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Les règles d’évaluation du discernement

Section 1. Le discernement, préalable indispensable à la responsabilité

A. Les règles d’évaluation du discernement

143. Le discernement d’un mineur doit, en principe, être analysé systématiquement et uniquement au regard du moment où les faits en cause se sont produits (1). Le résultat est extrêmement décisif pour la suite de la procédure, ce qui contribue à rendre cette évaluation périlleuse pour les juges de la jeunesse (2).

1. Une appréciation systématique et instantanée a) Généralité de l’appréciation

144. UN EXAMEN OBLIGATOIRE. - On a vu que les magistrats en charge de la jeunesse se doivent d’établir cas par cas l’existence du discernement chez un mineur. C’est une prescription d’abord jurisprudentielle résultant de l’arrêt Laboube de 1956, puis législative de par la loi du 9 septembre 2002 et de par l’article 122-8 du code pénal. Le constat judiciaire du discernement chez le mineur est requis, quel que soit son âge et quelle que soit l’infraction commise. Il est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. C’est l’accusation, soit le magistrat du Ministère Public, soit le substitut en charge des mineurs, qui devra apporter la preuve du discernement.

145. ÂGE DE RAISON INDIFFÉRENT. - On a vu également que l’on s’accorde pour dire qu’en deçà de 7 ans, âge considéré coutumièrement comme l’âge de raison, les

infans sont dépourvus de discernement. Cela relève de l’héritage du droit romain. Pour

autant, répétons qu’aucune norme n’impose d’exclure les enfants de moins de 7 ans du droit pénal, sous réserve de l’étude de leur discernement. Par exemple, la Cour d’appel de COLMAR, le 2 février 1954, a retenu la responsabilité pénale d’un garçon âgé de 7 ans au motif qu’il avait en main un jouet de son âge, qu’il ne pouvait ignorer le rôle de l’embout de la flèche en caoutchouc, alors surtout que ses camarades l’avaient incité à

la prudence ; « qu’il n’a pas tenu compte de cette recommandation dont la pertinence

très concrète ne dépasse pas les facultés de compréhension d’un enfant de son âge ».

146. Pourtant, selon Jean CHAZAL222, pour des raisons juridiques et psychologiques, « le petit enfant ne saurait répondre d’un délit devant le tribunal pour enfants », et ce, peu importe l’espèce en cause. Il cite, à l’appui de son allégation, ULPIEN qui a, à de nombreuses reprises affirmé que l’infans devait toujours bénéficier de l’impunité car « il n’est pas plus responsable que la tuile qui, tombant d’un toit, cause un dommage ». La décision de poursuivre et de condamner un enfant âgé de 7 ans ou moins est toutefois très rare dans la pratique, et être doté de discernement à cet âge est tout à fait exceptionnel. Dans cette hypothèse, en général, le parquet demandera l’ouverture d’une procédure d’assistance éducative. On privilégiera le soin au traitement pénal, car ni la société ni le très jeune enfant n’a intérêt à ce que la responsabilité pénale soit retenue dans cette hypothèse particulière.

b) Moment de l’appréciation

147. PRINCIPE : TEMPS T. - Précisions que c’est au temps de l’action que doit s’apprécier l’existence du discernement. La responsabilité du délinquant est en effet appréciée à l’instant précis de la commission de l’infraction : elle a un caractère instantané. La justice se concentre donc sur un moment de faible amplitude.

148. RÉSERVES. - Toutefois, selon Mme Jocelyne CASTAIGNÈDE223, la capacité de discernement est davantage de l’ordre d’une capacité générale que d’un état ponctuel : l’article 122-8 du code pénal ne fait pas référence à l’état de l’agent « au

moment des faits », à la différence de l’article 122-1 du code pénal relatif au trouble

psychique ou neuropsychique. La perception du discernement du mineur relèverait d’une démarche plutôt centrée sur la personnalité que sur la survenance des faits, ce qui correspond effectivement à l’esprit de l’ordonnance de 1945, dont l’exposé des motifs affirmait que pour les mineurs « comptent avant tout, beaucoup plus que la

222 Jean CHAZAL, article op. cit. n°183.

nature du fait reproché, les antécédents d’ordre moral, les conditions d’existence familiale et la conduite passée »224. Pour notre part, nous dénonçons la formule maladroite de « capacité de discernement » employée dans la loi. Elle est maladroite non seulement parce que ce terme a un sens précis et différent en droit civil, mais surtout parce qu’elle conduit à se demander si le mineur doit être capable de discernement pour se voir reprocher une infraction ou s’il doit avoir effectivement été discernant au moment où il l’a commise. La logique (issue du droit des causes d’irresponsabilité pénale) ferait pencher en faveur de la seconde hypothèse mais à la lettre de la loi correspond la première.

