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Les facteurs explicatifs de la performance de l’ombudsman

Chapitre 3 La recension des écrits sur l’évaluation de la performance

3.3. Les facteurs explicatifs de la performance de l’ombudsman

L’influence du droit comparé est à l’origine de l’intérêt pour l’ombudsman et les institutions de défense des droits de l’homme. Ainsi, la littérature que nous présentons ici adopte une approche d’analyse politico-juridique. Elle est essentiellement descriptive et normative dans sa démarche. Linda C. Reif rappelle que le succès d’un ombudsman dépend de facteurs juridiques, politiques, financiers et sociaux (Reif, 2004, p. 396). Cette littérature évoque la gouvernance démocratique dans l’État, l’indépendance de l’institution, l’étendue des pouvoirs, l’accessibilité, la coopération, l’imputabilité et la transparence, le caractère personnel et l’expertise du titulaire, la réactivité du gouvernement et la crédibilité du bureau de l’ombudsman comme étant les facteurs qui expliqueraient le succès de l’institution (Reif, 2004, p. 396-408).

Hill (1974) examine les interactions comportementales, les liens ou les échanges entre l’organisation (cas néozélandais) et les acteurs de l’environnement, prioritairement les bureaucrates. L’auteur définit dix caractéristiques pour cerner l’ombudsman classique. Il doit être légalement établi et disposer d’une autonomie fonctionnelle. Il est externe à l’administration, indépendant de l’Exécutif et du Législatif. Il est spécialiste, expert et non-partisan et disposant d’une universalité normative. Il est centré sur le

client, accessible, populaire et visible. Sa mission est de générer des plaintes contre l’administration du gouvernement, d’utiliser des pouvoirs extensifs d’investigation pour réaliser un audit de performance administrative post décisionnel, de faire des jugements qui critiquent les administrateurs, de rapporter publiquement ses conclusions et recommandations, mais il ne peut changer une décision administrative (Hill, 1974, p. 1077).

Ribo (2006, p. 142) rapporte qu’il existe un consensus sur l’indépendance de l’institution qui serait un facteur principal de performance. Dans une discussion générale sur les garanties de l’indépendance de l’ombudsman, Ribo prétend que l’indépendance de l’institution pourrait s’apprécier autour : (i) du processus de nomination de l’ombudsman. L’élection par le parlement est le meilleur moyen pour assurer l’indépendance. (ii) L’inamovibilité de l’ombudsman permet de ne pas le limoger sauf dans les conditions précisées par la loi comme la démission, la fin de mandat ou le décès. Il y a aussi l’inviolabilité c’est-à-dire que l’ombudsman ne peut être poursuivi pour des actes posés durant son mandat. Il bénéficie aussi de l’immunité et de privilège spécial. (iii) Il faut aussi l’établissement de régimes d’incompatibilité qui se traduit par la neutralité politique de l’ombudsman. En d’autres termes, aucune relation entre l’ombudsman et l’administration publique ne devrait exister, sauf pour le suivi des activités de cette dernière. Ribo note aussi l’incompatibilité professionnelle et les affaires en ce qui concerne l’ombudsman. (iv) Le statut personnel de l’institution doit empêcher des interférences externes. (v) L’ombudsman ne doit recevoir ni d’ordre ni de pression et disposer d’une autonomie budgétaire et organisationnelle ainsi qu’une règlementation reconnue de tous. (vi) Enfin, il ne doit pas y avoir de relation de subordination entre l’ombudsman et l’institution à laquelle il adresse son rapport annuel (Ribo, 2006, p. 142-150). Dans la même veine, Premier ombudsman de la Nouvelle-Zélande, Sir Powles partageait la même importance de l’indépendance de cette institution particulière (Powles, 1966). Quand bien même, l’ombudsman tendrait à violer trois grands principes de gouvernement au sein du Commonwealth à savoir la suprématie parlementaire, le règne des lois et la responsabilité ministérielle, il n’en demeure pas moins qu’il doit garder son indépendance à la fois envers l’Exécutif et même le pouvoir judiciaire (Powles, 1966, p. 301-306). De même, Sir Powles rappelle que les pratiques de reddition de compte (imputabilité et transparence) de son institution sont relatives à la soumission d’un rapport annuel au parlement et la confidentialité de la plainte est utile pour l’institution (Powles, 1966, p. 299). Pour lui, l’ombudsman doit construire une tradition de critique forte et impartiale envers l’administration, d’une part et, de serviabilité envers les citoyens, d’autre part (Powles, 1966, p.

