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Se connaître soi-même: structuration d’une ingénierie interne

Chapitre 1. (Re)découvrir son réseau

1.2. Se connaître soi-même: structuration d’une ingénierie interne

La découverte / redécouverte du réseau s’est accompagnée d’une structuration des organisations en interne, avec la construction d’une expertise, d’une ingénierie et d’une compétence technique. Sur la quasi-totalité des territoires analysés, le changement d’échelle de gestion et la prise de conscience d’un patrimoine à préserver se sont traduits par la structuration progressive d’une forte ingénierie au sein des autorités organisatrices. Cette structuration n’a pas commencé avec la loi Notre : sur les territoires où des politiques de gestion patrimoniale ont été développées depuis dix à quinze ans, comme Grenoble, de pareils processus étaient à l’œuvre. L’intensité et la précision d’une politique de gestion patrimoniale sont ainsi largement dépendantes de la construction d’une ingénierie en interne, au sein des autorités organisatrices19. La construction de cette ingénierie interne répond en fait à une triple exigence, financière, cognitive et technique.

Un enjeu financier

L’extension du domaine de cette ingénierie peut varier d’un territoire à l’autre. Sur plusieurs territoires, aussi bien ruraux qu’urbains, des services de maîtrise d’œuvre internalisés se sont développés au cours des cinq dernières années. Dans une agglomération comme celle du Douaisis, où l’ensemble du service est géré par des délégations de service public, le cas par défaut pour les différents travaux est celui d’une maîtrise d’œuvre assurée en interne par la communauté d’agglomération. Le recours à une maîtrise d’œuvre externe ne se fait que ponctuellement, sur des travaux requérant une technicité particulière (château d’eau, grandes interconnexions), mais, en volumes financiers, la maîtrise d’œuvre interne est nettement plus importante.

Le choix de cette internalisation, qui correspond concrètement à la structuration de bureaux d’études en interne, est en fait le résultat de cette prise en main du patrimoine, et d’une analyse des pratiques des opérateurs. Ainsi, à Douai, en redépliant les pratiques des opérateurs, les responsables eau et assainissement de l’agglomération ont constaté que les interventions étaient

19 Au sein d’une entité comme Eau de Paris, ce sont pas moins de 90 personnes qui travaillent dans la direction

ingénierie et patrimoine, dont 60 directement pour la partie bureau d’études. Sur d’autres territoires, comme dans le syndicat Eau 47, la structuration est en cours, mais plus limitée, avec un ingénieur chargé de la recherche de fuites, un travaillant sur les périmètres d’autorisation, cinq pour suivre les chantiers et trois pour suivre les contrats sur un territoire regroupant 5 DSP et 3 régies.

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souvent surfacturées20, notamment sur des opérations petites mais nombreuses comme les branchements21. Les services de l’agglomération ont alors sorti des contrats de DSP ces petites interventions sur un des contrats du territoire pendant un an et demi, pour en faire une expérimentation, dupliquée par la suite sur le reste du territoire.

Le niveau de structuration de cette maîtrise d’œuvre interne peut varier d’un territoire à l’autre. Il est très développé à Nice, à Paris comme à Douai, moins sur d’autres territoires comme celui de Atlantic Eau. Sur le territoire de la métropole de Nice, un service de pas moins de 30 ingénieurs s’occupe de la maîtrise d’œuvre, de l’Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage et de la maîtrise d’ouvrage. À Douai, cette structuration a même été formalisée, créant une sorte de guichet unique, faisant des diagnostics, au moment des ventes, aussi bien dans la partie publique que privée, et proposant également des missions de conseil et d’assistance pour les travaux de mise en conformité dans la partie privée des branchements et réseaux, et gérant l’attribution des différentes aides.

La raison d’être première de cette structuration d’une ingénierie interne, incarnée par la maîtrise d’œuvre interne, est historiquement financière. Elle permet d’éviter des frais de structure et de charges, qui, selon les contrats, avoisinent les 15%. Cette entrée financière est explicitement mentionnée par les différents interlocuteurs rencontrés, qui soulignent qu’ils ont pu ainsi dégager des marges de manœuvre, notamment pour pouvoir augmenter leur volume de travaux à périmètre financier constant. Elle a généralement été portée par les techniciens, pour convaincre les élus de l’intérêt de structurer une ingénierie interne.

