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La remise en question de la capacité pénale

Section 2. Intégration au service de la politique criminelle

B. La remise en question de la capacité pénale

100. Si la notion de capacité pénale est constamment interrogée (1), elle a toutefois progressivement montré ses limites et a finalement été délaissée (2).

1. La capacité pénale, concept constamment interrogé

101. NOTION ACCESSOIRE. - La notion de capacité pénale est aujourd’hui profondément remise en cause. Selon le Professeur Jean PRADEL181, il est vrai qu’elle n’est pas une notion toujours opérationnelle, car le traitement du délinquant est loin d’être la panacée à laquelle on a cru. Il est indéniable qu’elle a contribué à mettre en place, à une époque, une justice très conséquentialiste et réaliste et qu’elle a aidé ses acteurs à sortir du tropisme carcéral. En toute hypothèse, cette capacité ne doit, semble- t-il, être appréciée qu’au moment du choix de la sanction, une fois que le principe de responsabilité pénale a été admis par le juge. Or, le juge ne peut retenir cette responsabilité que si l’agent a la capacité de comprendre et de vouloir commettre l’infraction. La capacité pénale peut avoir un sens, mais seulement dans un second temps. Il faut se garder de brûler les étapes : avant de s’interroger sur le type de sanction profitable au mineur, il convient de vérifier s’il y a lieu à sanction.

102. ACTUALITÉ. – Dans sa thèse consacrée à la notion de capacité pénale, soutenue en 2011, M. Clément MARGAINE182 dépasse la traditionnelle dichotomie entre aptitude à l’infraction et aptitude à la sanction en adoptant une définition extrêmement large dudit concept. Selon lui, la capacité pénale est « l’ensemble des

aptitudes subjectives conditionnant aussi bien l’engagement que la sanction de la responsabilité pénale d’un individu ». L’auteur identifie deux types d’aptitudes. La

première renvoie à « la capacité délictuelle ». Il s’agit de l’aptitude à l’infraction et de

181 Jean PRADEL, Droit pénal général, Cujas, 18ème éd. 2010.

l’aptitude à l’imputation de cette infraction. Elle « conditionne le jugement de

responsabilité et contribue à en assurer la dimension morale ». La seconde renvoie à

la « capacité pénitentiaire ». Il s’agit, selon lui, l’aptitude à la sanction et constitue le fondement de la personnalisation des peines. Cette dernière permet d’adapter la sanction à la personnalité et aux besoins de l’auteur de l’infraction. L’aptitude à la sanction serait d’ailleurs plutôt pensée négativement, comme « incapacité

pénitentiaire » et c’est en droit pénal des mineurs que l’on en trouve la consécration la

plus aboutie. Par exemple, selon l’auteur, l’excuse de minorité des articles 20-2 et 20- 3 de l’ordonnance du 2 février 1945 est fondée sur une capacité pénale à la sanction limitée. M. Clément MARGAINE fond ici la notion juridique de discernement et la notion criminologique de capacité pénale dans un seul et même concept, mais présentant toujours deux visages. Si l’on adopte sa définition de la capacité pénale, alors seule la capacité judiciaire serait, à ce jour, secondaire. En effet, force est de constater que ce qu’il nomme « la capacité délictuelle » est constamment requise et qu’on ne peut s’en départir.

2. La capacité pénale, concept finalement délaissé

103. CONCEPT INSATISFAISANT. - Le recours exclusif à la capacité pénale met, à notre sens, le droit de l’enfance délinquante en contradiction avec les principes généraux du droit. Comment infliger une sanction -ou même une mesure purement éducative-, si adaptée soit-elle à une personne, sans lui avoir, au préalable, imputé l’infraction donnant lieu à celle-ci ? L’enfant peut-il répondre d’une infraction même si, au moment de son acte, il ne disposait pas d’une raison suffisante ? C’est à ces objections et interrogations qu’est venu répondre l’arrêt Laboube étudié précédemment et qui a réintroduit explicitement en 1956 l’impératif de discernement chez l’enfant, comme préalable à l’engagement de sa responsabilité pénale. On ne peut se satisfaire du bénéfice « en tout état de cause » de la mesure prise à l’encontre de l’enfant, indépendamment de la question du discernement, jugée inutile. En effet, comme le relève Jean CHAZAL, il faut penser « au profond sentiment d’injustice que ressentirait

un enfant qui, en grandissant, se rendrait compte que c’est en lui apposant l’étiquette de délinquant lorsqu’il avait cinq ans, que l’on a entrepris son éducation ou sa

rééducation. On n’édifie jamais la réinsertion d’un être humain dans la vie sociale sur une injustice »183 . Or, à notre humble avis, le défaut de conscience exclut même la notion de délit.

104. L’INDISPENSABLE RÉINVESTISSEMENT DU DROIT. - Par ailleurs, comme le montre M. Antoine GARAPON184, l’approche de la délinquance en termes psychologiques, adoptée au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, c'est-à-dire cette subjectivisation de la délinquance où la justice ne se livrait plus à ce travail premier de discriminer le bien et le mal -en situant ce dernier dans un déterminisme extérieur au sujet- ne paraît plus acceptable à notre époque : l’accent est de nouveau mis non sur la rééducation d’un mineur délinquant mais sur son aptitude à répondre de ses actes. Ainsi, poursuit-il, s’établit une distance par l’introduction de deux pôles qui n’était pas possible tant que le sujet juridique et l’individu psychologique étaient confondus. Il ne faut pas accepter cette confusion des places et des rôles : la justice n’est pas là pour faire du social. M. Denis SALAS185, quant à lui affirme que « l’enjeu

de la reconquête de ce terrain perdu par le droit pénal est de réintroduire une distance entre l’individu dans sa dimension psychique et la personne juridique titulaire de droits et de devoirs ». Selon lui, laisser le mineur croire en sa faiblesse psychologique et en

son incapacité juridique, c’est « nier la fonction instauratrice du droit ».

105. C’est certainement en raison de ces controverses autour du recours exclusif à la capacité pénale et de la « psychologisation » du traitement pénal, combinés à la poussée du modèle légaliste -elle-même favorisée par l’internationalisation du droit pénal des mineurs- que s’est développé, assez récemment, le paradigme responsabiliste.

183 Jean CHAZAL, « Le petit enfant devant l’ordonnance du 2 février 1945 », Gaz. Pal. 1955 (1er sem .), doctr., p. 26. 184 Antoine GARAPON, « Justice rituelle, justice informelle, justice décentralisée », in La justice des mineurs, évolution d’un

modèle, GARAPON, Denis SALAS (Dir.), Bruylant, LGDJ, 1995.

§3. Le modèle de la responsabilisation réintégrant la référence au discernement

106. Au l’aube du XXIème siècle, alors que sont mis en avant les bénéfices pour le mineur de la reconnaissance de sa responsabilité individuelle (A), la politique criminelle conduit à une formalisation de l’exigence de discernement (B).