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Chapitre 1 Le développement de l’ombudsman

1.3. Les caractéristiques

1.3.1. La taxonomie

La figure 1 ci-dessous indique que les ombudsmans du secteur public regroupent les ombudsmans traditionnel, classique, parlementaire, législatif et exécutif, tandis que les ombudsmans du secteur privé prennent en compte les ombudsmans corporatifs et industriels. En discutant de l’ombudsman du secteur public, nous faisons référence à l’ombudsman législatif comme le Protecteur du citoyen Québec qui est un ombudsman législatif et général tout comme le Commissaire parlementaire du Royaume-Uni. Les ombudsmans législatifs sont parfois hybrides comme c’est le cas de la Nouvelle-

Zélande. Il faut dire que depuis les années 1970, des versions hybrides se sont installées un peu partout et traduisent un élargissement des mandats qui incluent désormais la protection des droits de la personne, la lutte contre la corruption, l’éthique des élus publics et la protection de l’environnement (Reif, 2011, p. 271). L’hybridation concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé comme c’est le cas de l’ombudsman du Commonwealth de l’Australie qui agit simultanément dans les deux secteurs ; le privé étant les assurances privées dans le domaine de la santé, les opérateurs postaux et les fournisseurs de service dans le domaine de l’éducation.

En outre, l’ombudsman du secteur public peut être un ombudsman exécutif. Le médiateur de la République de la France jusqu’en 2008 était un ombudsman exécutif et général contrairement à la plupart des médiateurs de la République en Afrique francophone qui sont des ombudsmans exécutifs et hybrides. Actuellement, le défenseur des droits en France est un ombudsman exécutif et hybride du fait de l’ajout du mandat de supervision des droits de la personne.

Les divergences des modèles législatifs

L’ombudsman législatif du secteur public est établi au niveau national, infranational ou municipal de l’État. Il est nommé par la branche législative de l’État auquel il rend des comptes. Il est institué par la constitution et/ou la législation et sa juridiction couvre la légalité et l’équité de l’administration dans plusieurs départements, agences et compagnies d’État (Reif, 2004, p. 26). L’ombudsman législatif ou parlementaire regroupe les ombudsmans traditionnel et classique.

De l’ombudsman traditionnel : la Suède

Ce qui rend particulier l’ombudsman traditionnel suédois est avant tout, son ancrage constitutionnel. Et pour cause, le cynisme des citoyens suédois à l’égard de la justice et de l’exécutif est la principale raison d’introduire l’ombudsman dans la constitution afin qu’il ait le pouvoir d’aborder toute question relative à la liberté individuelle notamment les détentions de personne et la privation de liberté. Le constituant a saisi l’opportunité du climat révolutionnaire pour conférer à l’ombudsman des pouvoirs très forts. En examinant ses caractéristiques, il faut d’abord mentionner qu’il était chargé de s’assurer

que toute personne occupant une position officielle, ne viole la constitution, les lois, la terre, etc. (Chapman, 1960). C’est ce qui confère à l’ombudsman son appellation de chien de garde.

L’ombudsman a un pouvoir de conformité à la loi et de proposition des réformes législatives, de changement de pratiques, de création de commissions privées et de changement de procédures administratives. Sur la base de pétition, il est autorisé à demander au gouvernement de changer une loi ou à une agence administrative de changer ses pratiques. Par ailleurs, sa juridiction est assez large. À quelques exceptions près, son périmètre d’action concerne tous les fonctionnaires aussi bien au niveau national que municipal y compris, les prisons, les hôpitaux, les maisons et les centres de jeunesse. Elle s’étend également vers la justice.

L’ombudsman suédois a le pouvoir de poursuite pénale d’un juge ou d’un fonctionnaire en cas de manquement et peut ordonner la réparation pour une personne injustement traitée (Bexelius, 1967, p. 170-177). Dans le domaine judiciaire, lorsque la plainte est fondée, il ne peut changer la décision, mais il peut intenter une poursuite devant la Cour suprême. Quand bien même, il n’a pas de pouvoir coercitif, lorsque la plainte concerne le cabinet du ministre ou le ministre lui-même, l’ombudsman demande l’autorisation du Riksdag afin d’engager une procédure contre le ministre ou le juge en chef et agit dans ce cas en tant que procureur avant la procédure d’impeachment (Chapman, 1960). Rappelons que la coercition est une forme d’imposition à une tierce, par la menace ou la force, d’agir selon ses désirs (Marcq, 2016, p. 122). Nous pouvons ainsi lire dans la constitution de 1919 en son article 59, que les ministres, les membres de la Cour suprême ou de la Cour administrative suprême, ainsi que le Chancelier mis en accusation pour illégalité commise dans l’exercice de leurs fonctions, seront traduits devant une cour spéciale appelée Haute Cour et est régie par des dispositions spéciales, qui fera l’objet d’une loi fondamentale. Lorsque la mise en accusation a été décidée par la Diète, les fonctions du ministère public seront remplies par l’ombudsman de la Diète4.

