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Synthèse des principes dégagés par le Tribunal fédéral

O LIVIER G UILLOD  R ACHEL C HRISTINAT

C. Synthèse des principes dégagés par le Tribunal fédéral

En cas de maternité de substitution, ces deux arrêts fédéraux enseignent que l'établissement de la filiation juridique en Suisse, par la transcription d'un acte de naissance étranger au registre de l'état civil, ne pose pas de problème majeur pour le parent juridique qui est simultanément le géniteur de l'enfant. A ce stade, on peut se demander quelle position adopterait le Tribunal fédéral si l'enfant provenait de la fusion des gamètes de la mère et du père d'intention, mais que l'embryon était implanté dans l'utérus d'une mère porteuse à l’étranger. Considérant les développements exposés ci-dessus (supra V A), nous sommes d'avis que le lien de filiation juridique avec la mère d'intention devrait également être reconnu, puisqu'il s'agirait d'une part de la mère génétique de l'enfant et que, d'autre part, la mère porteuse aurait abandonné ses droits et obligations. On ne peut néanmoins pas exclure que le Tribunal fédéral nierait la filiation maternelle à la mère d'intention, sous prétexte que la filiation juridique de la mère découle de la naissance, obligeant ainsi la mère d'intention à établir un lien officiel avec l'enfant par l'adoption.

58 ATF 141 III 328 c. 7, JdT 2016 II 179.

59 La révision du Code civil du 17 juin 2016 (FF 2016 4757ss) prévoit le transfert de cette disposition de l’OAdo au CC, dont le nouvel article 364d aura la teneur suivante: « 1 La différence d’âge entre l’enfant et le ou les adoptants ne peut pas être inférieure à seize ans ni supérieure à 45 ans. 2 Des exceptions sont possibles si le bien de l’enfant le commande. Le ou les adoptants doivent motiver la demande de dérogation ».

60 ATF 141 III 328 c. 7.6, JdT 2016 II 179.

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Il nous semble cependant que l'argument prépondérant dans les arrêts fédéraux précités, à l'appui du refus de transcription pour l'un des partenaires enregistrés et pour les parents d'intention, réside dans l'absence de tout lien génétique et biologique avec l'enfant, respectivement avec les jumelles61. A cet égard, la CourEDH admet qu’il convient d’examiner particulièrement les cas où l’un des parents d’intention est aussi le géniteur de l’enfant. En se fondant sur l’importance de la filiation biologique comme élément de l’identité de chacun, la Cour estime en effet contraire à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien de filiation juridique avec un parent avec lequel il est génétiquement lié62.

Ainsi, le lien de filiation juridique n'est pas reconnu en Suisse pour les parents qui ne présentent pas de lien génétique avec l'enfant. Dans ce cas, la filiation juridique ne peut être établie qu'au moyen d'une procédure d'adoption.

Nos autorités administratives et judiciaires pourraient également être confrontées à la situation d'un couple ayant recouru à une maternité de substitution à l'étranger, alors que les deux parents d'intention résidaient durablement à l'étranger. Tel serait par exemple le cas d'un couple homosexuel ou hétérosexuel stérile résidant en Californie et concluant un contrat de gestation pour autrui dans cet Etat américain. Le couple demanderait la transcription de l'acte de naissance au registre de l'état civil suisse lorsque la famille reviendrait en Suisse.

Il est impossible de prédire avec certitude le jugement que rendrait le Tribunal fédéral dans ce cas. Dans les deux arrêts rapportés ci-dessus, l'application de la réserve d'ordre public se fondait principalement sur la fraude à la loi. Les circonstances du cas d'espèce seraient là encore déterminantes. Il conviendrait dès lors d'examiner l’intensité du lien du couple avec l'Etat dans lequel la maternité de substitution se serait organisée (Binnenbeziehung)63. Si l'un des membres du couple était originaire de cet Etat, ou si le couple s'y était rendu pour une raison autre que pour l'accès à la gestation pour autrui (notamment pour des motifs d'ordre professionnel), la fraude à la loi ne serait pas réalisée.

Par conséquent, l'ordre public, dont la réserve doit être appliquée restrictivement, ne serait pas violé à notre sens. Ainsi, aucun motif de refus de reconnaissance n'existerait au sens de l'article 27 LDIP, de sorte que les liens juridiques de filiation établis à l’étranger devraient être reconnus en Suisse.

