• Aucun résultat trouvé

Le taux de renouvellement et les controverses qui l’entourent

Chapitre 1 Quels cadres pour la gestion patrimoniale : un problème social total national ou

1.3. Le taux de renouvellement et les controverses qui l’entourent

Si le Grenelle a mis en avant l’indicateur du rendement, un autre indicateur a émergé, en lien également avec la volonté de mettre en place une gestion patrimoniale, celui du taux de renouvellement de canalisations par an.

Le renouvellement, un indicateur de plus en plus présent, jusque dans les contrats de délégation

Cette émergence est notamment liée au fait qu’un grand nombre de collectivités se sont structurées, dans le prolongement du Grenelle. Elles ont changé une partie des conditions contractuelles d’exercice des opérateurs, pour y intégrer cette dimension de renouvellement. Un opérateur comme la SAUR a ainsi vu son activité se modifier de façon non négligeable. Dans certains contrats et quel que soit l’opérateur, les collectivités ont introduit des clauses de renouvellement (exemple dans l’agglomération de Dunkerque, pour Suez). Progressivement, les différents contrats8 ont fait que les opérateurs ont intégré dans leurs bases de données des indicateurs relatifs au renouvellement, et notamment le nombre de kilomètres renouvelés.

8 Différents types de contrats mentionnés par les opérateurs d’eau privés :

- Programme : un contrat qui lie fortement l’opérateur sur les engagements. L’opérateur doit rembourser à la fin à la collectivité les investissements non réalisés.

- Compte avec programme : engagement global, moins fort que le programme - Compte sans programme : engagement de moyens

- Garantie : la forme historique, depuis le début. Les compagnies ne devaient que la continuité de service, aucun engagement financier. Depuis 2006, les collectivités, associées à des cabinets, ont souhaité obliger les opérateurs un peu plus, via programme ou compte. Sur ces contrats-là, les opérateurs visent surtout à éviter la panne.

14

Les controverses autour du taux de renouvellement

L’indicateur du taux de renouvellement a ainsi produit une certaine activité et un début de prise de conscience des enjeux patrimoniaux. Il a contribué, comme l’indicateur de rendement, à mettre en politique publique (nationale) la gestion patrimoniale. Toutefois, il est lui aussi sujet à de nombreuses controverses, et il est important d’en comprendre les conditions de production pour pouvoir l’analyser, en comprendre la dimension politique et les limites opérationnelles9. Quatre points font l’objet de tensions :

- L’entrée par le taux de linéaire neutralise la possibilité d’avoir une approche

comptable et matérielle du patrimoine, souvent plus complexe (Pezon, 2006). Sont

ainsi ramenés au même plan des canalisations en fonte, en amiante, en PVC ou en polyéthylène, dont les coûts varient très fortement. De façon très simple, un kilomètre de canalisation renouvelé dans le réseau en fonte ductile et en égout de la ville de Paris est mis sur un plan similaire à un kilomètre de canalisation en plastique dans une zone rurale de Vendée. La durée de vie théorique des uns et des autres varie là encore, du simple au double.

- L’entrée par le taux neutralise non seulement les aspects matériaux mais

également les périodes de pose. Une grande partie des réseaux des zones rurales

françaises, notamment dans l’Ouest de la France, ont été installés dans les années 1960 et 1970. À une autre échelle, une très large part des réseaux de la ville de Grenoble a été installée à l’occasion des Jeux Olympiques de 1968. Fixer un taux annuel et ne prendre que cet indicateur peut ainsi ne pas correspondre aux dynamiques d’usure et de besoins de renouvellement d’un réseau.

- L’entrée par le taux neutralise également un point essentiel, lié à la qualité de la

pose, qui détermine une très large part de la durée de vie et de l’efficacité fonctionnelle

de la canalisation, comme l’expliquent la plupart des entreprises de canalisateurs : « Pour la durée de vie d’une ‘cana’, beaucoup se joue au moment où on pose le réseau. Nous, on éduque nos gens pour que ce soit bien fait. Pour moins d’entrainement, certains pensent pouvoir être meilleurs. Nous, on garantit la qualité et l’étanchéité de notre réseau. Si ça casse, on répare et on s’excuse. Quand on pose mal un réseau, ça fuit toujours. Les anciens vous le diront : c’est facile de rendre un essai bon, même quand c’est mal posé. » (entretien responsables innovation d’une entreprise de canalisateurs)

- Hors renouvellement : contrat où la collectivité fait le renouvellement. (entretien responsable maintenance SAUR)

9 Pour certains représentants des Canalisateurs de France, le lien est fait assez rapidement entre rendement et

besoin de renouvellement « On voit qu’il n’y a pas d’amélioration des rendements depuis 2012, ils stagnent. C’est donc qu’il faut agir sur les canalisations » (entretien présidence des Canalisateurs de France).

15

- L’entrée par le taux neutralise enfin les effets liés à une bonne gestion et une bonne

maintenance du réseau10, qui permet de limiter les besoins en renouvellement. Eau de Paris en donne un exemple intéressant : leur réseau est peu fuyard et très régulièrement maintenu, cependant les fuites ne sont pas dues à l’état des fûts, mais aux attaches, en matériau plus friable. Renouveler les canalisations permettrait ici d’augmenter cet indicateur sans régler le problème de fuites et donc de rendement et de performance du réseau.

Le taux de renouvellement est donc un indicateur qui donne un instantané d’un pan de la

gestion du réseau, qui doit impérativement être accompagné d’informations sur le type de

matériau, les cycles de pose et les conditions de pose et de maintenance du réseau. Ces

différents facteurs sont extrêmement variables selon les contextes locaux. D’un point de vue technique, il n’est donc pas recommandable de fixer un objectif chiffré national, qui ne

correspond pas aux réalités variées, même si le chiffre peut avoir un rôle politique d’entraînement. Pour de nombreux opérateurs, le chiffre correspond à une demande de

l’autorité organisatrice et donc à une demande politique plus qu’à une exigence technique.