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Encore faut-il savoir quelles sont les conséquences de cette « dissolution »

La dissolution des associations « illicites » après l’arrêt « Rhino » et autres contre Suisse

B. Encore faut-il savoir quelles sont les conséquences de cette « dissolution »

Les juridictions, tant nationales qu’internationales, à l’exception peut-être du

35 « Notre droit connaît l’association, forme juridique souple et simple, qui est toutefois inadaptée à des centres de pouvoirs mondiaux où valsent les milliards » (Charles PONCETin L’Hebdo 4 juin 2015, p. 14).

Nous avons, à diverses occasions, exprimé le vœu, en tant qu’auteur spécialisé dans ce domaine, que l’Office fédéral de la Justice veuille bien mettre en chantier une réforme – sérieuse – de ce chapitre du CC. Cf. PERRIN (2004).

JEAN-FRANÇOIS PERRIN

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premier juge, ont été particulièrement discrètes à cet égard. Elles ont, selon notre opinion, (et selon celle d’auteurs cités supra) manqué l’occasion de rendre à la communauté des juristes le service d’aider à résoudre une difficulté, à nouveau liée à l’indiscutable désuétude d’une disposition du CC, qui continue à générer diverses incertitudes : l’art. 57 al. 3 CC, lequel prescrit la « dévolution au profit d’une corporation publique » si l’association est dissoute judiciairement parce que son but était illicite ou contraire aux mœurs. Ce n’est pas le lieu d’évoquer les difficultés que soulève l’interprétation littérale de cette disposition36. La seule question que nous avons le souci d’évoquer ici est celle qui a trait au pouvoir des juges qui doivent mettre en œuvre ce texte étrange. Les incertitudes sont nombreuses et variées. Personne n’a jamais bien compris quelles étaient ces

« corporations publiques », au profit desquelles la dévolution doit être ordonnée… Il n’est pas exclu que cette disposition puisse être interprétée comme conférant au juge une certaine latitude ou même que, au vu de l’aspect punitif de la mesure37, certaines dispositions de droit constitutionnel suisse puissent être mobilisées pour aménager des conséquences patrimoniales conformes aux règles du droit et de l’équité. Cette question aurait pu et dû être centrale dans l’affaire « Rhino ». Il est à nouveau regrettable d’avoir à constater que cet aspect n’ait pas fait l’objet d’un quelconque traitement de la part des juges européens.

IV. Conclusions au sujet de l’application des art. 78 et 53 al. 3 CC, après l’arrêt Rhino contre Suisse

A. On peut lire dans l’arrêt de Strasbourg qu’il est légitime que des associations aient la possibilité de poursuivre divers buts sociaux et économiques. Il en va du « maintien du pluralisme et de la démocratie ». La CourEDH, contrairement au TF, n’entre pas en matière au sujet de la démarcation qu’il faut faire entre les associations dont le but est licite et celles dont le but ne l’est pas. L’Arrêt ne dit pas si le but sanctionné par les trois juridictions suisses est finalement licite ou ne l’est pas. Comment faut-il interpréter ce silence ? Il faut comprendre que le principe de proportionnalité… que l’art. 78 CC ne réserve pas, aurait été violé par la constatation d’une illicéité… qui n’a pas été contrôlée ! Le message n’est pas très clair. On doit poser la question de savoir si l’art. 78 CC pourra encore être appliqué dans d’autres situations où l’illicéité d’un but social sera dûment constatée, comme ce fut le cas, en Suisse, dans l’affaire « Rhino ». L’arrêt de la CourEDH non seulement ne répond pas – mais encore ne situe pas son

36 Cf. la synthèse de ces difficultés, proposée par XOUDISin P. PICHONNAZ et B. FOËX (éd.) ad art. 7 al. 3 n. 31.

37 Ce texte légal a « le caractère d’une norme de droit public », XOUDISin P. PICHONNAZ et B. FOËX (éd.) ad art. 57 n.27.

LA DISSOLUTION DES ASSOCIATIONS « ILLICITES » APRÈS LARRÊT « RHINO » ET AUTRES CONTRE SUISSE

raisonnement au sein du cadre légal qui s’impose en droit civil suisse actuel. Il faut pourtant conclure. Nous avons acquis la ferme conviction qu’il est impossible de tirer un parti positif, ou même simplement une leçon, de l’arrêt critiqué. Les juges suisses saisis se sont-ils trompés en prononçant la dissolution d’une association dont ils avaient constaté l’illicéité du but ? La CourEDH ne répond pas. On peut seulement craindre que les juridictions nationales suisses veillent dorénavant à esquiver autant que faire se peut d’avoir à se prononcer sur la question de l’illicéité d’un but social. Elles auraient tort à notre point de vue.

L’art. 78 CC n’est pas mis en cause en sa qualité de cadre légal adéquat pour justifier le prononcé d’une dissolution qui s’impose aux conditions prescrites par la loi – et qui s’imposera nécessairement même si les art. 60 ss CC venaient à être adaptés à notre époque. Ce texte légal demeure intact et non affecté par la décision de Strasbourg.

B. Il n’est par contre pas exclu qu’au vu des circonstances particulières d’un cas d’espèce, la liaison avec la conséquence prévue par l’art. 57 al. 3 CC mérite un examen plus approfondi que celui auquel se sont livrées, tant les juridictions suisses que la CourEDH. Ces juridictions ont probablement manqué une occasion de dire – enfin – ce que signifie ce texte, en vigueur depuis le 1er janvier 1912 et qui n’a pratiquement jamais été appliqué aux associations… même pas lors de l’interdiction du parti communiste, prononcée en 1937, en application de l’art. 78 CC38.

38 SJ 1938 409.

JEAN-FRANÇOIS PERRIN

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Le domicile de l’enfant dont les parents n’ont pas