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Dans le système juridique français

Section 1. Intégration dans le temps et dans l’espace

A. Dans le système juridique français

59. L’assimilation par le système juridique français du critère du discernement est caractérisée par une grande diversité. Ainsi, on va pouvoir constater que le droit pénal des majeurs s’empare de ce critère d’une manière tout à fait distincte du droit pénal des mineurs (1). De même que le droit civil propose une approche encore différente des autres matières, pour s’en éloigner encore davantage (2).

142 Du reste, la Commission a reporté à 14 ans, en matière délictuelle, l’âge à partir duquel un mineur pourrait être incarcéré,

1. Par rapport aux majeurs

60. PRINCIPE : PRÉSOMPTION DE DISCERNEMENT. - Les majeurs sont présumés avoir la faculté de discernement, contrairement aux mineurs qui sont présumés ne pas l’avoir. Cela a une incidence importante en termes de preuve et de charge de la preuve. Pour les mineurs, il faut établir au cas par cas la capacité de discernement. La partie poursuivante doit démontrer, d’une espèce à l’autre, l’aptitude du mineur mis en cause à comprendre et évaluer la portée de ses actes. La charge de la preuve incombe donc à l’accusation. En revanche, pour les majeurs, c’est au prévenu ou à l’accusé de prouver qu’il n’avait pas, au temps de l’action, de discernement. La charge de la preuve incombe donc à la défense. Les majeurs sont déclarés irresponsables si leur discernement a été aboli par un trouble psychique ou neuropsychique en vertu de l’article 122-1 du code pénal. Les données sont donc inversées. Le discernement doit être positivement établi pour les mineurs, au titre de chacune des infractions qu’ils commettent, alors qu’il incombe aux majeurs de faire état de leur absence de discernement pour échapper à une responsabilité fondée sur une liberté d’action présumée. En résumé, le majeur sera responsable sauf si la preuve de l’abolition de son discernement est rapportée ; le mineur ne sera responsable que si la preuve de son discernement est rapportée.

61. APPLICATION. - C’est au Ministère Public revient la tâche de constater si le mineur mis en cause est ou non doué de discernement. La perception du discernement du majeur par le juge relève d’une démarche plutôt centrée sur la survenance des faits143 que sur la personnalité, contrairement aux mineurs. Selon GARRAUD, la vie humaine, du point de vue de la responsabilité pénale, peut être partagée en trois grandes périodes : « Pendant la première, il est certain que l’enfant n’est que l’agent

inconscient des actes qu’il accomplit : ces actes ne lui sont pas imputables. Pendant la seconde, le discernement de l’enfant ou de l’adolescent est douteux ; le délit qu’il commet lui est-il imputable ? C’est une question à examiner et à résoudre dans chaque

espèce. Pendant la troisième, on sait que l’homme a acquis la plénitude de son intelligence, un discernement suffisant, suivant les expressions caractéristiques du code pénal allemand, pour connaître la punibilité ; le délit qu’il commet lui est donc imputable, à moins qu’il ne prouve l’existence, au moment où il l’accomplissait, d’une circonstance accidentelle qui lui ôtait le discernement. Mais il est difficile, impossible même de fixer, d’une manière absolue, la limite précise qui sépare ces périodes »144. En toute hypothèse, force est de constater que si l’application de ce critère du discernement n’est pas aisée, son approche est toutefois plus claire s’agissant des majeurs, le résultat de l’expertise psychiatrique étant généralement concluant en ce qui les concerne.

2. Par rapport au droit civil

62. LA RESPONSABILITÉ CIVILE. - S’agissant de la responsabilité civile, le code civil ne permet pas actuellement de prendre en compte le propre de l’enfant. Lorsqu’une personne est la victime d’un dommage commis par un enfant, elle peut saisir le juge sur la base de deux dispositions : l’article 1382 et l’article 1384 du code civil. Dans le premier cas, l’enfant se trouve assimilé à l’adulte. Dans la mesure où il est un être humain, il est considéré, à certaines conditions, comme responsable de ses actes. Dans le second cas, les parents sont déclarés responsables des actes de leurs enfants. Là, l’enfant n’est plus assimilé à l’adulte mais plutôt à la chose et à l’animal. Il est considéré comme dépourvu de la raison nécessaire à la responsabilité. Pour considérer que l’enfant était responsable sur la base de l’article 1382 ou qu’il avait commis une faute, ainsi que l’exigeait la jurisprudence relative à l’article 1384, le droit requérait initialement que le mineur ait agi avec discernement. Cependant, au fil du temps, cette question s’est révélée insatisfaisante : elle l’était notamment pour la victime qui se voyait privée d’indemnisation si l’auteur du dommage était déclaré non discernant et elle l’était aussi pour l’équilibre de la justice, car on observait des divergences d’appréciation de la notion, en fonction des juridictions. Le plus souvent, les juges

décidaient du discernement en fonction de l’objectif visé. Si l’équité, selon eux, exigeait que la victime fût indemnisée, l’enfant était considéré comme ayant agi avec intelligence et volonté. En revanche, si les parents n’avaient pas souscrit d’assurance « responsabilité civile », il n’était pas rare que les tribunaux déclarent l’enfant non discernant. Pour sortir de cette situation, la Cour de cassation s’est tournée vers l’idée « d’acte objectivement illicite ». Celle-ci consistait à considérer le geste de l’enfant in

abstracto, c'est-à-dire analyser la nature de l’acte commis indépendamment de son

auteur et faire fi du discernement. Ainsi, par deux arrêts du 9 mai 1984, Derguini et

