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La formalisation concomitante du discernement

Section 2. Intégration au service de la politique criminelle

B. La formalisation concomitante du discernement

112. Sous couvert de la promotion du développement d’un modèle de responsabilisation du mineur, la politique criminelle a de nouveau insufflé, avec la réintroduction du critère du discernement, un vent de pénalisation sur le droit pénal des mineurs (1). Ce serait désormais l’acte perpétré par le mineur et sa dangerosité , qui occuperaient, au premier plan, la scène pénale (2).

190 Marc ANCEL, ouvrage op. cit. n°42. 191 Christine LAZERGES, article, op cit n°128. 192 Yves MAYAUD, ouvrage op. cit. n°35.

1. Une plus grande pénalisation sous couvert d’une responsabilisation des mineurs

113. MODÈLE NÉO-RÉTRIBUTIF. - Le discernement est réapparu officiellement avec la loi du 9 septembre 2002193 et l’article 122-8 du code pénal, non sur un mode disciplinaire ou moraliste, mais pour donner à voir que le mineur n’est pas impuni, mais responsable pénalement, dès lors qu’il est conscient de ses actes. Mais, ce faisant, on a regagné l’exemplarité de la sanction et l’on a implanté une « pédagogie de la sanction éducative », afin de répondre à la volonté de préservation de l’ordre public, aux yeux de l’opinion publique. On est sorti de la rationalité éducative et on est revenu, en même temps que l’on a affirmé expressément la nécessité du discernement, via l’article 122-8 du code pénal, à une rationalité rétributive. Les dispositifs introduits en 2002, comme les sanctions éducatives ou les centres éducatifs fermés, participent donc « d’une action judiciaire de type néorétributif », selon les termes de M. Philip MILBURN194 ou de M. Dominique YOUF195. Le premier parle d’un « retour vers le

futur » avec le triptyque « sanction, contention et coercition ». Les peines planchers

adoptées pour les mineurs, en 2007, sont d’ailleurs un autre exemple du caractère contraignant et sanctionnateur que prend ce nouveau droit des mineurs. Mme Christine LAZERGES, quant à elle, parle de « rupture historique » et de « mutation du modèle

protectionniste ». Elle observe une renaissance de la responsabilité individuelle qui ne

tient plus compte ni de la vulnérabilité sociale, ni de la vulnérabilité mentale. Elle déplore qu’« à un modèle, construit sur des lois pénales expressives de valeurs

fondamentales et pédagogiques, soit préféré un modèle répressif, constitué de lois déclaratives, c’est à dire sédatives d’inquiétudes sociétales et relayant un discours politique de fermeté, souvent populiste, dont les chercheurs n’ont pas encore constaté les effets positifs sur la cohésion sociale ou sur les chiffres de la délinquance »196.

193 Loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002, op. cit. n°45. 194 Philip MILBURN, ouvrage op. cit. n° 156.

195 Dominique YOUF, Juger et éduquer les mineurs délinquants, Dunod, 2009. 196 Christine LAZERGES, article op. cit. n°1.

114. ÉVOLUTION. - M. Francis BAILLEAU résume assez bien l’économie de cette généalogie de la justice pénale des mineurs, en une phrase : « L’état actuel de la justice

des mineurs et du critérium étudié qui est celui du discernement est nécessairement lié à ce mouvement qui va de l’émergence de cette figure de l’enfant qui non seulement est faible puisque miniature d’homme adulte mais coupable car capable de discernement, à l’enfant toujours faible mais qui n’a pas accès aux droits des adultes d’être jugé selon des règles respectueuses de son autonomie car principalement victime, à cet enfant faible devant être protégé et éduqué bien que violent ou coupable mais dans le respect de ses droits »197. Depuis 2002, on serait donc dans un modèle qui, recourant au discernement, reposerait sur la vision d’un mineur à la fois responsable - car sujet de droit – méritant, à ce titre, d’être sanctionné et vulnérable, méritant, à ce titre, d’être protégé.

2. Une politique de l’acte et de la dangerosité

115. ACTION. - L’acte commis et le degré apparent de dangerosité de la personne substituent comme fondement de la répression à l’ambition de socialisation et d’insertion. Le point de référence de cette justice plus que la responsabilité, est la justice des majeurs. En effet, on n’est pas, hélas, dans la vision d’une responsabilité progressive ou en construction, propre aux mineurs, mais dans un parangon où la reconnaissance de la responsabilité légitime la répression, comme pour les majeurs. 116. Le délit commis par le mineur est considéré comme un acte et non plus comme un symptôme. Comme le fait remarquer Mme Christine LAZERGES198, l’acte posé par le jeune délinquant nourrissant la peur et l’insécurité vient gommer le sujet. La politique criminelle de la sanction se mettant en place est donc celle de l’acte, induisant un effacement de l’auteur de l’acte.

