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Tarentaize Beaubrun un quartier populaire et d'immigration maghrébine

PARTIE 1 : Terrain d'Entente, travail social en quartier populaire : une forte territorialisation de

I. Tarentaize Beaubrun un quartier populaire et d'immigration maghrébine

a) Brève histoire de Tarentaize-Beaubrun : un quartier ouvrier et d'immigration.

« La répartition géographique de la population immigrée en France montre l'existence de poches de concentration, signalant l'héritage historique de son implantation initiale autour des bassins industriels.

Dans certains cas, la concentration de population immigrée s'est reportée sur quelques quartiers, ce qui a contribué à les associer à des « quartiers d'immigration' ». Simon Patrick, Les quartiers d'immigration : « ports de première entrée» ou espaces de sédentarisation ? L'exemple de Belleville. In: Espace, populations, sociétés, 1993-2, p. 379.

Initialement un faubourg, Tarentaize a été rattaché à la ville de Saint-Étienne en 1790 et 1792. La population et l'activité commerciale du quartier ont rapidement augmenté et se sont développées au cours des 19ème et 20ème siècles, notamment avec l'expansion de l'activité d'extraction du charbon et la construction de la gare ferroviaire du Clapier en 1857, assurant le transport du minerai. Les travailleurs, venus des campagnes environnantes (Ardèche, Haute-Loire) ou de l'étranger (Italie, Espagne, Pologne, Arménie, Algérie, Maroc, Turquie...)18 se sont ainsi installés à Saint-Étienne, et pour beaucoup en face du Puits Couriot, à Tarentaize, ou en bordure, à Beaubrun. Jusqu'à sa nationalisation en 1946, Couriot était le plus grand puits du bassin charbonnier stéphanois ainsi que le puits principal de la société anonyme des Mines de la Loire, qui était l’une des plus importantes compagnies minières françaises.19 Les travailleurs étrangers œuvraient essentiellement comme manœuvres, l'attractivité de ces postes étant réduite pour les ouvriers français du fait de leur pénibilité, des maigres salaires et des dangers qu'ils présentaient20. Les quartiers Tarentaize-Beaubrun ont ainsi été marqués par un double processus 18 Archives Municipales Saint-Étienne, « Saint-Étienne cosmopolitaine. Des migrations dans la ville » [en ligne], consulté le 20 mars 2019. Disponible sur : https://archives.saint-etienne.fr/

19 Ville de Saint-Etienne, l'expérience design « Secteur Tarentaize / Beaubrun / Couriot ». [En ligne], consulté le 21 mars 2019. Disponible sur : https://www.saint-etienne.fr/

20 Archives Municipales Saint-Étienne, « Arriver, travailler, s'intégrer (?), les étrangers à Saint-Étienne (1920-1939) ».

[en ligne], consulté le 20 mars 2019. Disponible sur : https://archives.saint-etienne.fr/

d'industrialisation et d'ouvriérisation (Bencharif, 2008), mais aussi d'immigration. Cette concentration démographique est le fruit de deux logiques d'organisation des populations étrangères dans l'espace urbain stéphanois : l'une de ségrégation résidentielle mise en œuvre par les institutions publiques et privées afin « d'encadrer » les populations ; l'autre de regroupement communautaire opéré par les migrants et constitué autour de réseaux de solidarités familiales et villageoises (ibid). Préciser cette dernière dimension est important au regard de l'idéal dominant de « mixité sociale » prôné par la politique de la ville qui conduit à percevoir les quartiers concentrant l'immigration maghrébine uniquement sous le prisme de l' « exclusion » et de la

« ségrégation », et non pas comme relevant de logiques d’agrégation volontaire (Pettonet, 1987) et de liens solidarité.

Important territoire d'accueil et de transit de populations étrangères, avec la multiplication dans les années 1950 des regroupements familiaux, Tarentaize est devenu ainsi un des centres principaux de l'activité économique et sociale des communautés immigrées maghrébines à Saint-Étienne. Situé à la périphérie immédiate du centre-ville stéphanois, le quartier voit, dès la période de l'entre-deux-guerres, de nombreuses activités commerciales spécialisées dans la vente de produits provenant du Maghreb se développer. Le quartier est ainsi surnommé « la médina » après la guerre d'Algérie (Kaddour, 2013). La visibilité des commerces maghrébins s'ajoutant à la concentration démographique des populations nord-africaines amène a l'identification de Tarentaize comme un « quartier d'immigration »21 (Simon, 1993). Aujourd'hui l'activité commerciale maghrébine dans le secteur Tarentaize-Beaubrun se concentre essentiellement sur les rues Emile Loubet, Georges Tessier et Beaubrun. Ainsi en 2008, le territoire comptait :

« 54 commerces : 6 magasins d'alimentation générale, 11 boucheries musulmanes, 1 boulangerie, 2 primeurs, 2 commerces de vente de cassette auditives et vidéo et livres, 4 bazars, 6 commerces de confection (vêtements, tissus, bijoux), 16 bars/restaurants, 1 cordonnerie, et 1 salon de coiffure, 1 salon d'esthétique, 1 hammam, deux « centrales téléphoniques » [centrés sur les communications avec le Maghreb] ». (Bencharif, 2008, p. 291)

