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Le droit positif et le droit prospectif

Section 1. Intégration dans le temps et dans l’espace

B. Le discernement, référence réhabilitée puis déclarée

2. Le droit positif et le droit prospectif

51. DÉCLARATION DE L’ARTICLE 122-8 DU CODE PÉNAL. - Les divergences d’interprétation commandaient effectivement une clarification et c’est ce que le législateur a entrepris en affirmant expressément le principe de la responsabilité pénale des mineurs sous réserve de discernement dans l’article 122-8 du code pénal, à la faveur d’une disposition en ce sens de la loi du 9 septembre 2002129. Aux termes de ce dernier,

« les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet ». Le principe est donc celui

de la responsabilité, y compris pour les mineurs de 13 ans et son critère est celui du discernement. La nature de la responsabilité ne tient effectivement pas à ses sanctions : que la peine soit exclue à l’encontre des mineurs de 13 ans ou qu’elle soit exceptionnelle au-delà de cet âge, la responsabilité est, et ce de façon uniforme. 52. Si cette clarification législative de 2002 est heureuse, il faut d’emblée en relativiser l’apport. En effet, l’affirmation législative du principe de responsabilité pénale des mineurs conditionnée par le discernement n’est que la traduction de la solution jurisprudentielle constamment appliquée depuis l’arrêt Laboube. En définitive, la solution de la réforme de 2002 n’est donc pas une révolution mais une simple déclaration. Déclaration à laquelle on ne peut que toutefois souscrire tant ell e est symbolique et notable. Il convient de préciser, que déjà, en 1983, la Commission MARTAGUET130 avait recommandé d’affirmer un principe de responsabilité des mineurs, ce qui était, à l’époque tout à fait révolutionnaire. De même que dix ans plus tard, à l’occasion de l’adoption de la mesure de réparation pénale à l’égard des mineurs, la responsabilité pénale des mineurs avait été affirmée explicitement, et ce, en contradiction avec l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945. La circulaire disposait ainsi : « Le principe général du droit pénal qui s’applique aux mineurs est un

129 Loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002, op. cit. n°45.

principe de responsabilité atténué au regard de leur âge et non un principe d’irresponsabilité, ce qui signifie une possibilité de compréhension par le mineur de l’infraction commise qui évolue selon l’âge et fonde le principe d’éducation » 131. De surcroît, en 1998, suite aux conclusions du rapport de la Mission interministérielle, présidée par Mme LAZERGES et M. BALDUYCK132, et toujours sous l’impulsion de cette dernière, le principe de la responsabilité pénale des mineurs était affirmé dans des circulaires d’orientation de politique pénale. Précisons, enfin, que la formulation utilisée par le législateur, en 2002, « les mineurs capables de discernement », semble avoir été calquée sur le droit supranational, comme le fait remarquer Mme Jocelyne CASTAIGNÈDE133 : à l’article 12, la Convention internationale des droit de l’enfant susvisée accorde à « l’enfant qui est capable de discernement, le droit d’exprimer

librement son opinion sur toute question l’intéressant ».

53. ÉTAT DES LIEUX. - En définitive, actuellement, sur le plan du droit positif, la responsabilité des mineurs est la règle, mais cette dernière n’est effective que pour ceux capables de discernement. Le discernement est, on le voit, pleinement intégré dans le dispositif applicable aux mineurs délinquants, pour en être la référence désormais explicite. Autrement dit, il est une limite à la responsabilité légalement affirmée. Le critérium du discernement est un préalable qui concerne tous les mineurs. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, en France, d’âge minimal de responsabilité pénale, d’âge en-dessous duquel un mineur ne peut comparaître devant une juridiction pénale, quand bien même elle serait spécialisée. Comme l’exprime parfaitement Mme Christine LAZERGES134, « le seuil de minorité pénale à l’inverse du seuil de majorité pénale n’est donc pas figé

en droit français ». Dès lors, dans l’absolu, on pourrait, faute de fixation d’aucun seuil

inférieur, considérer que dès la naissance, il est possible d’être prévenu d’infraction. Bien qu’aucun texte ne le prescrive, il est généralement admis qu’en dessous de l’âge

131 Circulaire du 11 mars 1993 relative à la mise en œuvre à l’égard des mineurs de la mesure de réparation pénale, NOR JUS

F9350013CK2, http://www.circulaires.legifrance.gouv.fr/.

132Rapport BALDUYCK/LAZERGES, op. cit. n°51. 133 Jocelyne CASTAIGNÈDE, article op. cit. n°104.

de 7 ans, considéré comme « l’âge de raison », les mineurs sont présumés irresponsables pénalement car certainement dépourvus de discernement. Il s’agit d’une coutume, héritée du droit romain, mais qui n’est inscrite nulle part dans notre droit. Le droit pénal des mineurs étant en perpétuel mouvement, ce critère du discernement, pourtant consacré officiellement depuis 2002, est encore régulièrement au centre des discussions.

