouvaient deux jeunes filles avec une femme. Une voiture s'arrête pour les prendre. Elle était conduite par une femme masquée, c'était en fait un homme, un terroriste. La voiture démarre, je me sauve, terrifié par la vue du terroriste. A mon retour, je trouve une autre fille qui attend au bord de la route. Une J5 s'arrête, elle transportait de la pein- ture».

L'angoisse massive provoquée par le terrorisme commence à se lier à des représentations en rapport avec sa vie réelle, par le biais de l'intro- duction de sa mère, de la montre mais aussi de la J5 appartenant réel- lement à un de ses frères. Quant à la peinture, elle évoqua surtout son père.

Vinrent ensuite des séances sans rêves, mais au fil desquelles, tout le matériel s'était focalisé sur ces deux frères, sa mère et son père. Il s'entendait bien avec le frère qui possède la J5, mais haïssait celui à qui il devait donner sa montre dans le rêve. Quant à son père, il lui reprochait de ne s'être jamais occupé de lui. Emigré, il ne le voyait que rarement. De retour au pays, il ne s'occupait que de ses investisse- ments financiers. Il aurait pu l'aider à partir à l'étranger, mais n'a rien fait pour. Il insistait énormément sur les caractéristiques psycholo- giques qu'il a perdues suite à son traumatisme, notamment son avidité pour la lecture laquelle lui a permis de prendre connaissance du mythe de l'Œdipe très jeune. Il cite ensuite les auteurs arabes notamment, Ilia Abou Madi, Djobrane Khalil Djobrane et El Akad. Ce dernier connu pour sa misogynie est apprécié pour sa logique. Quant au premier, il aime sa façon de se mettre contre les pessimistes. Enfin, le deuxième est directement associé au livre « une larme puis un sourire » qu'il avait lu quelques jours avant de rencontrer la jeune fille qui l'attendait.

En parlant de ces auteurs, il me dit : « j'ai acheté la semaine passée le livre, j'attends un enfant ». Mais souligne t- il, que grâce à ses an- ciennes lectures, il s'était rendu compte qu'il connaissait déjà tout ce que contenait ce livre. Il se plaignait de la perte de ses souvenirs d'en- fance mais du mal qu'il a, à chasser de sa mémoire les images de son accident.

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Suite à ses séances, il annule ses consultations pendant une période indéterminée, car disait-il, il avait pris toutes les dispositions pour se rendre à la ville O., chez un ami, en vue de passer quelques jours à la recherche d'un mieux être. Deux mois après, il revient. Il avait passé tout ce temps chez lui auprès surtout de sa mère, car son père était absent. Il avait besoin de faire le point avec lui-même et pense avoir partiellement réussi. Il comprend maintenant les raisons de ses pertur- bations : des souvenirs remontent en surface. A la première séance après son retour, il me rapporte le rêve suivant : il conduisait la J5 de son frère sur une route pleine de crevasses. Deux gendarmes le lais- sent passer, il découvre alors une route fraîchement goudronnée, com- portant quelques crevasses, mais sur laquelle la conduite était beau- coup plus aisée que sur celle qu'il vient de quitter. A ma demande de dire ce qu'évoque ce rêve pour lui, il me répond: « j'entame une nou- velle étape de ma prise en charge. J'ai passé la plus dure et j'aborde une autre probablement moins dure ».

A la deuxième séance après son retour, il se présente, notre rencontre débute par un long silence que j'interromps en le relançant sur ce qu'il m'avait dit à la toute dernière, à savoir les raisons de ses perturbations.

Il me dit alors, que par ce temps il ne peut pas parler. J'interviens pour lui demander de parler de ce temps. « Le gris qui caractérise ce temps me rappelle les images en noir et blanc de la guerre d'Algérie que j'ai l'habitude de voir tout en préférant les éviter, à la télévision et dans les livres scolaires ». Il se met alors à parler de son grand père maternel qui a fait la guerre 39-45, en Allemagne. Il a dû s'absenter de son foyer pendant 7 ans, laissant dans le village sa mère, alors jeune fille avec ses trois sœurs et leur mère. Méprisées et humiliées par l'armée française, la famille de sa mère ne faisait qu'attendre le retour du père, lequel trouve la mort deux années après son retour. Des humiliations subies, la mère, lui a parlé de la violence avec laquelle l'armée fran- çaise effectuait ses rafles en pleine nuit. Quant au père qui habitait le même village, de l'époque coloniale, il n'évoquait que son travail chez un colon qui a dû quitter l'Algérie en 1962. En 1964, le père migre en France jusqu'à sa retraite en 1994. Il a travaillé en tant qu'ouvrier du bâtiment, ce qui avait motivé, l'introduction de la peinture dans un de ses rêves. C'est dans ce village qu'il a vécu jusqu'à l'âge de 8 ans. Les rafles dont parlait la mère ont fait association avec les « visites noc- turnes » des terroristes. Ils venaient demander de l'argent à son père après avoir échoué à lui prendre le fusil de chasse qu'il avait pris soin de cacher dans le jardin. Par contre, ils ont réussi à le dépouiller de sommes importantes d'argent, mais note t- il, ils ont procédé de la sorte avec d'autres personnes. Lors de ces visites, les terroristes