Figure 1 : Taxonomie des ombudsmans

De l’ombudsman classique : le Danemark, la Nouvelle-Zélande et le Royaume- Uni

Les ombudsmans classiques se retrouvent davantage en Amérique du Nord, les nations caraïbéennes du Commonwealth et ses territoires ainsi qu’à certains endroits en Europe de l’Ouest et dans certains États africains, asiatiques et du pacifique (Reif, 2011, p. 280). Lorsqu’on compare l’ombudsman suédois à son homologue danois, il y a trois différences fondamentales. La première concerne la juridiction, et la deuxième, le champ de compétence et la troisième est relative à l’étendue de pouvoirs. La juridiction de l’ombudsman danois inclut le gouvernement central et local et même la police tout comme l’ombudsman de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie, excepté l’administration judiciaire contrairement à l’ombudsman suédois. Le champ de compétence de l’ombudsman danois inclut l’administration civile et militaire. Alors qu’ici les forces armées sont incluses dans la juridiction, il faut dire que, déjà en 1915, la Suède avait créé un ombudsman miliaire qui est bien séparé de l’ombudsman traditionnel (Chapman, 1960). Tout comme son homologue suédois, il ne peut changer les décisions, mais il peut formuler des critiques et des recommandations. Il a le pouvoir de conduire des enquêtes sur sa propre initiative, mais il n’a pas la compétence d’une cour administrative pour juger des mérites d’une décision prise par le secteur public. Par conséquent, il ne peut poursuivre un fautif (Seneviratne, 2002, p. 15-16). Ce modèle qui dispose de faibles pouvoirs est dénommé ombudsman classique. Il inspire la quasi-totalité des ombudsmans qui sont mis en place dans les régimes politiques de type Westminster.

La Nouvelle-Zélande a exploré dans les années 1960 trois approches en matière de justice administrative. Il faut dire qu’en général, les pratiques des systèmes juridiques de « common law » (droit coutumier) sont différentes de celles du droit civil. Au Royaume-Uni, par exemple, le contrôle de l’administration se fait par le parlement alors qu’en France, c’est par la loi. En Nouvelle-Zélande, traditionnellement, le contrôle parlementaire de l’administration a été exercé par voie de pétitions et d’interpellations. Tout citoyen dispose du droit de s’adresser directement au parlement. Ce pays a d’abord exploré la création d’un droit administratif complet avec l’existence de tribunaux administratifs à l’image de la France. Ensuite, il a exploré la résolution des différends administratifs par les tribunaux ordinaires avec des procédures améliorées. La troisième voie qui est celle de l’ombudsman classique qui a connu une adaptation de sa fonction, sa portée et son action au regard du droit coutumier. Le choix de l’ombudsman est fait dans le but, non seulement de servir de freins aux abus administratifs,

mais aussi de réparer les torts et contrairement à l’ombudsman danois de réviser réellement les décisions administratives et d’en obtenir les modifications qui s’imposent. Le modèle néozélandais est donc un mélange de genre entre l’ombudsman scandinave et les pratiques du droit administratif en France. La juridiction de l’ombudsman est expressément exclue là où il existe un droit d’appel devant une cour ou un tribunal sur les mérites d’un litige, peu importe que ce droit d’appel soit exercé ou non (Powles, 1966, p. 281-295).