54. LES PROJETS. - En 2008, ce référent qu’est le discernement a effectivement été au cœur du rapport VARINARD135. Dès les premières phrases de l’introduction, la Commission a mis en exergue cet élément et en a fait un critère de mesure de la répression : « Si l’on fonde, selon la conception classique, la responsabilité pénale sur

le libre arbitre de l’individu qui dispose d’une liberté de choix, il faut nécessairement adapter la répression pour les enfants et les adolescents qui ne disposent pas d’une pleine conscience ». Pourtant, aux termes de ce rapport, le discernement ne serait plus

le premier critérium de la responsabilité pénale d’un mineur, puisque parmi ses « modifications raisonnables », la Commission VARINARD proposait de fixer un âge minimum de responsabilité pénale136. Estimant que l’intégration du discernement est facteur d’ambiguïtés dans notre législation, elle recommande en effet de déterminer un âge fixe en deçà duquel le mineur sera automatiquement exclu de la sphère pénale. Se fondant à la fois sur les préconisations des instances internationales et sur les statistiques du Ministère de la Justice, les membres de la Commission VARINARD proposaient, pour ce faire, l’âge de 12 ans. En deçà, cela reviendrait à se situer parmi les législations européennes les plus répressives et, au-delà, cela reviendrait à nier le rajeunissement de la délinquance des mineurs. Il ne serait donc plus nécessaire d’établir au cas par cas que le mineur a agi avec discernement, comme c’est le cas présentement. Le mineur de plus de 12 ans serait présumé responsable dans les mêmes conditions qu’un majeur. Il s’agirait toutefois d’une présomption simple susceptible d’être renversée. Le discernement passerait donc en arrière-plan. Sa visibilité serait moindre,

135 Rapport VARINARD, op. cit. n°20. 136 Ibid, proposition n°8.

pour ne pas dire réduite à néant. Il demeurerait pourtant, mais dans un second temps, après vérification de l’âge de 12 ans et seulement si contestation il y a. De plus, base du droit pénal des mineurs, il figurerait dans la formulation liminaire des fondements de la justice pénale des mineurs tenant compte des exigences constitutionnelles et conventionnelles137. Dans le dispositif proposé, l’atteinte de l’âge de 12 ans et le discernement sont donc deux conditions nécessaires à la reconnaissance de la responsabilité pénale d’un mineur, mais seule la première exigence est vérifiée à chaque fois, la seconde étant supposée.

55. La majorité de la doctrine138, à l’instar de M. Philippe BONFILS139, a souligné l’amélioration que la fixation de ce seuil constituerait, par rapport à notre système actuel, en particulier au regard des recommandations internationales. Cela étant dit, les commentateurs s’accordent aussi pour dire que l’âge retenu est trop bas. Me Josiane MOREL-FAURY140, Avocate, indique que parmi les pays européens, seuls deux pays ont un seuil inférieur, la Suisse et l’Angleterre, et que la plupart des autres pays d’Europe a retenu des âges bien supérieurs. Elle relève surtout l’incohérence de ce choix, notamment au regard de la matière civile, qui a, de son côté, retenu l’âge de 13 ans, pour tout ce qui concerne l’état civil de l’enfant141.

56. En tout état de cause, contrairement à ce qui a été relayé par les médias et commentateurs, au moment de la parution du rapport VARINARD, la fixation d’un âge minimal de responsabilité pénale n’est pas une proposition répressive, en comparaison avec la condition actuelle du discernement. En effet, à présent, ainsi que cela apparaît plus avant dans nos développements, à partir du moment où un enfant est déclaré

137 Article préliminaire proposé : « Afin de concilier l’intérêt du mineur avec les intérêts de la société et des victimes, la

responsabilité pénale des mineurs capables de discernement est mise en œuvre conformément aux dispositions du présent code, dans le respect du principe d’atténuation de cette responsabilité en fonction de leur âge et en recherchant leur relève ment éducatif et moral par des sanctions éducatives ou des peines adaptées à leur âge et à leur person nalité, prononcées et mises à exécution par des juridictions spécialisées ou selon des procédures appropriées ».

138 Elise BARBÉ, « Les propositions de réforme de la justice des mineurs », Recueil Dalloz 2009, p.72 ; Josiane MOREL-

FAURY, « Les propositions de réforme de l’ordonnance de 1945 sous le regard d’un avocat », AJ Pénal 2009, p. 16.

139 Philippe BONFILS, « Présentation des préconisations de la Commission VARINARD », AJ Pénal 2009, p. 9. Selon ce

dernier, ce nouveau seuil de responsabilité pénale des mineurs mettrait fin à la singularité du droit français et répondrait notamment aux exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant .

140 Josiane MOREL-FAURY, article op. cit. n°138. 141 V. infra.

« discernant », et quand bien même il n’aurait que 7 ans, il devra répondre de ses actes devant une juridiction pénale et se verra appliquer les mesures ou peines encourues. Or, en l’occurrence, la Commission propose, en quelque sorte, de reculer l’âge de la responsabilité pénale de 7 ans à 12 ans. Ce faisant, toute infraction commise par un mineur de moins de 12 ans sortirait de la sphère pénale et relèverait seulement du droit civil. L’analyse primitive provient d’une confusion récurrente entre l’âge de la minorité pénale et la possibilité d’incarcérer un mineur142. La question de la responsabilité doit être dissociée de celle de la sanction.

57. Après avoir parcouru l’histoire du droit pénal des mineurs et son intégration du discernement, lequel -on l’a compris- est très vivace, il nous faut adopter une démarche comparative, pour mieux saisir ultérieurement la portée de cette référence.

§2. L’approche comparative

58. Afin d’identifier et de mesurer pleinement l’intégration du discernement par notre droit pénal des mineurs, il convient d’interroger, dans un premier temps, les différents pans du système juridique français ayant recours à ce support (A), puis, dans un second temps, d’appréhender la saisine de ce dernier par les systèmes étrangers dans leur ensemble (B).