197 Francis BAILLEAU, « La justice pénale des mineurs en France, ou l’émergence d’un nouveau modèle de gestion des

illégalismes », Déviance et société, 2002/3- Volume 26, p. 403-421.

117. PRÉDICTION. - Par ailleurs, et cela semble pourtant difficilement conciliable avec la politique de l’acte évoquée ci-dessus199, on peut observer que la justice des mineurs est une des premières manifestations « du retour de la dangerosité »200. À cet égard, Mme Christine LAZERGES cite Le Doyen Jean CARBONNIER qui, déjà en 1982, écrivait : « les modernes ont mis en forme criminologique cette méfiance

ancestrale, et c’est la théorie de l’état dangereux : le menu fait symptomatique devrait être soigné, sinon puni, non pour le peu qu’il est, mais pour l’abîme qu’il dévoile ».

Les discours politiques depuis les années 90’ sont fortement imprégnés par ce fantasme. On se souvient du tollé, en 2006, suite au rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites des jeunes enfants201, lequel préconisait le repérage des perturbations du comportement, dès la crèche et l’école maternelle, pour éviter la survenue de comportements délinquants à l’adolescence, et qui aurait pu nourrir l’avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance alors envisagé sous l’impulsion du Ministre de l’Intérieur Nicolas SARKOZY202. S’en était suivie une pétition, intitulée « Pas de zéro

de conduite pour les enfants de trois ans »203. C’est parce qu’il a un fort potentiel de dangerosité, précocement révélé, que le mineur doit être « stoppé net » dans la production de sa délinquance. Tout cela est un peu paradoxal : il paraît en effet difficile de concilier exigence du discernement et prise en compte de la dangerosité. C’est certainement la raison pour laquelle la justice des mineurs, aux prises d’idéologies diverses et parfois contradictoires, se trouve dans une impasse.

118. CONCLUSION/TRANSITION. - A ce stade, on mesure à quel point le discernement des mineurs est un enjeu de politique criminelle et le support potentiel d’une idéologie. On mesure également comme il est vivace dans le temps et que même lorsque certains ont cru s’en débarrasser, il a fait son retour. Si on a pu constater cette

199 La dangerosité est, en quelque sorte, une virtualité, une prédiction, alors que l’acte est une vérité établie, palpable. 200 V. « La justice des mineurs, une nouvelle ère ? », Les cahiers de la justice, 2011/3.

201 Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescente, expertise collective, éd. INSERM, 2005.

202 « Le projet de dépistage précoce des troubles du comportement suscite un tollé », Le Monde, 18 février 2006 ; « Vigilance

pour Pas de zéro de conduite », L'Humanité, 4 avril 2007.

203 Pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, appel en réponse à l’expertise de l’INSER M sur les troubles

adhérence du critère du discernement dans la première partie, il nous faudra, dans la seconde, l’expliquer.

119. Plus précisément, à travers cette étude de l’intégration du discernement dans le temps, dans l’espace (à la fois géographique et judiciaire) et dans la politique criminelle, on comprend que notre justice des mineurs a commencé à sortir de la dialectique de la faute et du châtiment caractéristique d’une époque de la justice pénale où dominait le rôle rédempteur de la prison. Puis, en conquérant son autonomie, en identifiant mieux le phénomène adolescent, elle s’est inscrite dans une dialectique du symptôme et du traitement. Mais à trop « pathologiser », « psychologiser » la délinquance des mineurs, on a pu faire croire à une forme d’impunité des délinquants dont la politique s’est saisie dans des périodes où elle pouvait instrumentaliser le sentiment d’insécurité. On a eu, de notre point de vue, un double « retour de bâton » : celui, indiscuté, du déploiement de la pédagogie de la responsabilité et celui, plus controversé, du retour de la coercition. Un nouveau modèle conceptuel naîtra peut-être de ces expériences, et le cas échéant, il serait souhaitable qu’il ne fasse pas l’impasse de la référence au discernement. Cette dernière est indispensable du strict point de vue de la logique juridique, mais ne devrait pas être associé à une rationalité rétributive. Impliquant liberté et maturité du jeune, elle devrait être le socle et le point de départ d’un traitement ferme et éducatif. Autrement dit, il faut exiger l’intégration de ce discernement comme condition préalable à la reconnaissance de la responsabilité sans en faire le pivot d’une idéologie répressive.

120. Après avoir répondu de façon exhaustive à la question de l’intégration du discernement, tant de façon historique et géographique que de façon politique et idéologique, il nous faut procéder à l’appréciation de ce discernement, et notamment s’interroger sur son rôle et sur ses implications pratiques. La déconstruction de cette notion est nécessaire pour mieux en saisir les enjeux et la portée, tant d’un point de vue théorique que pratique.