301-306). Guy Powles est devenu l’idéal type d’ombudsman grâce à sa relative longévité dans l’institution, affirme Hill (1974).

D’autres auteurs mettent l’accent sur les qualités intrinsèques de l’ombudsman. Abraham (1968, p. 55) étudie l’ombudsman danois et note que le succès de l’institution est dû au premier titulaire qui a su garder un climat sain et sympathique entre l’ombudsman et son environnement. Le Professeur Stephan Hurwitz qui fut titulaire de la Chaire en droit criminel de l’Université de Copenhague, avait un savoir- faire diplomatique, intelligent, persuasif, et du tact recommandable. Il a été élu à l’unanimité. Aussi, l’auteur met en avant, la petite taille de l’institution qui était composée d’avocats (7) et de greffiers (5) pour justifier le succès de l’institution. L’extrait suivant est évocateur de l’expertise de l’ombudsman : « bref, sa performance a été superbe. Il a été l’ombudsman par excellence et le bureau de l’ombudsman a été Stephan Hurwitz » (Abraham, 1968, p. 60; [Notre traduction]). De son côté, Fox (1982) insiste sur la position institutionnelle de l’ombudsman qui lui confère le pouvoir d’adresser des demandes à l’administration et d’obtenir des réponses à ses requêtes. Il met également l’accent sur la posture morale et professionnelle de l’ombudsman qui cultive la conscience professionnelle des membres de l’organisation. Il met en exergue la responsabilité professionnelle, l’éthique et les standards. L’auteur énumère plusieurs critères de réussite dont : la prestance du titulaire, son intégrité, son impartialité, son équité et sa capacité d’établir la confiance dans ses jugements. Il doit être indépendant et avoir un accès facile aux sources de pouvoir et de décision. C’est un inconnu de l’administration, mais il doit être familier aux comportements organisationnels. L’ombudsman doit avoir la confiance et être confident à l’égard des individus. Il doit être exempt de toute pression externe et avoir une fonction clairement délimitée (Fox, 1982, p. 55).

Par ailleurs, Donald Rowat s’est aussi penché sur le succès de l’ombudsman. Après avoir décrit les ombudsmans de la Suède, de la Finlande, du Danemark, de la Nouvelle-Zélande, du Canada, des États-Unis ainsi que l’ombudsman militaire allemand et ceux des pays en développement, l’auteur en arrive à la conclusion que leur succès dépend du recours direct à l’ombudsman par les plaignants, de la connaissance de l’institution et de son accès facile (accessibilité), d’une juridiction clairement délimitée, des pouvoirs et l’indépendance absolue de l’institution (Rowat, 1985, p. 183-185). Abondant dans le même sens, Linda Reif à travers une description des ombudsmans classiques et hybrides, présente une synthèse des facteurs de succès : la gouvernance démocratique dans l’État, l’indépendance de l’institution vis-à-vis le gouvernement, l’étendue des pouvoirs, l’accessibilité, la

coopération avec d’autres organismes, l’efficience opérationnelle, l’imputabilité et la transparence, le caractère personnel et l’expertise du titulaire, la réactivité du gouvernement et la crédibilité du bureau de l’ombudsman (Reif, 2004, p. 396-408).

Bien qu’étant presque exhaustivement documentés, les facteurs de succès évoqués par Reif, ont été raffinés par d’autres auteurs. C’est ainsi que ces différents travaux ont inspiré l’Association américaine des ombudsmans (USOA) qui va traduire sous la forme de principes et donc de règles : l’indépendance, l’impartialité, la confidentialité et la crédibilité pour un bon fonctionnement de l’ombudsman (United States Ombudsman Association, 2003, p. 1). À sa suite, l’Organisation internationale des ombudsmans parle d’indépendance, de neutralité et d’impartialité, de confidentialité et d’informalité (International ombudsman association, 2011). Dans la même veine, l’ancien Secrétaire général du Protecteur du citoyen du Québec, Jean-Claude Paquette, dans son ouvrage intitulé l’Ombudsman au Québec, résume les facteurs de succès à savoir l’indépendance, l’impartialité, l’accessibilité, la crédibilité et la confidentialité (Paquette, 2014). Il s’agit des mêmes facteurs relevés par Dowd (2015) dans l’analyse qu’il fait de l’ombudsman dans l’ouvrage collectif de Pierre-Claude Lafond sur le règlement des différends.