Au Royaume-Uni, la mise en place du commissaire parlementaire en 1967 a été l’épilogue d’une longue série de débats qui a duré plus d’une décennie, au sein de l’élite britannique (Clark, 1984; Seneviratne, 2002). Tout a commencé en 1950 avec ce qu’il convient d’appeler l’affaire Crichel Down (Chapman, 1960). Elle concerne l’achat de terres en 1937, par le ministère des forces royales de l’air pour l’entrainement de ses troupes. À la fin de la guerre, en 1950, la terre a été transférée au ministère de l’Agriculture contre la promesse exprimée en 1941 en pleine guerre, par le premier ministre Winston Churchill de la retourner aux premiers propriétaires. Ce transfert de propriété entre les deux ministères a été contesté par l’héritière du premier propriétaire. Il s’en est suivi une mobilisation populaire qui a finalement coûté la démission du ministre de l’Agriculture qui prend sur lui la responsabilité des inconduites de l’administration conformément à la notion de la responsabilité ministérielle. La commission Francks créée pour tirer les conséquences de cette affaire a révélé l’inexistence de mécanismes adéquats de résolution des plaintes des citoyens face aux déficiences légales et aux actions administratives inappropriées. Mais, aussi curieuse que cela puisse paraître, la commission ne formule pas de propositions de solutions. Il faut attendre le rapport sur la justice en 1961 pour constater notamment que les procédures judiciaires ne couvrent pas les pathologies administratives et que les procédures judiciaires sont dispendieuses pour les citoyens. Cette commission remarque également que les procédures parlementaires de résolution des plaintes sont inefficaces de même que le contrôle parlementaire de l’Exécutif. Deux propositions fondées sur la distinction entre les caractéristiques d’une mauvaise administration et les disputes au sujet des mérites de la décision furent discutées. Tout comme la Nouvelle-Zélande, la mise en place de tribunaux spéciaux ou le renforcement des compétences des tribunaux généraux et le modèle d’ombudsman indépendant pour la prescription des standards d’efficience de l’administration ont été discutés (Chapman, 1960, p. 307-308; Seneviratne, 2002, p. 31-34). La commission Whyatt propose que le Commissaire parlementaire (dénomination d’ombudsman) qui a été retenu enquête seulement les départements ministériels. Par conséquent, la version d’ombudsman proposée en 1967 vient avec des pouvoirs faibles notamment avec des

restrictions sur l’accessibilité, la juridiction et les compétences. C’est ainsi que la plainte ne peut être acceptée que si elle est introduite par un membre du parlement. Les industries nationales et les autorités locales sont exclues de la juridiction tout comme les actions du secrétariat d’État pour la prévention de crime, les hôpitaux, tout contrat ou transaction commerciale par les départements gouvernementaux ou autorités et autres plaintes personnelles des fonctionnaires et des membres des forces armées (Clark, 1984, p. 64-67).

L’ombudsman exécutif : le prototype français

L’ombudsman exécutif partage bon nombre de caractéristiques avec l’ombudsman législatif. Il est établi au niveau national, infranational ou municipal de l’État. Son champ de compétence couvre la légalité et l’équité de l’Administration publique dans plusieurs départements ministériels, agences et compagnies d’État. Par contre, il est nommé par la branche exécutive à laquelle il rend des comptes. Il est institué par la constitution et/ou la législation ou par décret (Reif, 2004, p. 26). Son indépendance est compromise, car il est sous l’autorité hiérarchique d’élus tels que le gouverneur, le maire ou le Président de la République (Hill, 1982, p. 408). Le prototype de ce modèle est le Défenseur des droits de la France5.

Historiquement, plusieurs victimes dénonçaient dans les années 1970, des abus de la police concernant les libertés civiles en France. La demande pour la protection des droits civils a émergé avec l’appui du gouvernement Messmer dont le projet de loi à ce propos fut déposé en 1972. En plus des critiques contre l’administration, les arguments du ministre de la Justice pour appuyer ce projet de loi concernent le coût des litiges et la lenteur de la justice. Sur le plan politique, l’introduction de l’ombudsman fait partie d’un ensemble de mesures de réformes administratives imposées par les gaullistes pour améliorer les relations entre l’administration et le public. C’est pourquoi, selon le gouvernement, le médiateur doit être créé par l’Exécutif et non par le parlement. La loi de 1973 indique clairement qu’il est nommé par le conseil des ministres (Clark, 1984, p. 66-70). Tout comme le commissaire parlementaire au Royaume-Uni, l’organisme est pourtant lié aux parlementaires, car le législateur impose un filtre afin que seul un député ou un sénateur se plaigne au médiateur et même pour suspendre la plainte. Sur un autre plan, le médiateur est également lié à l’autorité préfectorale qui 5 Anciennement dénommé « Médiateur de la République »

initialement procédait à la nomination des délégués territoriaux du Médiateur (Baudot et Revillard, 2011).