Même si le nombre de commerces a diminué et leurs activités ont évolué depuis 10 ans

21 L'identification d'un quartier comme « quartier d'immigration » est liée aux représentations des individus, elles-mêmes soumises à la visibilité de l'appropriation commerciale et territoriale d'un espace. Ainsi comme le souligne Patrick Simon, « de nombreux quartiers présentant des proportions d'immigrés élevées avec une faible appropriation de l'espace public ne sont pas considérés comme tels, alors que d'autres ayant moins d'immigrés mais une visibilité plus forte le sont. » p. 379.

(par exemple, une boulangerie a ouvert place Boivin), la concentration, la visibilité et le caractère

« ethnique » des commerces restent inchangés.

b) Un quartier marqué par la concentration de la pauvreté

L'agglomération de Saint-Étienne Métropole (SEM) est habitée par de « nombreux ménages en situation de fragilité économique ou sociale ». Au sein de l'ensemble métropolitain c'est la commune de Saint-Étienne qui concentre le plus de ménages « précaires ». Ainsi près d'un quart des ménages vit sous le seuil de pauvreté22 et sont majoritairement regroupés dans les quartiers d'habitat social et dans le centre ancien, où se trouve un parc locatif privé à bas loyers23. Le quartier Tarentaize-Beaubrun est un exemple de cette corrélation entre les formes d'habitat et leur peuplement à Saint-Étienne. Accueillant de nombreux logements sociaux (tant statutaires que de fait), le quartier se caractérise par une forte concentration de pauvreté, en témoignent les indicateurs statistiques socio-économiques. En 2013, sur les 7606 habitants du quartier, 42,6 % vivent sous le seuil de pauvreté ; à l'échelle de la commune ce pourcentage descend à 22,5 %. Plus de la moitié des personnes entre 15 et 64 ans habitant à Tarentaize-Beaubrun n'ont pas d'emploi (53,9%) et un quart de celles qui en ont un l'exerce dans des conditions précaires (25,1%). Cette précarité s’accroît de plus de 10 points si l'individu est étranger (36,5%). Or 21, 4 % des personnes vivant sur le territoire sont de nationalités étrangères, contre seulement 10,7 % à l'échelle de la commune. L'ensemble de ces indicateurs témoignent ainsi de difficultés d'accès au travail, à un emploi stable ainsi qu'à des rémunérations permettant de vivre « convenablement » (au dessus du seuil de pauvreté) pour une grande partie des personnes vivant à Tarentaize-Beaubrun. Ces indicateurs sont également à mettre en relation avec le faible taux de qualification scolaire et professionnelle de la population de Tarentaize-Beaburun. Ainsi près d'un tiers (31,7 %)24 des demandeurs d'emploi habitant Tarentaize-Beaubrun ont un niveau inférieur au CAP-BEP.

Le quartier de Tarentaize-Beaubrun se caractérise donc par une accumulation de difficultés socio-économiques par rapport au reste de la ville : chômage, revenus faibles, conditions de travail

22 En 2018, le seuil de pauvreté était en France de 1026 euros pour une personne seule.

23 Insee, « Saint-Étienne Métropole : la précarité concentrée dans les centres villes », par Elise Bernert et Alex Gilbert, le 19 février 2015. [En ligne] consulté le 26 mai 2019. Disponible sur https://www.insee.fr/

24 Ibid.

précaires et faible niveau de qualification. La concentration des indicateurs de pauvreté sur ce territoire a ainsi amené les autorités à considéré le quartier Tarentaize-Beaubrun comme

« prioritaire », à l'instar de cinq autres quartiers à Saint-Étienne Métropole qui font aussi l'objet d'une intervention publique territorialisée dans le cadre de la Politique de la Ville.

Bien que témoignant d'une concentration des indicateurs de pauvreté que l'on ne peut nier, il est aussi important de contextualiser la production de ces chiffres : selon la délimitation choisie d'un territoire la concentration de la pauvreté, par exemple, est plus ou moins forte. En somme, l'inclusion ou non de certains îlots ou rues influence le taux de pauvreté d'un espace prédéfini : inclure un îlot où se concentre des populations aisées réduit le taux de pauvreté et inversement. La définition des limites est donc sujette à des enjeux politiques afin d'inclure ou non un territoire dans la Politique de la Ville, et d'obtenir ainsi plus de moyens juridiques et financiers pour les municipalités afin de « traiter » ces territoires « en difficulté » (Estèbe, 2004). La catégorie territoriale « Tarentaize-Beaubrun » est ainsi issue d'un processus de regroupement de deux quartiers distincts par les pouvoirs publics, et institutionnalisée à travers le « contrat de ville 2015-2020 »25.

II. Terrain d'Entente : Une action micro locale basée sur des liens de confiance entre l'association