• Aucun résultat trouvé

Le discernement parfois associé à la culpabilité

Section 1. Le discernement, préalable indispensable à la responsabilité

B. Le rôle technique du critère du discernement controversé

1. Le discernement parfois associé à la culpabilité

a) Le discernement, élément constitutif de l’infraction

131. INTÉGRATION DANS L’ÉLÉMENT MORAL. – Il est parfois soutenu que le discernement est exigé au titre de la culpabilité. La culpabilité renvoie, étymologiquement à la culpa, la faute. Être reconnu coupable, c’est ainsi être reconnu comme l’auteur d’une infraction, d’une faute. La question qui se pose est alors simple : celui qui est privé de discernement peut-il commettre une faute ? On pourrait d’abord

penser le contraire. Comment, en effet, considérer qu’un infans ou encore un dément, qui est présumé ignorer la distinction entre le bien et le mal, pourrait commettre une faute, et spécialement une faute intentionnelle qui suppose, selon Émile GARÇON, « la

volonté de commettre l’infraction telle qu’elle est déterminée par la loi, plus la conscience chez le coupable d’enfreindre les prohibitions légales » 210? En dépit de ces interrogations légitimes, plusieurs éléments permettent ainsi d’analyser le discernement comme un élément de la culpabilité.

132. LOI ET JURISPRUDENCE. - L’article 64 de l’ancien code pénal allait implicitement en ce sens, puisqu’il affirmait qu’ « il n’y a ni crime ni délit lorsque le

prévenu était en état de démence au temps de l’action ». C’était donc considérer que

l’infraction n’existe plus en l’absence de discernement de l’auteur en raison de l’absence d’élément moral (la culpabilité), puisque la matérialité de l’infraction ne faisait, quant à elle, aucun doute. De plus, un arrêt rendu par la chambre criminelle en date du 2 août 1951 a, sur ce fondement, conclu que la démence n’étant pas une excuse légale, qu’elle était nécessairement comprise dans la question intentionnelle et par suite dans la question relative à la culpabilité. Notons que cette rédaction de l’article 64 a été abandonnée lors de la réforme du code pénal. A l’appui de cette première conception, on peut également citer l’article 122-8 du code pénal qui évoque la culpabilité : « les mineurs qui auront été reconnus coupables ». Plus nettement encore, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans l’arrêt Laboube du 13 décembre 1956, a paru suivre cette conception. Il faut, selon cette jurisprudence, « que le mineur

dont la participation à l’acte (…) est établie, ait compris et voulu cet acte ; toute infraction suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ». En exigeant à

la fois le discernement et l’intelligence et la volonté, et dans la mesure où c’est une conception subjective de l’infraction qui y était retenue, il semble que l’arrêt a envisagé le discernement au sein de l’infraction, c'est-à-dire de la culpabilité. Maurice PATIN, dans le commentaire de l’arrêt211 a confirmé cette interprétation : « la culpabilité ne

210 Émile GARÇON, communication op. cit. n° 115. 211 Maurice PATIN, article op. cit. n°162.

peut pas résulter du simple accomplissement d’un fait matériel interdit par la loi. Elle suppose aussi un élément moral, l’existence d’un minimum de volonté et d’intelligence, la présence d’une faculté de libre-arbitre que l’enfant ne possède pas en naissant et qu’il n’acquiert que peu à peu ». Par ailleurs, à propos d’un meurtre commis durant

une « crise de psychose épileptique dissociative complexe », la Cour de cassation a confirmé que les faits ne constituaient pas un crime punissable, faute d’élément moral, en raison de l’état de démence de leur auteur au moment des faits212. Une personne qui n’est pas doué de discernement ne peut commettre de faute, dès lors l’élément moral disparaît et par conséquent, l’infraction n’est pas constituée.

133. DOCTRINE - Cette conception, selon laquelle le discernement fait donc partie de l’élément moral de l’infraction, l’infraction pour être constituée nécessitant un acte matériel (élément matériel) et la volonté et la conscience de l’acte (élément moral de l’acte), est séduisante et quelques auteurs comme BOUZAT, PINATEL ou Mme Marie- Laure RASSAT l’ont partagée. Même Mme Christine LAZERGES associe parfois le discernement à la culpabilité morale. Selon elle, la condition préalable à la prise en compte d’un mineur par le système pénal est la commission d’une infraction et pour cela, que « soit rapportée la preuve de la culpabilité matérielle et de la culpabilité

morale, qui elle suppose un minimum de discernement »213. Pour Georges LEVASSEUR, partisan de cette lecture, le discernement serait « cet élément

irréductible qui constituerait le degré minimum de l’élément moral indispensable à la structure juridique de l’infraction. Il constituerait le support indispensable de toute culpabilité »214. Toutefois, cette présentation présente de graves incohérences.

b) Une conception insatisfaisante du discernement

134. CONFUSION. – Force est de constater le peu de clarté qui entoure l’approche conceptuelle du discernement. Par exemple, Mme Julia POUYANNE, citant pourtant le Doyen CARBONNIER à l’appui de son analyse, a pu parler du discernement tantôt

212 Cass. Crim. 14 décembre 1982, Gaz. Pal. 1983, I, p. 178. 213 Christine LAZERGES, article op. cit. n°151.

en termes de culpabilité et tantôt en termes d’imputabilité. Déplorant que le législateur se soit gardé de définir la notion de discernement, elle écrit : « sans doute faut-il partir

de la volonté, condition générale de la responsabilité pénale. Si elle n’est pas assez ferme pour résister, assez éclairée pour prévoir, elle ne saurait être prise en compte et, partant, constituer un élément essentiel de la culpabilité. A l’inverse, si elle est consciente et intelligente, il faut en conclure que le mineur en cause a compris son acte délictueux et qu’il est alors possible de lui imputer »215. Dans le même esprit, Mme Jocelyne CASTAIGNÈDE distingue, pour sa part, l’imputabilité objective, matérielle, qui permet de relier la faute et ses conséquences, et l’imputabilité subjective, morale, qui correspond à la capacité de comprendre et vouloir l’acte216. Seule la seconde rejoint en réalité le concept d’imputabilité, conformément à la théorie du droit.

135. THÉORIE DU DROIT – Ce qui est certain, c’est qu’avant d’analyser le comportement répréhensible adopté par le sujet (élément moral ou culpabilité), et sa nature (faute intentionnelle ou non intentionnelle), encore faut-il pouvoir lui reprocher. La culpabilité s’analyse en un rapport entre le sujet et la faute, mais on pressent d’ores et déjà que le discernement est une notion qui lui est extérieure, qui la précède en quelque sorte, pour relever du sujet lui-même. Le discernement serait donc rattaché à autre chose : l’imputabilité.