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Etablissement des liens de filiation 1) Gestation pour autrui en Suisse

O LIVIER G UILLOD  R ACHEL C HRISTINAT

B. Etablissement des liens de filiation 1) Gestation pour autrui en Suisse

Les liens de filiation en cas de maternité de substitution en Suisse23 s'établiraient conformément aux règles brièvement rappelées ci-dessus (supra II B). De ce fait, la mère porteuse deviendrait la mère juridique de l'enfant (art. 252 al. 1 CC). A défaut d'action en « désaveu de maternité », le consentement de la mère

19 Rapport sur la maternité de substitution, p. 11 (note 2).

20 Le droit californien est effectivement très favorable aux couples d’intention, permettant notamment l’établissement de la filiation avant ou au moment de la naissance. Pour un aperçu, voir Selma Duc, (K)ein Eltern-Kind. Zur Anerkennung eines in Kalifornien mittels Leihmutterschaft begründeten Kindesverhältnisses durch ein gleichgeschlechtliches männliches Paar in der Schweiz, Jusletter 11 juillet 2016.

21 Voir le site : www.fertilitysolutionsinternational.com/surrogacy-in-california/.

22 Rapport sur la maternité de substitution, p. 17 (note 2), citant France Winddance Twine, Outsourcing the womb, New York 2011.

23 La prohibition légale de la maternité de substitution n’est évidemment pas une garantie que le procédé ne soit pas utilisé.

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porteuse à l'adoption (art. 265a ss CC) constituerait l'unique moyen pour modifier le lien de filiation maternelle de l'enfant.

Si la mère de substitution était mariée, la présomption de l'article 255 CC tisserait automatiquement le lien de filiation paternelle avec l'époux de la mère, malgré l'absence d'un quelconque lien génétique avec l'enfant. L'action en désaveu de paternité (art. 256a ss CC) du mari de la mère porteuse serait toutefois admise, puisqu'il n'est pas le géniteur de l'enfant24. Le conjoint de la mère porteuse pourrait également consentir à l'adoption de l'enfant (art. 265a ss CC).

Le droit suisse ne confère aucun moyen aux parents d'intention pour faire modifier les liens de filiation maternelle et paternelle établis sur la base de l’article 252 al. 1 CC et de la présomption de l’article 255 CC. Ainsi, les parents d'intention se trouveraient complètement démunis dans l'hypothèse où une mère porteuse et son époux revenaient sur l'accord précédemment conclu et refusaient de donner leur consentement à l'adoption de l’enfant. Ce constat ne change pas, même si l'enfant est issu de la fusion des gamètes des parents d'intention et que ceux-ci sont, par conséquent, les parents génétiques de l'enfant.

Dans le cas où la mère de substitution n'est pas mariée, respectivement si son conjoint agit avec succès en désaveu, le père d'intention peut reconnaître l'enfant (art. 260 CC). Comme le droit suisse admet que l'intérêt de l'enfant est d'avoir un père juridique, l'officier de l'état civil ne contrôle pas que cette personne soit effectivement le géniteur de l'enfant25. Le père d'intention peut donc reconnaître l'enfant sans difficulté. Il ne risque en outre aucune contestation (art. 260a ss CC) s'il est bien le géniteur de l'enfant. Dans le cas inverse, toute personne intéressée pourrait attaquer en justice cette reconnaissance (art. 260a al. 1 CC). Le père d’intention devenu père juridique par le biais de la reconnaissance peut obtenir l’autorité parentale conjointe (art. 298a et 298b CC) et, en fonction de l’intérêt de l’enfant, pourrait réclamer la garde de l’enfant.

Ces considérations s'appliquent du reste de la même manière dans l'hypothèse où la fécondation a eu lieu naturellement (supra II A 2).

24 A moins qu’il n’ait consenti à la conception par un tiers (art. 256 al. 3 CC).

25 BSK ZGB I-SCHWENZER/COTTIER, art. 206 CC N 7 (in Honsell Heinrich/Vogt Nedim Peter/Geiser Thomas (éd.), Commentaire bâlois ZGB I, 5ème éd., Bâle 2014, ci après BSK ZGB I-); CR CC I-GUILLOD, art. 260 CC N 11 (in Pichonnaz Pascal/Foëx Bénédict (éd.), Commentaire romand du Code civil I, Bâle 2010, ci après CR CC I-GUILLOD); MEIER Philippe/STETTLER Martin, Droit de la filiation, 5ème éd., Genève/Zurich 2014 N 108 (ci après MEIER/STETTLER). Contra: BK-HEGNAUER, art. 260 CC N 62 (Kommentar zu Art. 264-269c in Berner Kommentar, Berne 1984, 4ème mise à jour par Aeschlimann, Hadorn et Hediger-Sörensen, Berne 2012,); CHK-REICH, art. 260 CC N 3 (in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, Breitschmid Peter et al. (éd.), 3ème éd., Zurich 2016).

