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La garde de fait comme critère du domicile de l’enfant

Le domicile de l’enfant dont les parents n’ont pas un domicile commun

VI. La garde de fait comme critère du domicile de l’enfant

Le critère de la garde de fait n’est décisif pour déterminer le domicile de l’enfant que si ce dernier est sous autorité parentale. Si tel n’est pas le cas, l’autorité de protection de l’enfant doit d’office nommer un tuteur (art. 327a CC), ce qui entraîne de plein droit que le domicile de l’enfant est au siège de l’autorité de protection (art. 25 al. 2 CC).

Si l’enfant est sous autorité parentale, l’art. 25 al. 1 CC ne distingue pas selon que cette autorité est exercée conjointement par le père et la mère ou qu’elle n’est détenue que par l’un des parents. Seul est déterminant le fait que les parents ont, ou non, un domicile commun. L’enfant partage le domicile commun de ses père et mère aussi bien lorsque ceux-ci ont l’autorité parentale conjointe que si (ce qui devrait être plutôt rare) l’autorité parentale n’est exercée que par l’un des parents12. Inversement, si les parents n’ont pas un domicile commun, l’enfant partage le domicile de celui des parents qui détient la garde aussi bien lorsque les parents exercent conjointement l’autorité parentale que si l’un d’eux seulement exerce cette autorité ; dans ce dernier cas, le parent qui a l’autorité parentale est normalement aussi celui qui a la garde de l’enfant, mais l’art. 25 al. 1 CC s’applique également si, exceptionnellement, le parent qui exerce seul l’autorité parentale a confié à l’autre la garde de l’enfant13.

Le terme « garde »14 de l’art. 25 al. 1 CC doit être interprété comme une

« garde de fait », que je décrirais comme le fait d’assurer quotidiennement l’encadrement et l’éducation de l’enfant et de lui donner ce dont il a besoin pour son développement physique, affectif et intellectuel, en général en vivant en communauté domestique avec lui15. Dans le contexte de l’art. 25 al. 1 CC, la

11 MEIER Philippeet DE LUZE Estelle, Droit des personnes – Articles 1-89a CC, Genève/Zurich/Bâle 2014, p. 199. Dans ce sens également STEINAUER Paul-Henriet FOUNTOULAKIS Christiana, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, Berne 2014, n. 367. Voir cependant STAEHELIN qui, dans la cinquième édition du commentaire bâlois parue après la révision de l’art. 25 al. 1 CC, n’a pas modifié l’analyse de l’art. 25 al. 1 CC publiée dans la quatrième édition relative encore à l’ancien droit (voir supra, note de bas de page 7).

12 Par exemple, les parents ont un domicile commun, mais la mère est mineure ou sous curatelle de portée générale (voir les art. 296 al. 3 et 298b al. 4 CC).

13 Par exemple, le père détenteur de l’autorité parentale confie à la mère mineure la garde de l’enfant (voir l’art. 298b al. 4 CC). Ou encore, une mère exerçant seule l’autorité parentale conformément à l’art. 298 al. 5 CC confie au père la garde de l’enfant.

14 Sur la notion de garde en général et les difficultés d’interpréter ce terme, voir GLOOR Nino, Der Begriff der Obhut, in FamPra.ch 2015 p. 331 ss.

15 Voir notamment l’ATF 136 III 353, c. 3.2, cité ci-dessus à la note de bas de page 10. Cf. aussi GLOOR, p. 340 ss, qui résume les différents accents mis en doctrine pour cerner cette notion.

PAUL-HENRI STEINAUER

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notion de garde de fait doit en outre être interprétée en tenant compte du but du domicile d’une personne, savoir rattacher cette personne à un lieu d’une manière relativement stable, de façon que l’ordre juridique puisse utiliser ce lieu comme critère en vue de l’application d’autres règles (voir ci-dessus I).

La garde de fait qui détermine le domicile de l’enfant doit donc d’abord présenter une certaine stabilité. L’utilisation de l’expression « détient la garde », au lieu de simplement « a la garde », le fait d’ailleurs sentir. Il ne serait en effet pas praticable que l’enfant change de domicile au gré des séjours de quelques heures ou de quelques jours qu’il peut occasionnellement faire chez l’autre parent (par exemple, pour l’exercice du droit de visite). La garde de fait de l’un des parents au sens de l’art. 25 al. 1 CC n’est dès lors pas transférée à l’autre parent si celui-ci accueille l’enfant pour des raisons de nature passagère, en ce sens qu’il est d’emblée acquis que le séjour de l’enfant chez l’autre parent est limité dans le temps (même pour une période relativement longue, comme le temps des vacances). En revanche, si les parents détenteurs de l’autorité parentale décident ensemble que la garde de l’enfant sera assurée à l’avenir par l’autre parent, l’enfant change de domicile ; il en est ainsi même lorsque la garde de l’enfant avait été initialement décidée ou ratifiée par un tribunal ou par l’autorité de protection : dès lors que les parents exercent conjointement l’autorité parentale, ils sont aussi (sous réserve du cas de l’art. 310 CC) en droit de définir le lieu de résidence de l’enfant et celui des parents qui en aura la garde (art. 301a al. 1 et 5 CC). De la même manière, si le parent qui exerce seul l’autorité parentale et détient la garde de l’enfant décide avec l’autre parent que celui-ci détiendra durablement la garde de l’enfant, ce dernier change de domicile. Il n’en va pas autrement si l’un des parents modifie le lieu de résidence de l’enfant en violation des règles de l’art. 301a CC et détient durablement la garde de l’enfant au nouveau lieu de résidence.

