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Chapitre 1 Le développement de l’ombudsman

1.4. La sphère de régulation ou la sphère de surveillance de l’État

1.4.3. Les instruments de régulation

Un instrument est « un dispositif technique à vocation générique porteur d’une conception concrète du rapport politique/société et soutenu par une conception de la régulation. […] » (Lascoumes et Le Galès, 2005, p. 14). Les effets recherchés d’un instrument sont multiples. Il peut créer des effets d’inertie qui rendent possible une résistance à des pressions extérieures. Il est producteur d’une représentation spécifique de l’enjeu qu’il traite et il induit une problématisation particulière de cet enjeu (Lascoumes et Le Galès, 2005, p. 31-32). L’État régulateur utilise des politiques incitatives telles que les incitations fiscales, l’information, l’évaluation, les standards de bonnes pratiques ou des politiques procédurales comme les instruments conventionnels et délibératifs pour réguler l’État (Hassenteufel, 2011, p. 17). L’ombudsman du secteur public vise le contrôle administratif et dans certains cas le contrôle parlementaire et il ne dispose pas de pouvoirs exécutoires. Comme nous le présentons ci-dessous, il utilise les règles et les principes pour réguler. Plus spécifiquement, l’institution fait appel aux règles légales de l’État de droit, au cadre normatif de bonne administration et de bonne gouvernance et la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Les règles légales de l’État de droit « rule of law »

La première génération d’ombudsman représentée par la Suède et la Finlande a des pouvoirs forts, car elle doit veiller à ce que les titulaires de charge publique ne violent pas la constitution, les lois, et les règlementations dans leur prise de décision. De ce fait, le standard législatif de contrôle de ce type d’ombudsman est la conformité avec la loi et les règles légales (Remac, 2013). C’est pour cette raison que Kucsko-Stadlmayer (2008) caractérise ce modèle traditionnel d’ombudsman de « règle de droit ». L’État de droit est caractérisé par la prééminence des lois qu’elles soient écrites sous la forme d’une constitution, d’actes du parlement, de réglementations, etc., ou non écrites comme dans le système de droit coutumier au Royaume-Uni. Dans le système de droit civil comme en France où le droit administratif est très développé, l’observation de la loi est la principale préoccupation de l’ombudsman

(Kucsko-Stadlmayer, 2008, p. 32). Dans ce contexte, comme nous pouvons le présumer, les fonctions de titulaire du bureau d’ombudsman nécessitent des connaissances intellectuelles en droit. D’ailleurs, la constitution suédoise de 1809 en son article 96 qui concerne l’ombudsman précisait ce qui suit : les États du royaume constitueront à chaque Diète un homme connu par son savoir dans les lois et d’une probité distinguée, qui, en qualité de mandataire, et d’après les instructions qu’ils lui expédieront, veillera à ce que les juges et les fonctionnaires se conforment aux lois, et qui, devant les tribunaux compétents, poursuivra, selon la procédure légale, ceux qui, dans l’exercice de leurs fonctions, commettent des illégalités, par partialité, égard aux personnes, ou autres motifs, ou qui négligent de remplir convenablement les devoirs de leurs places ; ce mandataire étant néanmoins entièrement soumis aux mêmes obligations, que le code et la procédure déterminent pour les accusateurs publics6. Abondant dans le même sens, la constitution finlandaise en son article 49, aliéna1 stipule que : la Diète élit, à chaque session ordinaire, dans les formes prescrites pour l’élection de son président, un juriste éminent pour faire fonction d’ombudsman de la Diète. Celui-ci surveillera l’application des lois par les tribunaux et autres autorités, conformément à une instruction élaborée et adoptée par la Diète7. Cette tradition inspire également le Danemark. Abraham (1968) écrit en substance que la loi fixe le profil de l’ombudsman en précisant qu’il ne doit pas être un parlementaire, mais il doit être un diplômé en droit.

Bonne administration (Good administration)

La bonne administration participe aux efforts des gouvernants pour améliorer les services publics. Elle n’est pas seulement l’antithèse de la maladaministration. Il faut la percevoir comme des principes de gestion de l’administration et en même temps comme un droit des citoyens auquel l’ombudsman contribue à sa manière dans la plupart des pays. Il faut rappeler que l’ombudsman est mis en place pour humaniser l’administration à travers la lutte contre la mauvaise administration. Or, le concept de maladaministration n’a jamais été défini dans les lois constitutives de l’institution. Bien évidemment, cette absence de cadre normatif a grandement contribué à la flexibilité qui caractérise l’action de l’ombudsman. Dans un tel contexte, l’on pourrait soupçonner une certaine forme d’arbitraire dans les décisions de l’ombudsman. Au fil des ans, les ombudsmans ont raffiné leur modus operandi en précisant le contenu de ce concept. C’est ainsi que l’ancien Commissaire parlementaire pour 6http://mjp.univ-perp.fr/constit/se1809.htm consulté le 15 février 2018

