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L’apparition de la « capacité pénale »

Section 2. Intégration au service de la politique criminelle

A. L’apparition de la « capacité pénale »

89. Tandis qu’avec le critère du discernement, on vérifiait que le mineur était blâmable, avec celui de la capacité pénale, on s’assure qu’il soit éducable (1). Tandis qu’avec le critère du discernement, le mineur était considéré en qu’il était apte à l’infraction, avec celui de la capacité pénale, il est considéré en ce qu’il est apte à la sanction (2).

1. Le mineur éducable

90. LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE. - En 1945, on a abandonné la notion de discernement et on l’a remplacé par celle d’éducabilité des mineurs coupables. On est passé du « mineur discernant » au « mineur éducable ». On sait, qu’avant cette date, les juges avaient déformé cette notion du discernement, puisqu’ils ne répondaient à cette question que d’un seul point de vue utilitaire, selon qu’il leur semblait préférable d’infliger au mineur une sanction pénale ou de lui faire subir une mesure éducative. On ne se fondait plus sur l’existence d’une maturité suffisante permettant de présumer qu’il y a chez le mineur un libre-arbitre mais sur « les intérêts solidaires de la société et de

l’enfant »168. Du point de vue de M. Philip MILBURN, la personnalité est alors venue remplacer la moralité comme principe fondateur de l’action publique prévue en faveur

des mineurs de justice et l’éducabilité est devenue le critère discriminant pour déterminer leur prise en charge institutionnelle. Selon lui, l’ordonnance de 1945 « est

venue substituer au paradigme de la morale commune, laïque ou religieuse celui de la psychologie clinique »169. Le moralisme dont on a vu qu’il était au cœur de la notion juridique de discernement a laissé place à une « clinique psychologique ». Le texte de 1945 a déplacé, toujours selon M. Philip MILBURN, le centre de gravité de l’interprétation des comportements déviants à l’intériorité de la conscience morale vers l’extériorité des causes socio-psychologiques. Il poursuit : « la science psychologique

vise à s’affranchir progressivement du moralisme qui la précédait pour tendre vers une utopie de neutralité axiologique : celle d’une science qui serait exempte de toute valeur ou de tout jugement moraux ».

91. TRAITEMENT THÉRAPEUTIQUE. - Au paradigme de la correction paternelle et de l’isolement a succédé le paradigme du paternalisme d’État équipé de ses diagnostics de personnalité et de sa clinique de la réadaptation. La démarche est dorénavant de l’ordre thérapeutique et non plus « isolante ». Le mineur est considéré comme toujours psychologiquement faible et juridiquement incapable. Comme le disait Henri MICHARD170, un des principaux entrepreneurs de ce mouvement, les comportements des mineurs délinquants sont considérés comme des symptômes. Alors qu’avant on œuvrait pour la régulation sociale, dorénavant on œuvre au niveau de la normalisation des personnes. À une justice rétributive s’est substituée une justice résolutive.

92. En d’autres termes, en 1945, on est sorti de la seule logique du discernement et de la coercition pour répondre à l’objectif d’éducabilité. On part de l’incapacité juridique et de l’inadaptation pour permettre au mineur d’évoluer, sous un régime de protection, vers une adaptation à la société qui doit lui en fournir les moyens. La justice des mineurs est en fait le prototype de la justice de l’État-providence, dans laquelle le

169 Philip MILBURN, ouvrage op. cit. n°156.

170 Henri MICHARD, De la justice distributive à la justice résolutive. La dialectique du judicia ire et de l’éducatif, Vaucresson,

sujet est conçu comme l’objet de déterminismes sociaux, affectifs et familiaux que le juge doit « traiter ». L’éducabilité « met en suspens l’action pénale coercitive afin de

pouvoir se déployer, notamment par la prise en compte de la personnalité de chaque mineur, de manière à trouver une réponse adaptée à sa problématique ». C’est un

authentique projet de politique criminelle humaniste qui est élaboré à l’intention des mineurs délinquants, selon Mme Christine LAZERGES171. Elle qualifie le modèle proposé de « protectionniste ou tutélaire », lequel se concentre surtout sur la capacité du mineur à tirer profit de la sanction.

2. Le mineur apte à la sanction

93. ORIGINE. – Depuis le début du XXème siècle, sous l’influence d’une théorie criminologique, celle de la « Défense sociale », la pénalité s’était éloignée d’une simple technique d’exemplarité de la sanction pour s’orienter progressivement vers une technologie de la réadaptation orthopédique, comme le dit si justement FOUCAULT dans Surveiller et Punir172. Théorisée en France par Raymond SALEILLES et Adolphe PRINS, cette approche a évolué au contact des sciences humaines pour se régénérer sous la forme d’une « Défense sociale nouvelle ». Or, le concept de capacité pénale a notamment été inspiré notamment des enseignements de cette école. Pour les tenants d’un tel système, tels Marc ANCEL ou M. Raymond GASSIN, les mesures qui sont prises contre le délinquant ne le sont pas à son encontre, mais dans son intérêt. L’infraction peut donc, dans cette hypothèse, se limiter au simple acte matériel réalisé et pénalement qualifié.

