• Aucun résultat trouvé

À l’inverse, que se passe-t-il quand il se ne passe presque rien ?

Chapitre 4. L’enjeu de la structuration d’une maîtrise d’ouvrage

4.4. À l’inverse, que se passe-t-il quand il se ne passe presque rien ?

Ces différents éléments de structuration de la maîtrise d’ouvrage sont la face dorée de ce que notre enquête sur la gestion patrimoniale a permis d’identifier. Ils sont autant d’outils, de mécanismes, de procédures montrant que, dans de très nombreux territoires, urbains comme ruraux, beaucoup se fait déjà, et souvent avec qualité. Ces retours d’expérience sont à voir comme une boîte à outils dans laquelle piocher et qu’il convient de valoriser, de diffuser et d’accompagner. Certains territoires montraient une maturité très forte des réflexions sur la

94

gestion patrimoniale, devenue un élément de structuration du service dans le cas de Nice. D’autres ont commencé à avancer sur certains sujets, mais doivent faire face à des contraintes multiples et sont encore en phase de structuration, aussi bien sur la partie connaissance que sur la prise en main des outils de contrôle de la gestion patrimoniale.

D’autres territoires n’ont, à l’opposé, pas entamé de réflexions sur les questions de gestion patrimoniale. On y observe un certain nombre d’aspects communs: une faible connaissance de son réseau, un faible engagement dans des travaux, et un primat de la logique de l’exploitation (court terme) sur la logique patrimoniale (long terme).

On retrouve beaucoup ce phénomène dans des communes relativement petites, mais pas uniquement. Sur un territoire comme celui de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, les responsables du service affirment ne pas avoir de gestion patrimoniale et ne renouveler que 0,03% de ses canalisations par an. Cette affirmation reste à relativiser, car la collectivité semble engagée sur de lourds travaux sur ses ouvrages (réhabilitation de 5 châteaux d’eau, et projet d’une station d’épuration).

Dans les plus petites communes, le décalage est souvent plus patent. La présence d’outils n’est parfois pas une garantie de leur appropriation. Un maire du massif des Aravis, qui répare souvent directement les petites fuites sur le réseau, le confessait ainsi: “On a un SIG et de la télégestion. Mais moi, je sais où sont les chambres de vanne, donc j’utilise pas le SIG, je n’en ai pas besoin.” (Maire, massif des Aravis). La gestion patrimoniale demande ainsi une forme d’acculturation à des problématiques et des enjeux de long terme qui sont saisis avec plus ou moins d’acuité par les différentes parties prenantes.

Dans une commune périurbaine d’Ile-de-France enquêtée, la plupart des indicateurs sont remplis directement par le délégataire, sur lequel peu de contrôles sont exercés. Le responsable eau a découvert lors de l’entretien le niveau de l’indicateur de gestion patrimoniale, de 80, alors que la commune ne possède pas le descriptif détaillé du réseau, celui-ci étant produit et conservé par le délégataire (en l’occurrence, Veolia). L’exploitation a clairement pris le pas sur la dynamique patrimoniale, et le délégataire reste dans une logique d’entretien courant, mais pas de projection.

Cela a des conséquences sur les enjeux de programmation et de planification à long terme, mais également sur la sécurisation d’un certain nombre d’approvisionnements. Par exemple, dans cette même commune, aucun schéma directeur n’a été établi, et l’approvisionnement est souvent compliqué en période de crues. Les captages sont directement dans la Seine et deviennent impropres à la consommation lors des inondations, forçant la collectivité à couper le réseau et à distribuer des bouteilles d’eau en remplacement.

Cette absence de planification se retrouve même à plusieurs échelles. Dans cette même commune, on a pu ainsi observer un effet non maîtrisé de la loi Notre. La commune a rejoint un syndicat intercommunal. Juste avant de le rejoindre, elle a lancé un programme de travaux importants pour la construction d’une station d’épuration à hauteur de 4 millions d’euros.

95

Comme la loi Notre le prévoit, l’investissement a été transféré de la commune à l’intercommunalité. Ce volume de travaux soudain et important a eu un effet : le programme de travaux du syndicat a dû être arrêté, pour pouvoir absorber cet investissement non programmé initialement. L’absence de stratégie patrimoniale à l’échelle communale a ainsi eu des effets sur les pratiques de gestion patrimoniale à une échelle plus large.

Ce type de gestion peu structuré révèle que la collectivité manque cruellement d’ingénierie en interne. Elle s’appuie généralement sur Egis-Eau pour l’élaboration des cahiers des charges pour les grands travaux, sans capacité d’exercer pleinement sa maîtrise d’ouvrage et son contrôle sur la maîtrise d’œuvre. Dans ces conditions, qu’on peut retrouver dans de nombreuses configurations, la gestion patrimoniale est souvent bancale quand elle existe. Ces collectivités ont vraisemblablement besoin d’un accompagnement territorial, pour les aider à se structurer techniquement et financièrement, et s’outiller pour éviter une dégradation rapide de la qualité du service sans capacité d’investir.

4.5 Conclusions

La mise en place d’une gestion patrimoniale ambitieuse ne peut s’envisager sans une certaine structuration de la maîtrise d’ouvrage. Notre enquête montre qu’elle peut prendre diverses formes, plus ou moins intégrées, mais qui toutes participent d’un même mouvement, celui d’une reprise en main par les autorités organisatrices des capacités de régulation du service. Un certain nombre d’outils peuvent être déployés pour contribuer à cette structuration, autour des documents de planification, des matériaux ou du contrôle de la maîtrise d’oeuvre, qui permettent de développer une gestion du service qui ne soit pas entièrement absorbée par la seule logique de l’exploitation. Ces outils sont parfois encore embryonnaires dans certains services, même dans des territoires urbains, où la programmation à une échéance de plus d’un an demeure compliquée à mettre en place, en raison de l’ampleur des tâches d’exploitation à accomplir et du travail de connaissance du patrimoine à prolonger ou construire.

La mise en place et l’appropriation de ces outils demandent un accompagnement et peuvent être soutenues par divers acteurs institutionnels, afin de consolider la maîtrise d’ouvrage. Plutôt que de conditionner l’obtention d’aides, prêts ou subventions à l’existence de ces différents outils, comme les agences de l’eau commencent à le pratiquer dans différents bassins, il semble sans doute plus pertinent d’investir dans l’animation territoriale et l’accompagnement des collectivités pour les aider à maîtriser ces outils. Sans cela, la logique sera celle d’une filière de l’eau où on accompagne seulement ceux qui sont déjà structurés plutôt que, dans une logique d’aménagement équilibré, d’aider à structurer les services qui le sont insuffisamment.

La montée en puissance de ces outils et leur portage par une maîtrise d’ouvrage renforcée demandent aussi à être accordés avec les logiques d’investissement, en ne séparant pas trop fortement logique technique et logique financière, mais en les faisant converger vers un projet territorial commun.

96