Un enjeu cognitif

Cette structuration s’est accompagnée d’un enjeu cognitif. Elle permettait aux autorités organisatrices de saisir la complexité de leurs réseaux, et d’en dresser un diagnostic éclairé. Cela s’est notamment traduit par une conscience des sources des fuites. Là où une partie des discours publics et des pratiques des opérateurs associe les fuites sur les réseaux à des problèmes portés par les seules canalisations, de récentes études menées par des bureaux d’études comme G2C Ingénierie et les remontées de terrain permettent de constater que, à la variation territoriale près, environ la moitié des fuites est due aux branchements.

Cette prise de conscience et connaissance est capitale dans les politiques et pratiques de gestion patrimoniale, puisqu’elle peut conduire à éviter de remplacer inutilement des canalisations : un réseau fuyard n’est pas forcément synonyme de canalisations fuyardes. Dans le territoire du

20 « On s’est rendu compte que les interlocuteurs qui étaient choisis par nos délégataires étaient des interlocuteurs

du territoire de petites entreprises, de 3 ou 4 personnes. On s’est rapprochés de ces artisans, on leur a demandé les prix, on a comparé avec les bordereaux de prix du délégataire, il y avait un écart tel… » (entretien responsable eau et assainissement, agglomération du Douaisis)

21 « On s’est rendu compte qu’ils avaient un gros matelas financier, qu’ils se prenaient beaucoup de gras pour faire

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syndicat des Eaux du Vivier, le remplacement de 10 000 branchements plomb a eu un effet majeur sur le niveau des fuites, sans que le montant des travaux soit trop lourd à porter. Dans certains territoires, comme à Digne, l’opérateur en place avant la (re)structuration d’une ingénierie interne avait tendance à renouveler les canalisations sans que cela se traduise par une amélioration significative du rendement, les fuites étant surtout liées aux branchements. L’amélioration de la performance du réseau a été largement permise par un changement de doctrine en la matière, en partie alimentée par cette structuration d’une ingénierie interne.

Un enjeu technique

La construction de cette ingénierie interne a enfin une troisième vocation, celle de structurer une compétence technique au sein des autorités organisatrices, et de les placer ainsi sur un pied d’égalité avec les autres acteurs techniques du service. Cette structuration permet d’équilibrer les rapports avec les délégataires quand le service est en DSP, mais aussi avec les entreprises lors des chantiers. Cette construction d’une compétence participe même, dans certains contextes, à la création d’une expertise locale, reconnue jusqu’au niveau national. C’est le cas notamment pour la gestion des eaux pluviales dans le Douaisis.

L’ingénierie interne permet en fait d’exercer une forme de régulation plus forte dans la relation entre opérateurs, entreprises et autorités organisatrices, permettant à ces dernières de mieux suivre un marché, et d’émettre un choix éclairé, notamment sur les questions de matériaux.

ENCADRÉ 1

Les eaux pluviales dans le Douaisis

L’agglomération du Douaisis a développé une expertise dans le domaine de la gestion des eaux pluviales depuis 25 ans, avec l’idée qu’il faut, le plus possible, infiltrer dans le sol les eaux pluviales. Toute demande de dérogation sur des projets urbains doit démontrer qu’il n’est pas possible pour le pétitionnaire de pratiquer cette infiltration pour s’en dégager. Cette expertise est conditionnée à un engagement fort des agents, dont le rôle est aussi d’apporter un accompagnement aux lotisseurs et parfois même aux maîtres d’œuvre. « Si on a développé une ingénierie en interne, c’est qu’on ne trouvait pas de potentiel bureau d’études qui, lorsqu’on avait un problème d’eau pluviale, nous proposait autre chose qu’un tuyau ou un réservoir » (entretien responsable eau et assainissement, agglomération du Douaisis). Les techniques sont souvent complexes, passant notamment par du stockage sous chaussée, du puits de perte à la tranchée drainante pour l’usager lambda, à d’autres systèmes exoévaporeux, des bouches d’injection, des structures alvéolaires légères ou des noues. La logique générale est de ne pas être dans une logique classique de renvoi des eaux pluviales dans un réseau, mais à chaque transformation de la ville, d’imaginer un système permettant d’infiltrer l’eau. Cela permet également par ce biais d’augmenter la performance d’autres ouvrages du réseau, notamment en améliorant le rendement et l’efficacité des déversoirs

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d’orage. Grâce à cette expertise interne, l’agglomération peut ainsi proposer des solutions très techniques mais faiblement technologiques pour améliorer la gestion des ressources.