l’administration du Royaume-Uni, Abraham (2009, p. 25) définit la maladaministration au regard d’autres concepts qui de notre point de vue sont tous aussi flous : les biais, les négligences, les inattentions, les délais, les décisions arbitraires et les « turpitudes ». Par conséquent, en absence de cadre législatif et juridique assez clair sur les dimensions que recouvre cette notion, il n’est pas superflu de se demander, par exemple, à partir de quel moment un délai est déraisonnable ; ou encore comment définit-on l’inattention ? Ceci dit, après plus de 50 ans d’exercice dans la plupart des juridictions, il se dégage une gamme variée d’inconduites assimilable à la maladministration même si des différences significatives apparaissent. Ainsi, généralement, elle désigne :

« l’impolitesse, le refus de traiter l’usager comme une personne ayant des droits, le refus de répondre à des questions raisonnables, la négligence d’informer un usager sur ses droits ou ses devoirs, le fait de donner sciemment des conseils trompeurs ou inadéquats, le fait d’ignorer des conseils valides ou des considérations inappropriées qui pourraient produire un résultat désagréable au citoyen, ne pas offrir une réparation ou offrir une réparation manifestement disproportionnée, le fait de montrer des préjugés de couleur, de sexe ou tout autre motif, le fait d’omettre d’informer ceux qui perdent un droit d’appel ou alors le refus d’informer adéquatement du droit d’appel, faute procédurale, le traitement équitable des usagers, la partialité, l’absence d’atténuation des effets de l’application rigide c’est-à-dire à la lettre de la loi et qui pourrait produire un traitement manifestement inéquitable » (Seneviratne, 2002, p. 43-44;[Notre traduction]).

La structure des services publics a fondamentalement changé depuis le début des années 1980 grâce à l’introduction des pratiques du secteur privé. Ces changements structuraux sont aussi culturaux destinés à la transformation de l’environnement éthique (Woodhouse, 1998, p. 91). La bonne gouvernance apparait ainsi comme un produit éthique des transformations structurales et culturales des services publics. Malheureusement, tout comme le concept de maladministration, la bonne administration est aussi triviale et dépend de la perspective de son définissant. C’est ainsi que les gouvernements, tant et si longtemps qu’une administration met en œuvre les politiques publiques conformément aux directives gouvernementales est qualifiée de bonne administration. Tandis que l’ombudsman apprécie la bonne administration au regard de la maladministration (Woodhouse, 1998, p. 90). Dans ce contexte, la bonne administration deviendrait un contrôle technocratique qui s’appuie sur les valeurs et les attitudes que sur les systèmes et les processus (Abraham, 2009, p. 31). Ceci

nous ramène tout de même à la vision originelle de l’ombudsman parlementaire qui est perçue comme une source d’humanisme dans l’appareil bureaucratique étatique face aux tendances déshumanisantes de l’administration au détour de l’État providence. C’est pourquoi il convient de mentionner que la bonne gouvernance est d’abord des principes de légalité, de flexibilité, de transparence, de justice, d’imputabilité et d’ambition (Abraham, 2009, p. 25). De son côté, Woodhouse (1998, p. 90) parle de principes de rationalité, de cohérence, de justesse, de justice et d’équité. Lesquels principes sont basés sur les caractéristiques de l’administration publique telles qu’énoncées par Marx Weber à savoir une administration impartiale, objective, intègre et dont la sélection des fonctionnaires se fait sur la base du mérite (Weber, 1971). Mieux que des principes, la bonne administration est, aujourd’hui plus qu’hier, un droit tel qu’on peut le lire dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en son article 41. Ainsi, dans la juridiction supranationale, « sur le fondement de la Charte se développent et se développeront des standards de bonne administration codifiés dans des codes de conduite propres à chaque institution […]. Elle a créé un climat qui a conduit à une nouvelle étape de la démocratie administrative (Jacqué, 2011, p. 83).

Bonne gouvernance (Good governance) et la lutte contre la corruption

Tandis que l’ombudsman classique s’inscrit dans la tradition de « good administration », l’ombudsman hybride apparait comme un promoteur de la « bonne gouvernance ». En réalité, les ombudsmans hybrides sont reliées à tous les standards de contrôle législatif, mais ils travaillent davantage pour la bonne gouvernance, l’élimination de la corruption et l’élaboration de politique favorable à la lutte contre la corruption (Remac, 2013, p. 66). En effet, la sphère politique est caractérisée par des relations complexes entre les acteurs. Il existe une certaine inclusion dans les processus décisionnels, étant donné l’interdépendance de plusieurs acteurs dans la fourniture de services publics. Dans la même veine que la nouvelle gestion publique, la gouvernance se place comme une autre voie dans les réformes de l’administration publique. Dès lors, on retrouve ce terme dans plusieurs domaines politiques notamment les relations internationales (bonne gouvernance, la gouvernance internationale), les études comparatives, la politique publique (nouveaux instruments de gouvernance), l’administration publique (nouvelle gouvernance publique, la gouvernance de réseau, la gouvernance d’entreprise, digital era governance…), et la politique urbaine (gouvernance urbaine). Notre prétention n’est pas de revisiter les différents concepts. Mais, d’ores et déjà, la gouvernance est considérée