La stabilité de la garde de fait est aussi déterminante pour tracer la limite entre le domicile dépendant de l’enfant sous la garde d’un seul parent et le domicile subsidiaire autonome de l’enfant à son lieu de résidence au sens de l’art. 25 al. 1 CC in fine. Si l’enfant sous la garde d’un parent séjourne chez un tiers pour des raisons de nature passagère (séjour de quelques jours, vacances, séjour dans un internat, hospitalisation, etc.), son domicile reste chez le parent qui détient la garde. En revanche, s’il y a durablement une rupture de fait de la garde (par exemple, le parent qui détenait de la garde ne s’occupe plus d’un adolescent et celui-ci mène durablement une vie autonome), l’enfant a son domicile à son lieu de résidence16.

16 Le point restait très controversé sous l’ancien droit. Voir notammentEIGENMANN, ad art. 25 n. 9, avec réf. ; STETTLER, p. 532 ss (avec réf.), qui se prononçait même, dans certains cas, pour la constitution d’un domicile volontaire au sens de l’art. 23 al. 1 ; réticents : MEIER DELUZE, p. 198 ; HAUSHEER-REUSSER -GEISER, ad art. 162 n. 34/15.

LE DOMICILE DE LENFANT DONT LES PARENTS NONT PAS UN DOMICILE COMMUN

Par ailleurs, la garde de fait ne peut servir de critère pour la détermination du domicile de l’enfant que si elle conduit à ce que celui-ci n’ait (simultanément) qu’un seul domicile. Si les parents conviennent d’une garde alternée (d’une durée plus ou moins équivalente) ou si un tribunal ou l’autorité de protection la leur impose, il convient donc de déterminer aussi, conventionnellement ou d’autorité, quel sera le domicile de l’enfant. Ce choix doit également être fait lorsque les parents ont leur domicile dans le même lieu mais à des adresses différentes, même si, dans cette hypothèse, l’enjeu est évidemment moins grand.

Si aucune décision n’a été prise au sujet du domicile de l’enfant, le critère subsidiaire du lieu de résidence peut parfois offrir une solution, par exemple si la durée de garde de l’un des parents est nettement prépondérante, lorsque – ce qui est exceptionnel – les parents s’occupent alternativement d’un enfant qui ne change pas de résidence, ou encore lorsque l’alternance doit se faire sur une très longue période (par exemple, pour un adolescent, une année chez un parent et une année chez l’autre). Dans les autres cas, notamment si des parents dont la durée de garde est équivalente ne trouvent pas un accord sur le domicile de l’enfant, chaque intéressé devrait pouvoir exiger que le choix du domicile soit fait par l’autorité de protection (art. 307 CC par analogie)17 ; le critère déterminant devrait être le bien de l’enfant. A noter enfin que, si une garde alternée a été décidée mais que, par la suite, la garde de fait n’est durablement exercée que par l’un des parents, l’enfant partage le domicile de ce parent quelle qu’ait été le choix du domicile au moment de la décision sur la garde alternée.

VII. Conclusion

Même si la révision de l’art. 25 al. 1 CC relative au domicile de l’enfant dont les parents n’ont pas de domicile commun n’a concerné que le texte français, elle a modifié le sens de la disposition : désormais, lorsque que l’enfant est sous autorité parentale mais que ses parents n’ont pas un domicile commun, il partage le domicile de celui-ci de ses parents qui, en fait, détient la garde. Dans ce cas, le domicile n’est donc plus lié au « droit de garde » (notion qui n’existe plus dans le Code civil), pas plus d’ailleurs qu’il ne dépend du « droit de déterminer le lieu de résidence » de l’enfant au sens des nouveaux art. 301a et 310 CC.

Il en découle en particulier que, si l’enfant est sous l’autorité parentale conjointe de ses père et mère ou sous l’autorité parentale d’un seul de ses parents et que ceux-ci n’ont pas de domicile commun, il partage le domicile de celui de ses parents qui en a la garde de fait ; peu importe que le ou les

17 Comme l’autorité compétente pour prendre les mesures de protection de l’enfant est celle … du domicile de l’enfant (art. 315 al. 1 CC), force est d’admettre que cette autorité peut simultanément déterminer sa propre compétence et trancher sur le fond en statuant sur le domicile de l’enfant !

PAUL-HENRI STEINAUER

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détenteur(s) de l’autorité parentale ai(en)t décidé de confier la garde à l’un des parents en s’écartant de la décision initialement prise par – ou avec le consentement – d’un tribunal ou de l’autorité de protection. De même, l’enfant partage le domicile de celui de ses parents qui en a la garde de fait même si ce parent a durablement modifié le lieu de résidence de l’enfant en violation des règles de l’art. 301a CC.

La notion de garde (de fait) de l’art. 25 al. 1 CC doit être interprétée en tenant compte des buts poursuivis par l’institution du domicile. C’est pourquoi la garde de fait ne détermine le domicile de l’enfant que si elle présente une certaine stabilité, c’est-à-dire si elle ne résulte pas de circonstances de nature passagère. En outre, comme l’enfant ne peut avoir qu’un seul domicile, en cas de garde alternée, il faut déterminer conventionnellement ou dans la décision du tribunal ou de l’autorité de protection quel sera ce domicile.

I. Droit civil

B. Droit des familles