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Repenser les catégories et les indicateurs de performance Le taux de renouvellement

Chapitre 1. (Re)découvrir son réseau

1.4. Repenser les catégories et les indicateurs de performance Le taux de renouvellement

Cette structuration générale d’une compétence interne a également pour conséquence une remise à plat de certaines catégories qui cadrent la gestion patrimoniale. Les expériences de terrain nous permettent d’observer que, localement, certains référentiels, certains indicateurs de performance sont déconstruits, et jugés partiellement ou totalement inopportuns pour construire une stratégie pérenne pour le réseau.

C’est notamment le cas de deux principes intriqués, souvent retenus au niveau national : le taux de renouvellement et la durée de vie théorique des composants du réseau.

L’idée est de sortir de l’approche basique et peu pertinente au niveau local selon laquelle la gestion patrimoniale pourrait se résumer à l’équation suivante :

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GP = renouvellement à (date de pose + durée de vie théorique du matériau)

Cette approche fut développée notamment dans le cadre de l’étude dite Cador, faite par le laboratoire Geophen, et qui estimait des besoins en renouvellement moyen à partir de ces seuls critères, qui sont profondément décorrélés des situations et pratiques locales et demandent donc à être déconstruits.

Le territoire géré par le syndicat d’eau Atlantic’Eau est celui qui en donne l’exemple le plus abouti. Le traitement de l’enjeu patrimonial a été l’occasion de déplier certaines pratiques, notamment concernant le renouvellement, pour en interroger la pertinence. Pendant quarante à cinquante ans, Atlantic’Eau a essentiellement été un syndicat de péréquation financière, qui chapeautait un ensemble de 20 syndicats (Figure 12), et qui s’est vu transférer la compétence distribution et transport en 2014. À partir de ce moment, les pratiques de renouvellement, dans ce territoire à dominante rurale, ont été réinterrogées. Une étude a ainsi été menée pour voir si l’investissement consenti pour les travaux de renouvellement était pertinent par rapport aux services rendus par les différentes parties du réseau.

Figure 12 Le périmètre de Atlantic’Eau, dans la région nantaise (Atlantic’Eau, 2016)

Le travail réalisé s’est inspiré directement d’articles scientifiques produits par des chercheurs de l’équipe gestion patrimoniale de l’IRSTEÀ à Bordeaux (Renaud, Bremond, Le Gat, 2012). Deux étapes se sont succédé. La première concerne l’âge réel des canalisations remplacées. La seconde a consisté à ne plus réfléchir en termes de durée de vie théorique mais de durée de maintien en service.

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Sur un territoire où les canalisations sont majoritairement en plastique (PVC 10 bar, PVC collé et PEHD représentent 81% de l’ensemble des canalisations) (Figure 13), les âges moyens de renouvellement sont beaucoup plus précoces que les durées de vie théorique des matériaux. Pour le PVC, dont la durée de vie est généralement estimée à 50 ans, on constate un âge moyen de remplacement de 38 ans, et l’écart est encore plus saisissant pour la fonte ou l’amiante- ciment (Figure 14).

Figure 13 Répartition des canalisations par matériau (Source : Atlantic’Eau, 2016)

Figure 14 Âge moyen des canalisations renouvelées entre 2008 et 2014 chez Atlantic’Eau. (Source: Atlantic’Eau, 2018)

Cette disjonction souligne trois choses :

- L’âge moyen des canalisations remplacées traduit potentiellement un surinvestissement dans le renouvellement, même si le taux de renouvellement n’est que de 0,8%/an. Le niveau de rendement du réseau et l’indice linéaire de perte viennent conforter la relativement bonne performance et étanchéité du réseau (89,5% de rendement en 2017 ; ILP de 1,19 m3/j/km).

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- Il y a souvent une confusion entre durée de vie moyenne d’un objet non réparable (comme une lampe) et durée de vie d’un objet pouvant être maintenu, réparé, réhabilité comme une canalisation. La notion de durée de vie moyenne n’est pas pertinente pour ce type d’objet , et il est préférable de le penser en termes de durée de maintien en service (Figure 15). Penser en termes de maintien en service implique la prise en compte du fait que la canalisation est un objet « vivant », connaissant des interventions diverses (mouvements du sol, travaux de maintenance, petites réparations) qui transforment sa durée de vie, à la hausse ou à la baisse. Les moyens d’évaluer l’évolution dans le temps de ce type d’objet relèvent donc moins d’une fonction linéaire mais davantage d’une courbe de survie22 (Renaud, 2012).

- Le renouvellement est un choix et non un impératif. C’est un geste sociotechnique et non une obligation mécanique. À ce titre, il est dicté par des considérations stratégiques aussi bien que techniques ou économiques.

À partir d’un travail sur les durées de maintien en service observées, et donc sur la prise en compte des considérations de terrain sur l’évolution des canalisations, Atlantic’Eau a établi une grille d’hypothèses sur ces durées pour l’ensemble des matériaux du territoire, et a ensuite construit une stratégie de renouvellement en fonction de cela, en pouvant calibrer son rythme selon le niveau d’investissement potentiel en cherchant à lisser le plus possible les investissements pour éviter de fortes variations sur le prix de l’eau.

22 L’analyse de survie (ou de fiabilité) définit le temps restant avant l’arrêt ou la panne de l’objet (ici, réseau de

façon générale, ou branchement, et canalisations). Ce type d’analyse se traduit graphiquement par une courbe de survie (ou de fiabilité), qui permet d’intégrer les actions accélérant ou ralentissant la dégradation de l’objet.

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Figure 15 Durée de maintien en service des différents matériaux sur le territoire d’Atlantic’Eau (Atlantic’Eau, 2016)

Ce type d’approches est assez unique au sein du panel des cas étudiés. Il traduit une redigestion des enjeux de gestion patrimoniale, en développant une méthodologie reproductible partout sur le territoire national tout en étant contextualisé et alimenté par des considérations locales. Pour l’instant unique, à notre connaissance, il fait cependant l’objet d’échanges au sein des territoires du grand Ouest, comme cela fut par exemple le cas lors du carrefour des gestions locales de l’eau de janvier 2019. Il est à la fois le reflet d’une découverte de son réseau par les autorités organisatrices, et le moteur d’un travail important sur la connaissance de ce réseau, porté de manière originale, loin des conceptions peu territorialisées et tenant peu compte du caractère évolutif des différents éléments du réseau qui président aux cadres nationaux sur la gestion patrimoniale.

Cette expérience rappelle que la finesse de ce type de stratégie est fortement dépendante à la fois de l’engagement d’équipes internes dédiées à la question de la gestion patrimoniale, de la connaissance ancrée localement du réseau et de la qualité des données produites à cet effet, et donc du travail nécessaire pour les produire, qui font l’objet du chapitre suivant.

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