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Au-delà des données : construire et diffuser une connaissance locale

Chapitre 2. Quelles données pour quelle connaissance ?

2.4. Au-delà des données : construire et diffuser une connaissance locale

Ce dernier point n’est pas anodin. Il rappelle que, même si les outils de gestion à distance se multiplient, la gestion patrimoniale s’appuie sur des connaissances situées, des données qui émergent du “terrain”. C’est sur ce dernier aspect que nous souhaitons revenir pour clore ce chapitre : éviter de rompre le lien avec le terrain est un défi auquel ne peut répondre un investissement massif dans les systèmes de données entièrement automatisés et la télésurveillance généralisée.

Le temps des inventaires et de la récupération d’archives et d’informations orales dans les petites communes représente une étape essentielle de la production d’une connaissance du

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patrimoine. À cette occasion, il ne s’agit pas seulement de générer des données qui nourriraient des SI et des SIG, mais de récolter des histoires, de s’imprégner d’un savoir situé dans toute sa complexité. ll ne faut pas négliger l’importance de ces récits pour l’exploitation et pour la gestion patrimoniale28.

Mais le maintien du lien avec le terrain se perpétue, au-delà de l’inventaire, dans l’organisation même des services, et notamment dans la coordination entre agents d’exploitation et agents de la gestion patrimoniale. Il est d’autant plus délicat à assurer que les territoires s’agrandissent dans la dynamique intercommunale. S’il ne prend pas en considération cet aspect, le passage à l’échelle peut être destructeur de ce point de vue.

Un moyen consiste à capitaliser sur ce qui aurait pu sembler un problème au premier abord : l’attachement des anciens fontainiers à leur territoire et leur difficulté, voire leur refus, à se déplacer lorsqu’ils intègrent la structure intercommunale. Prendre en considération cet attachement et reconnaître qu’il porte aussi en lui des opportunités pour la gestion de la connaissance est une stratégie que nous avons pu observer au sein de la Régie Eau d’Azur, ou encore à La Clusaz, où le directeur technique a insisté sur cet aspect, soulignant à quel point l’agrandissement des territoires était une épreuve pour cet aspect de la connaissance du patrimoine. Il faut trouver un équilibre dans l’organisation du travail entre le découpage fonctionnel du territoire et la distribution des agents qui leur sont attachés.

Deux choses sont à retenir de cette dimension “située” de la connaissance. Tout d’abord, on y retrouve le point que nous évoquions plus haut : qu’il s’agisse des données ou des récits et des formes de connaissances moins formalisées, une gestion patrimoniale de qualité passe par une gestion patrimoniale de la connaissance elle-même, qui, loin du tout automatique, cultive des savoirs au plus près des réalités locales. Ensuite, cette dimension met aussi en lumière l’importance de l’organisation du travail, et en particulier les relations que peuvent entretenir la gestion patrimoniale et l’exploitation, nous y reviendrons dans le chapitre suivant.

ENCADRÉ 2

La gestion patrimoniale des ouvrages dans la Régie Eaux d’Azur

En intégrant les communes de l’arrière-pays à l’occasion du passage en Métropole, la régie a placé au cœur de sa politique de gestion patrimoniale la question des connaissances. Une grande partie du territoire était à découvrir.

La plus grande des découvertes a été l’importance des ouvrages dans le patrimoine. Très nombreux, ceux-ci cristallisaient les problèmes de déficit de connaissances. Non seulement, personne ne savait dans quel état étaient la plupart d’entre eux, mais pour certains, on ne savait

28 Julian Orr, dans l’ouvrage qu’il a consacré aux réparateurs de photocopieurs montre bien comment la

connaissance collective de cette communauté de pratiques se structure autour d’histoires qui circulent d’une équipe à l’autre (Orr, 1996).

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même pas précisément où ils se situaient. Impossible même de se faire une idée de leur nombre exact.

Ce constat a mené à la définition d’une mission entièrement dédiée à la visite des ouvrages, confiée à un agent, ancien de Veolia. La mise en place de cette mission au long cours a été l’occasion de produire des indicateurs de visite spécifiques. Inspirés de la méthode développée par Eau de Paris (elle-même dérivée des recommandations de l’Association française des Tunnels et de l’Espace Souterrain), ces indicateurs avaient pour objectif, au-delà du seul contrôle de l’état des ouvrages, de produire, dès la visite, des informations utiles à la priorisation des travaux (Figure 18). Les fiches de visites permettent ainsi non seulement d’identifier les urgences, mais aussi de fournir des repères pour la planification à plus long terme.

Figure 18 Schéma d’un ouvrage visité pour inventaire et priorisation de travaux (équipe GESPARE, 2019)

Les informations issues des visites sont rassemblées dans une base de données “maison”, que l’agent en question a configurée spécifiquement pour cet usage. Celle-ci permet d’avoir une vision globale sur l’ensemble du patrimoine, de produire des vues détaillées pour chacun des ouvrages, en assemblant des données techniques, le géoréférencement, des informations générales utiles à la réalisation des travaux (par exemple sur l’accessibilité des sites), un historique des interventions, des photos et des notes plus informelles à propos de l’histoire du site, des noms qui sont donnés au lieu et aux ouvrages par les acteurs locaux, etc.

La récolte de ces informations fait pleinement partie des visites. Réalisées par exemple à l’occasion du nettoyage des réservoirs, ces dernières offrent la possibilité à l’agent en question de croiser les agents d’exploitation, qui sont pour la plupart d’anciens employés locaux. Une fois la visite à proprement parler terminée, il prend le temps de discuter avec eux et de glaner des connaissances situées précieuses.

Par ailleurs, son bureau a été placé dans les locaux du SIG. Les données qu’il récupère à l’occasion des visites sont ainsi immédiatement intégrées. Corrections, précisions, découvertes d’ouvrages : les retours dans les locaux sont l’occasion d’une mise à jour précieuse du SIG.

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Une anecdote souligne enfin l’intérêt de faire connaître les initiatives locales dans le domaine de la gestion patrimoniale. À l’occasion d’une formation, l’agent en question a croisé deux collègues à qui il avait été demandé de réaliser le même genre de tâches dans leurs collectivités respectives, et qui se trouvaient complètement démunies devant l’ampleur du travail. Il a pu prendre le temps de leur expliquer les grandes lignes de la démarche mise en place chez REA et leur a fourni le modèle de base de données qu’il avait agencé, afin qu’elles se l’approprient pour leurs propres visites.