Lemaire145, la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence en abandonnant totalement ce dernier comme élément de la faute délictuelle de l’enfant. De surcroît, la Cour de cassation a vraiment rompu avec la responsabilité parentale basée sur la faute, pour lui préférer la responsabilité de plein droit146. Une faute civile peut être retenue, sur le fondement de l’article 1382 du code civil sans que la Cour d’appel n’ait à vérifier si l’enfant était capable de discerner les conséquences de ses actes. Et, s’agissant de l’article 1384, il trouve à s’appliquer en l’absence même de faute. La Cour de cassation a évolué vers une appréciation objective de la responsabilité civile du mineur : désormais, il suffit que la juridiction de jugement constate la matérialité des faits accomplis par le mineur.

63. Par une loi du 3 janvier 1968 qui a donné lieu à l’article 489-2 du code civil, le législateur était d’ores et déjà venu rompre avec l’élément subjectif de la faute, en admettant la responsabilité des individus atteints de troubles mentaux.

64. Au final, quelle que soit la capacité de discernement de l’auteur d’un fait dommageable, sa responsabilité peut, au civil, être engagée. On constate donc une disparition généralisée de la condition d’imputabilité morale du droit de la responsabilité civile. Selon GARRAUD, la différente place accordée au discernement

145 Cass. AP. 9 mai 1984, arrêts Derguini et Lemaire, Bull. civ. n°2 et 3, D. 1984. 525, concl. CABANNES, note CHABAS ;

JCP 1984. II. 20256, note JOURDAIN.

146 Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, arrêt Fullenwarth, Bull. Civ. n°4, D. 1984. 525, concl. CABANNES, note CHABAS ; JCP

1984. II. 20255, note DEJEAN DE LA BATIE ; RTD civ. 1984. 508, obs. J. HUET. Cass. Civ. 2ème. 19 février 1997, arrêt

selon que l’on se trouve au civil ou au pénal se justifie aisément : « La loi pénale, dans

ses prohibitions ou ses injonctions, fait appel, avant tout au sens moral, à cette impérissable distinction du bien et du mal (…). La loi civile, au contraire, cherche, dans ses prévisions, à régler les relations les plus diverses de la loi sociale (…) »147. L’opposition très nette entre la réparation et la répression explique cette éviction du discernement, dont la reconnaissance était devenue superflue.

65. AUDITION DE L’ENFANT. - Plus largement, en droit civil, dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut être entendu par le juge ou par une personne désignée à cet effet, en vertu de l’article 388-1 du code civil. On a supprimé en 2002148 la possibilité pour le juge d’écarter l’audition du mineur en raison de son âge ou de son état. Toutefois, les éléments permettant au juge de décider si le mineur est ou non doué de discernement paraissent correspondre aux critères utilisés auparavant pour apprécier si l’âge ou l’état du mineur permettait de l’entendre149. En application de ce principe, l’audition de l’enfant est spécialement envisagée notamment dans les procédures relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale150. En pratique, cela va concerner les procédures de divorce, de changement de régime matrimonial, de mise sous tutelle d’un parent. Lorsque que la demande d’audition émane du jeune, son audition est de droit. Le refus ne peut être fondé que sur l’absence de discernement, apprécié au cas par cas. En matière d’assistance éducative, l’audition de l’enfant capable de discernement est obligatoire dans la procédure, selon l’article 1182 du code civil.

66. Après avoir étudié l’appréhension de la notion de discernement en droit français, il paraît intéressant d’envisager ce qu’il en est à l’étranger.

147 René GARRAUD, ouvrage op. cit. n° 144.

148 Décret n°2002-361 du 15 mars 2002 modifiant le code de procédure civile et relatif à l'assistance éducative, NOR JUS

F0250028D, J.O. n°65 du 17 mars 2002 p. 4860, AJ fam. 2002. 212, comm. AMBRY ; D. 2002. 1433, comm. M. HUYETTE ; Droit de la famille 2002, chron. 14, comm. A. GOUTTENOIRE.

149 Philippe BONFILS, Adeline GOUTTENOIRE, ouvrage op. cit. n°10. 150 Art. 373-2-11 du code civil.