comme l’ensemble des interactions qui se déroulent entre les acteurs qui interviennent dans les situations sociopolitiques (Kooiman, 2003, p. 4). La bonne gouvernance concerne l’établissement de normes de gouvernance sociale, politique et administrative par des organismes supranationaux tels que la Banque mondiale (Osborne, 2010, p. 6). Elle s’inscrit dans la perspective de la nouvelle gouvernance publique dont les principes sont : la compréhension de l’implantation des politiques publiques, un paradigme alternatif au nouveau management public, la prédiction d’un État pluriel et pluraliste, l’organisation dans son environnement, la négociation de valeurs, sens des relations et les réseaux ainsi que les relations contractuelles (Osborne, 2010).

Droits de la personne

L’évocation des droits de la personne renvoie systématiquement aux institutions nationales des droits de l’homme ou de la personne (INDH) qui combinent aussi bien les caractéristiques des ombudsmans orientés sur l’Administration publique que celles des commissions nationales des droits de la personne. Nous prenons les exemples du défenseur des droits en France, la commission ghanéenne des droits de la personne et de la justice administrative ou encore le plénipotentiaire pour les droits de l’homme de la Russie (Cardenas, 2003, p. 25). La Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée le 10 décembre 1948 à Paris au Palais de Chaillot, par les 58 États membres qui constituaient l’Assemblée générale des Nations Unies. Les 30 articles de cette déclaration servent de standards de contrôle aux ombudsmans et leur permettent d’assurer des fonctions régulatrices et constitutives (Cardenas, 2003). Comme nous pouvons le lire dans le tableau 1, l’ombudsman hybride assure la conformité gouvernementale avec les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme. De tels ombudsmans adoptent une posture de défenseur ou de plaideur des droits du plaignant dans ses relations avec le judiciaire. La conformité avec la loi et les relations avec le judiciaire sont les deux principaux mandats de l’ombudsman hybride. Cette particularité, confère un pouvoir étendu aux ombudsmans hybrides qui combinent les mandats du modèle classique tels que : enquêter sur les plaintes pour abus, obliger la production de documents et d’informations, médiation entre les parties (Cardenas, 2003).

Il faut rappeler que la proclamation des droits de l’homme n’est pas innocente, car elle traduit un courant théologique de droits naturels proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du

citoyen en France en 1789 et qui postule la liberté de l’homme et l’égalité des êtres humains devant la loi tout comme on peut lire dans la constitution américaine de 1776 qu’en substance, chaque être humain est une créature divine qui nait avec des droits inaliénables (Sen, 2004, p. 316). Dans les éléments d’une théorie des droits de la personne, Sen (2004) évoque ces droits comme la satisfaction d’une demande éthique. En tant que tels, ils ne sont pas une commande légale même s’ils inspirent la législation nationale des États. Ceci confirme une fois de plus que l’ombudsman est un agent de régulation éthique de l’État.

Tableau 1 : Fonctions de l’ombudsman hybride

Fonctions régulatrices

Conformité gouvernementale

Conseille le gouvernement sur les affaires des droits de la personne Lobby pour la ratification des traités

Conseille le gouvernement pour la préparation des rapports d’État Enjeu de recommandations sur l’harmonisation

Revue de la législation proposée Relations avec le judiciaire

Assister les victimes dans l’obtention de correction légale Transmettre les cas de droits de la personne aux tribunaux Participer à des procédures judiciaires, y compris des litiges Encourager la jurisprudence des droits de la personne Recevoir des preuves sur les affidavits

Émettre des codes avec force obligatoire (commissions d’égalité des chances)

Soumettre des mémoires dans des affaires de discrimination (commissions pour l’égalité des chances) Activités indépendantes

Examiner les politiques et pratiques nationales Enquêter sur les plaintes pour abus

Effectuer des inspections sur place des installations Obliger la production de documents et d’informations Examiner les témoins

Produire des rapports sur la situation nationale Tenir des enquêtes publiques

Médiation entre les parties

Émettre des déterminations (non) contraignantes Accorder une indemnisation aux victimes d’abus

Fonctions constitutives

Socialisation domestique

Diffuser des informations sur les droits et les abus

Diffuser les instruments internationaux à l’échelle nationale Développer des campagnes de sensibilisation du public Soutenir et coordonner les activités avec les ONG Mener une recherche sur les droits de la personne Coopération internationale

Réseau avec d’autres INDH

Participer à des forums régionaux et internationaux Coordonner les activités avec les Nations Unies Promouvoir les INDH à l’étranger