Cette solution devrait s'appliquer de la même manière aux couples homosexuels, puisque le nouveau droit de l'adoption permet l'adoption de l’enfant du partenaire enregistré et du concubin. L'ordre public ne fait donc pas obstacle à la reconnaissance d'un double lien de paternité ou de maternité

61 Dans le même sens: TUROLLA, p. 395 s.

62 Mennesson c. France, § 100.

63 Sur l’importance de cette notion en droit international privé, voir notamment OTHENIN-GIRARD Simon, p. 211ss.

ENFANTS NÉS DE MÈRES PORTEUSES

envers un enfant. Le Tribunal fédéral l’a du reste lui-même déjà admis : « Vorab ist festzuhalten, dass das kalifornische Urteil nicht deshalb Ordre public-widrig ist, weil es ein Kindesverhältnis zu zwei miteinander rechtlich verbundenen Männern herstellt.

So ist eine im Ausland ausgesprochene Stiefkindadoption eingetragener Partner grundsätzlich anerkennbar und verstösst nicht per se gegen den schweizerischen Ordre public »64. Toutefois, nous ne pouvons pas écarter la possibilité que les juges préféreraient que le parent sans lien génétique doive adopter l'enfant de son compagnon.

De plus, l'enfant devrait rester avec les parents d'intention, malgré le refus de reconnaître une filiation juridique établie à l’étranger65. Si l'enfant était retiré aux parents d'intention, il devrait être placé. Une telle décision heurterait le bien de l'enfant et l'art. 8 CEDH à l'égard de l'enfant et des parents d'intention (pour autant que ces derniers soient capables de s'occuper de l'enfant).

VI. Réflexions finales

La problématique des mères porteuses est complexe, même si on la dépouille de sa dimension purement morale ou religieuse qui doit rester propre à chacun.

Faut-il s’arcbouter sur les principes qui ont longtemps gouverné le droit de la famille des pays occidentaux, notamment celui que l’intérêt de l’enfant consisterait à grandir dans une famille composée d’un homme et une femme mariés ? Faut-il céder au pragmatisme libéral et tout réduire à une appréciation ex-post de l’intérêt de l’enfant dans les circonstances concrètes de chaque affaire ? Faut-il rejeter la gestation pour autrui parce qu’elle serait le produit de la volonté toute-puissante de chacun, commercialisée par des intermédiaires cupides exploitant les femmes venant des couches les plus défavorisées de la société ? Faut-il au contraire l’accepter parce qu’elle consiste en une démarche fondamentalement altruiste qui permet en outre à des couples infertiles de réaliser le projet peut-être le plus essentiel pour eux de toute leur existence ?

Il appartient à chaque ordre juridique d’apporter ses propres réponses à ce dilemme fondamental qui, pour le moment encore, divise les pays occidentaux.

Les solutions qui doivent être élaborées devraient toutefois s’insérer de manière cohérente dans l’ordre juridique national, et apporter des réponses notamment aux questions suivantes.

Peut-on soumettre des couples infertiles à des tests préalables « d’aptitude à la parentalité » exigeants et intrusifs, alors que les couples fertiles font absolument ce qu’ils veulent ? Faut-il appréhender la gestation pour autrui comme une sorte d’adoption préconceptionnelle et raisonner par analogie avec

64 Le Tribunal fédéral l’a expressément admis dans l’ATF 141 III 312 c. 5.2.

65 TUROLLA, p. 397.

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l’adoption ? Ou faut-il laisser la gestation pour autrui dans la liberté de chacun de se reproduire ?

L’intérêt de l’enfant apprécié ex-post doit-il devenir le paramètre unique pour décider des liens juridiques familiaux, quelles que soient les circonstances ayant entouré la venue au monde de l’enfant ? A l’inverse, est-il concevable théoriquement et faisable pratiquement, sans tomber dans l’idéologie, d’apprécier ex ante l’intérêt d’un enfant à naître qui n’a même pas encore été conçu ?

Les valeurs sur lesquelles le droit de la famille suisse s’est construit restent-elles les valeurs dominantes dans la société contemporaine ? Le mariage garde-t-il dans ce contexte une pertinence ? La composition hétérosexuelle ou homosexuelle du couple parental présente-t-elle de l’importance ? Doit-on accorder à la vérité biologique un poids déterminant, alors même que le droit de la filiation repose autant sur la vérité socio-affective et sur la volonté ? Comment d’ailleurs doit-on comprendre la vérité biologique pour les femmes, qui peuvent être génitrices et/ou gestatrices ?

Peut-on accepter la gestation pour autrui sans risque de réifier à la fois les mères porteuses et les enfants que celles-ci mettent au monde sur commande des parents d’intention ? Et finalement, que sait-on exactement sur les éventuelles répercussions (somatiques, psychologiques, qu’elles soient positives ou négatives) de la gestation pour autrui pour les enfants élevés ensuite par leurs parents d’intention ?

Nouveau droit de l’autorité parentale