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avaient menacé avec un couteau un de ses frères. L'évocation de cet événement laisse le patient silencieux luttant en vain contre son effon- drement en larmes accompagné de sanglots, l'obligeant à mettre son visage dans ses mains, attendant de pouvoir s'exprimer après cette avalanche qui a duré plus d'un quart d'heure. Récupérant son calme, il évoque les deux souvenirs suivants : à l'âge de huit ans, son frère avec lequel il entretenait une animosité et à qui il devait donner sa montre dans un de ses rêves, l'avait réellement menacé avec un couteau. Une année avant, il assiste avec sa mère à l'enterrement d'un homme assas- siné par son propre cousin pour des problèmes d'héritage. Leur démé- nagement de ce village alors qu'il n'avait que huit ans ne fait l'objet d'aucun commentaire. Par contre, il dira qu'il fut entièrement détruit par les forces de l'ordre à la recherche des terroristes, en 1996. Cepen- dant, la famille s'installe à proximité d'une grande ville, non loin du village en question, en partageant avec l'oncle paternel la même mai- son jusque en 1996. Un autre rêve raconté bien avant ceux rapportés précédemment lui permet d'évoquer le regret d'avoir quitté un cousin paternel suite à leur déménagement en 1996. Ce cousin du même âge que lui avait fait incursion dans un des ses rêves de la manière sui- vante : ils se sont retrouvés dans la même fête. Le patient était très attiré par une jeune fille qui portait un pantalon. L'accoutrement de la jeune fille a induit des associations en rapport avec le hidjab. En effet, les filles qui portent le hidjab, dit-il, ont plus d'arrières pensées que celles qui s'habillent de façon moderne. Quant au cousin, il dira qu'il était son ami, mais qu'à son grand regret il ne le voit plus depuis leur déménagement. Cependant, il n'omet pas de souligner que son cousin est entrain de construire sa propre maison. D'ailleurs note t- il à ce propos, qu'il lui arrive souvent de faire des cauchemars dans lesquels des hommes lui jettent des pierres. Ce type de cauchemars est associé à la jalousie des garçons de son village pour les beaux vêtements que son père lui ramenait de France. Le patient en arrive ensuite à se poser des questions sur sa passivité face à son accident. Il aurait pu facile- ment retrouver ses agresseurs. Il parle ensuite de son désir de faire une carrière dans la police. Ce choix est essentiellement motivé par le plaisir d'user du pouvoir. Suite à cela, il revint sur la menace de son frère qui l'aurait ligoté à un arbre, la tête en bas, avant de lui mettre le couteau à la gorge. En souriant, il me dit : « je demanderais à mon frère les frais des déplacements pour mes consultations, il est en fait responsable de ce qui m'arrive ».

Sans détailler davantage, les quelques exemples de récits de rêves montrent les liens que le patient tisse laborieusement avec son histoire personnelle. L'état traumatique caractérisé par la sidération initiale

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provoquée par la surprise de l'événement semble se dissiper progressi- vement car comblant le vide par des représentations et des affects. Le travail effectué par l'appareil psychique en répétant sous forme de rêves traumatiques l'événement, tout du moins pour ce patient, n'avait probablement pas la chance d'aboutir à tout cet échafaudage sans l'aide de la prise en charge psychologique. Mais d'autres observations où ce type de travail échoue, permettent de mettre en cause les dispositions traumatolytiques très inégales d'un sujet à un autre. Il est clair que le sens donné à tout traumatisme contribue à son élaboration. La succes- sion des rêves découvre le sens que la psyché donne progressivement à cet événement en passant de l'horreur subie à l'horreur liée. Autre- ment dit, l'illustration montre que le patient semble intégrer progressi- vement l'événement traumatique à sa propre histoire et même à celle de ces ancêtres. Le meurtre fratricide constitue un fantasme prégnant dans le conflit de sexe et celui des générations. L'appareil psychique de ce patient soutenu par la relation au clinicien faite de confiance, d'empathie et surtout d'interventions visant à opérer des liens, a facilité la fabrication du sens. Avec les mêmes dispositions du clinicien, en dermatologie, cette tâche est beaucoup plus difficile voire impossible.

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