2. Une évaluation décisive et périlleuse a) Résultat de l’appréciation

149. INCLUSION OU EXCLUSION DE LA SPHÈRE PÉNALE. – L’examen, par les magistrats, du discernement de l’enfant, qui leur est présenté, est déterminant. S’ils concluent que le mineur est doué de discernement, alors il pourra être présenté devant les juridictions pour mineurs, lesquelles le jugeront et décideront de la sanction attachée à l’infraction, le cas échéant. En revanche, si les juges concluent à l’absence de discernement, alors le mineur sera déclaré irresponsable pénalement, avec toutes les conséquences que cela implique : il sort de la sphère pénale et aucune sanction de nature pénale, mesure éducative, sanction éducative ou peine, ne peut être prononcée à son encontre. Selon Georges LEVASSEUR225, dans le discernement les magistrats doivent voir « le degré liminaire au-dessous duquel le comportement délictueux ne saurait

relever du droit pénal mais de l’aide sociale ». C’est donc soit du champ administratif,

soit du champ civil que doit relever un enfant non-discernant ayant commis un acte matériel constitutif d’une infraction226. Il y aura, selon le stade d’avancement de la

224 Exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, J.O. du 4 février 1945 ; rect. J.O. du

24 décembre 1945, p. 21500.

225 Georges LEVASSEUR, article op. cit. n°176. 226 V. infra.

procédure, classement sans suite, non-lieu, relaxe ou acquittement pour cause d’irresponsabilité pénale fondée sur le non-discernement.

b) Critique de l’appréciation

150. NÉGATIVE. - Moult critiques et controverses entourent l’appréciation judiciaire du discernement. Il faut concéder que, contrairement à l’âge, qui a le mérite de simplifier grandement les choses, le discernement est fondé sur des critères subjectifs et variables d’un enfant à l’autre. Il a toujours paru à Jean CHAZAL227 particulièrement présomptueux et dangereux que le juge se prononce sur le degré de discernement d’un délinquant. C’est une notion qualificative qui échappe aux évaluations et que chacun colore d’éléments intellectuels ou moraux selon les dispositions de son esprit et l’orientation de sa pensée philosophique. Déjà, en 1810, certains s’étaient opposés à l’introduction de ce critère de responsabilité pénale dans le code pénal. Joseph GARAT, alors futur Ministre de la Justice, s’était exclamé : « Alors

la preuve, vous l’abandonnez aux jurés ? Et où chercheront-ils la preuve du discernement ? Dans l’âme du coupable reconnu : elle est fermée à leurs yeux. Quoi de plus arbitraire, quoi de moins raisonnable. Je demande que cet article soit écarté »228. Un siècle plus tard, Adolphe PRINS écrivait, en parlant du discernement, que « le juge répressif n’a pas à trancher une controverse métaphysique,

sa mission est une mission de défense sociale »229.

151. POSITIVE. - Néanmoins, la notion de discernement évoque une catégorie juridique que les magistrats maîtrisent : la responsabilité, alors que des concepts comme l’éducabilité par exemple renvoie à des savoirs non juridiques. De plus, cette notion de discernement fait référence à une action située dans le temps, à un acte, alors que celle d’éducabilité, de capacité pénale appelle un temps éloigné, un avenir plus ou moins prédictif. Le discernement est finalement une notion tout de même plus neutre,

227 Jean CHAZAL, article op. cit. n°183.

228 Jean-Jacques YVOREL, « Le discernement : construction et usage d’une catégorie juridique en droit pénal des mineurs.

Etude historique », Recherches familiales, 2012/n°9, p. 153 et s.

moins sujette aux représentations et aux valeurs que celle d’éducabilité ou de capacité pénale. C’est ce que confirme d’ailleurs M. Francis BAILLEAU, s’agissant de ces dernières notions, en exposant que « le caractère indéterminé, prévisionnel et non

instrumentalisable d’un point de vue juridique de la notion d’éducabilité induit la référence, pour guider l’action, à un système de valeurs, de représentations – essentiellement celles d’un système familial – dont la définition est un enjeu de pouvoir, le fruit d’une lutte entre les groupes, les classes sociales (FREUD, 1980) »230. Si l’analyse du discernement requiert du juge une réflexion et des investigations non négligeables, ce dernier reste toutefois, avec ce critère, dans son domaine de compétence.