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La place du discernement différenciée

Section 1. Le discernement, préalable indispensable à la responsabilité

A. La place du discernement différenciée

123. Selon qu’il est envisagé par les juristes (1) ou par les criminologues (2), le concept de discernement occupe un rôle plus ou moins déterminant dans la théorie de la responsabilité pénale.

1. Les doctrines juridiques

124. ENJEUX. - Plusieurs conceptions de la responsabilité pénale ont été développées au fil du temps par la doctrine. Selon M. Jean-Marie AUSSEL204, « la

vieille querelle du libre-arbitre et du déterminisme se dresse en toile de fond de tout

204 Jean-Marie AUSSEL, « Confrontation de la théorie générale de la responsabilité pénale avec les données de la

criminologie », in Travaux du Colloque de science criminelle, Institut de criminologie et de sciences pénales de la faculté de droit de Toulouse, Librairie Dalloz, 1969.

problème de responsabilité ». Or, selon la nature de la responsabilité pénale retenue,

le discernement sera intégré ou non dans le droit positif.

125. CLASSIQUES ET NÉO-CLASSIQUES - Pour les classiques, la responsabilité pénale est liée à la liberté morale du délinquant au moment où il accomplit son acte délictueux. Elle est fondée sur le postulat métaphysique du libre-arbitre. Cette responsabilité a un caractère individualiste et instantané. Il y a assimilation entre le sentiment subjectif de responsabilité, l’imputabilité et le libre-arbitre métaphysique. Selon les néo-classiques, il faut se garder de lier indivisiblement la responsabilité pénale et la responsabilité morale et la responsabilité morale et le libre-arbitre. Ils ne nient pas les déterminismes qui jouent sur l’exercice de la liberté humaine205. Le concept de culpabilité au jour de l’infraction fournit un fondement juridique à l’intervention étatique, mais c’est l’aptitude du sujet à supporter le châtiment et à en bénéficier dans l’avenir qui doit constituer le critère de la condamnation pénale. Pour eux, ce qui importe ce n’est plus tant de savoir si le délinquant disposait de son libre - arbitre au jour de l’infraction que de déterminer au jour du jugement s’il sera susceptible de comprendre la nécessité de la sanction, de la supporter et d’en tirer profit. On comprend que le critère de la responsabilité pénale des classiques peut correspondre au critère du discernement, mais qu’en revanche, pour les néo-classiques, il s’agirait plutôt de celui de la capacité pénale.

126. POSITIVISTES. - Au regard de des doctrines positivistes, la croyance en la liberté morale est une illusion. L’homme ne se détermine pas ; il est déterminé, poussé vers un but qu’il n’a pas choisi et que fixe la force, interne ou externe, qui est prépondérante dans son esprit au moment de son acte. Il ne commande pas, il obéit aux multiples impulsions qui impressionnent son cerveau et qui proviennent de son hérédité, de son éducation, du milieu dans lequel il vit, ou des impressions du moment présent. Il est esclave quand il se croit le maître de sa destinée206. Sans poser la question du libre arbitre sur le terrain métaphysique, le droit positif se place à un point de vue

205 Ibid. 206 Ibid.

plus simple. Il aperçoit une distinction, fondée ou non, peu importe, en tout cas réelle, entre les individus qui vivent en société. Certains obéissent à une force irrésistible et ne peuvent pas agir autrement, alors que d’autres auraient pu ne pas faire ce qu’ils ont fait, d’ailleurs ils l’avouent, et le reconnaissent eux-mêmes, justifiant leur conduite par des motifs auxquels ils ont souscrit, mais qu’ils auraient pu aussi repousser. Aux premiers, le droit positif ne demande pas compte de leur conduite ; il retient au contraire les seconds, parce qu’ils avaient la possibilité de résister à leurs suggestions et qu’ils ne l’ont pas voulu. Il ne cherche pas à savoir si cette force de résistance, dont ils ont fait un mauvais usage, ils la doivent à eux-mêmes, à leur éducation ou à leur milieu, et s’ils ont accru ou diminué l’héritage paternel ; il se borne à examiner s’ils l’ont. Cette théorie ne fait pas expressément référence au discernement, même si l’on présume qu’il est présent derrière la distinction opérée : les premiers seraient ainsi dépourvus de discernement, alors que les seconds en seraient éventuellement parés.

2. Les doctrines criminologiques

127. DÉFENSE SOCIALE NOUVELLE. – Pour cette école de la Défense sociale nouvelle, ce qui importe, c’est la responsabilité concrète. Marc ANCEL207, qui prônait une vraie pédagogie de la responsabilité, ne croyait pas que les magistrats puissent avoir pour rôle d’évaluer cette responsabilité et de prononcer une sanction en fonction de ces appréciations. Le concept de responsabilité n’est pas le postulat, le point de départ mais le point d’arrivée, le but terminal de l’action sociale anticrimin elle. La responsabilité que doit prendre en considération le droit pénal consiste essentiellement, selon lui, dans « ce sentiment intime et collectif de responsabilité susceptible d’être

rationnellement utilisé à des fins de justice sociale, et dans une action méthodique, résolue, de protection anticriminelle » 208.

128. AUTRES CRIMINOLOGUES. – Selon PINATEL209, on ne raisonne pas en termes de « responsabilité » mais « d’état dangereux » du sujet traité. Ainsi au concept

207 Marc ANCEL, ouvrage op. cit. n°42. 208 Ibid.

de responsabilité pénale, les criminologues feraient correspondre le concept de « dangerosité ». Plus précisément, lorsque le juriste parle « d’imputabilité », le criminologue pense « adaptabilité », lorsque le juriste essaie de déceler la « culpabilité », le criminologue songe à détecter la « capacité criminelle ». Pour les criminologues, toute recherche de responsabilité au moment de l’infraction ou lors de la comparution du délinquant devant les autorités judiciaires est dépassée, superflue et même nocive pour l’efficacité d’un traitement véritable. PINATEL estimait que le juge, au lieu de se laisser accaparer par le problème abstrait et insoluble de la responsabilité, devrait accepter de prendre en considération la personnalité du prévenu. L’étude du discernement comme condition de la responsabilité n’a donc aucune place dans cette théorie, puisque ce n’est pas parce qu’un sujet est relativement lucide, ou qu’il éprouve le sentiment personnel de la culpabilité, qu’on doit le déclarer responsable pénalement. Chez les pénalistes, c’est le souci d’une certaine intimidation et du rôle tonique de la notion de responsabilité qui domine. Chez les criminologues, l’accent est mis uniquement sur l’effort de compréhension en vue d’un traitement individualisé.

129. En toute hypothèse, le droit positif quant à lui n’est pas d’une grande clarté s’agissant de définir le rôle du discernement. Il nous faut donc nous placer, pour tenter d’y répondre, dans la perspective de la conception classique de la responsabilité, à laquelle nous adhérons pleinement.