94. DEFINITION. - La capacité pénale est l’aptitude du délinquant à bénéficier de la sanction après son jugement, selon M. Reynald OTTENHOF173. Elle est un concept criminologique, avancée par STANCIU174, puis MM. MERLE et VITU175 et que

171 Christine LAZERGES, article op. cit. n°1. 172 Michel FOUCAULT, ouvrage op. cit. n°163.

173 Reynald OTTENHOF, « La responsabilité pénale des mineurs dans l’ordre interne et international », Rapport Général, RIDP,

2004/1-2, (vol.75), p.25-49 ; « Imputabilité, culpabilité et responsabilité en droit pénal », in « Justice des mineurs », Arch. Pol. crim. n°22, 2000, Pedone, p. 74.

174 Vasile STANCIU, « La capacité pénale, le problème de la responsabilité », RDPC, 1938, p. 854 et s. 175 Roger MERLE, André VITU, ouvrage op. cit. n°118.

nombre d’auteurs ont qualifié d’« ingénieux »176 et porteur. Elle est, selon ces derniers, « une notion dynamique éclairée par l’avenir du délinquant et par les impératifs de

resocialisation ». Elle invite à mettre en évidence les possibilités réceptives que recèle

la personnalité du sujet au regard des différentes sanctions prévues et focalise l’attention sur son devenir. Contrairement au discernement qui évoque l’idée de rétribution, la capacité pénale s’appuie sur l’idée de réadaptation sociale.

95. Ce serait dans le domaine des mesures de sûreté, beaucoup plus que dans celui des peines, que les virtualités de la notion de capacité pénale tendraient à se manifester avec le plus de dynamisme, à propos des individus que les législations traditionnelles déclarent irresponsables.

96. INDIFFÉRENCE DU LIBRE-ARBITRE. - On ne pense plus en termes d’aptitude à l’infraction, soit de discernement, mais en termes d’aptitude à la sanction, soit de « capacité pénale ». M. Philippe ROBERT parle de « glissement historique »177 pour décrire ce changement de modèle. Ce qui importe, ce n’est plus tant de savoir si le jeune délinquant disposait de son libre-arbitre au jour de l’infraction, que de déterminer au jour du jugement s’il sera en mesure de comprendre la nécessité de la sanction, de la supporter et d’en tirer profit. Initialement, l’ordonnance de 1945 n’exigeait plus l’établissement au cas par cas du discernement mais laissait aux tribunaux le soin de rechercher si la prononciation d’une peine était opportune, autrement dit si la sanction paraissait susceptible d’être bénéfique dans telle ou telle espèce. Faustin HÉLIE, quant à lui, soulignait que « le tribunal pour enfants n’avait

plus à se prononcer sur la question du discernement, qui mettait en jeu la responsabilité psychologique et morale de l’enfant. Désormais, le tribunal devait rechercher objectivement la solution la plus favorable à l’intérêt de l’enfant et la plus efficace au point de vue social »178.

176 Georges LEVASSEUR, « L’imputabilité en droit pénal », Rev. Sc. Crim 1983, p. 1. 177 Philippe ROBERT, ouvrage op. cit. n°38.

97. APPLICATION. - Appliquée au droit pénal des mineurs, la capacité pénale se décline en plusieurs volets. En premier lieu, elle implique la primauté de l’éducatif sur le répressif, ce que l’article 2 de l’ordonnance de 1945 pose. Il met en place l’exclusivité des mesures de sûreté pour les mineurs de 13 ans. Pour les mineurs de plus de 13 ans, le prononcé d’une peine revêt un caractère subsidiaire et sera fonction des circonstances et de la personnalité du mineur. En deuxième lieu, la sanction pénale doit être opportune. Ce concept criminologique de capacité pénale engage un objectif fondamental et prioritaire de socialisation des mineurs. Si le discernement permet de vérifier s’il y a lieu à sanction, la capacité pénale guide le juge dans le choix de la sanction, laquelle sera ainsi personnalisée. Henri DONNEDIEU DE VABRES, commentant l’ordonnance de 1945179, écrivait : « Les mesures protectrices et

éducatives ne peuvent être utilement prises que si elles sont profondément individualisées, c'est-à-dire extrêmement adaptées à la personnalité même du mineur qui est jugé ». En troisième lieu, l’opportunité de la sanction et son individualisation

se concrétiseront par le biais d’une palette de sanctions suffisamment large pour tenir compte de la capacité pénale du mineur.

98. « Vis-à-vis des enfants criminels, formulait dans ce sens GARRAUD, la

question capitale n’est pas d’examiner s’ils sont ou non responsables, mais quelles mesures il y a lieu de prendre pour sauver l’avenir ». Henri DONNEDIEU DE

VABRES relevait que c’est le développement général de l’enfant, le milieu dans lequel il vit, et ce sont « des raisons variées de politiques criminelles, y compris l’état présent

de l’opinion quant à la valeur relative des peines et des moyens éducatifs »180qui déterminent la sanction

99. Ce concept de capacité pénale, acceptable dans un modèle purement protectionniste, est aujourd’hui marginalisé ou, à tout le moins, distancié, tant le droit,

179 Henri DONNEDIEU DE VABRES, article op. cit. n°43. 180 Henri DONNEDIEU DE VABRES, ouvrage op. cit. n°99.

même spécialisé, ne peut se suffire de l’aptitude à la sanction et faire l’économie de la recherche de l’aptitude à l’infraction.