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2) Gestation pour autrui hors de Suisse a) Problématique

Comme évoqué (supra III A), certains Etats tolèrent la maternité de substitution.

Lorsque les parents d'intention recourent à cette technique de procréation médicalement assistée à l'étranger et que l'accouchement a lieu à l'étranger, l'acte de naissance est établi dans le pays où l'enfant est venu au monde. De ce fait, l'établissement des liens de filiation dépend du droit interne de l'Etat concerné. Si les parents d'intention souhaitent ensuite enregistrer leur enfant à l'état civil suisse, ils doivent obtenir la reconnaissance des liens de filiation établis selon le droit du pays de naissance de l’enfant.

La transcription d'un acte de naissance étranger dans le registre de l'état civil suisse ne pose pas de problème particulier lorsque l'officier d'état civil ne soupçonne pas que l'enfant est issu d'une gestation pour autrui. En revanche, l’officier d’état civil demandera des informations aux parents d'intention en cas de doutes, notamment lorsque la mère semble en âge d'être ménopausée ou lorsque le couple est homosexuel26.

b) Reconnaissance des liens de filiation étrangers

L'article 32 LDIP régit la transcription dans les registres de l'état civil suisse d'une décision ou d'un acte étranger relatif au statut personnel. Selon le deuxième alinéa, la transcription a lieu lorsque les conditions attachées à la reconnaissance d'une décision étrangère (art. 25 à 27 LDIP) sont remplies. Par conséquent, l'autorité étrangère qui a statué devait être compétente selon le droit international privé suisse (art. 25 let. a et 26 LDIP), la décision à reconnaître doit être définitive (art. 25 let. b LDIP) et aucun motif de refus ne doit s'opposer à la reconnaissance (art. 25 let. c et 27 LDIP).

Ainsi, lorsqu'elle est saisie d'une demande de transcription d'un acte de naissance établi à l'étranger, l'autorité cantonale de surveillance en matière d'état civil vérifie d'abord la compétence de l'autorité qui a établi ledit acte. Dans l'hypothèse où l'acte de naissance se fonde sur une décision judiciaire, l'autorité de surveillance examine également la compétence de l'autorité judiciaire.

Concernant ce dernier point, l'article 70 LDIP règle indirectement la compétence des autorités étrangères ayant statué sur le lien de filiation de l'enfant, et ce même si la solution retenue à l'étranger est inconnue du droit suisse27. Selon cette base légale, la compétence est donnée aux autorités de l'Etat de la résidence

26 TUROLLA Lisa, Die Anerkennung ausländischer Kindesverhältnisse in Leihmutterschaftsfällen, in RDS 2016, p. 393 ss, 394.

27 ATF 141 III 328 c. 4.3, JdT 2016 II 179 ; DUTOIT Bernard, Droit international privé suisse (Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987), 5ème éd., Bâle 2015, art. 70 LDIP N 2.

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habituelle ou de la nationalité de l'enfant, respectivement aux autorités de l'Etat de domicile ou de l’Etat national de la mère ou du père.

Si la compétence est admise, l'autorité de surveillance s'assure encore du caractère définitif de la décision. En principe, ces deux premières conditions ne devraient pas faire obstacle à la transcription de la décision étrangère.

Concernant la transcription de l'acte de naissance étranger d'un enfant issu d'une gestation pour autrui, la difficulté se loge dans l'appréciation des motifs de refus de la reconnaissance. A cet égard, l'article 27 al. 1 LDIP refuse la reconnaissance d'une décision étrangère qui heurterait manifestement l'ordre public suisse. Selon le Tribunal fédéral, l'ordre public est violé si la reconnaissance et l'exécution d'une décision étrangère apparaissent en contradiction absolue avec les valeurs juridiques et éthiques helvétiques.

Cependant, les contradictions avec le sentiment de justice, avec les valeurs et avec le droit impératif suisses ne fondent pas toutes l’application de la réserve de l'ordre public. Il convient d'examiner concrètement les conséquences et les effets d'une reconnaissance pour chaque cas particulier; l'ordre public ne s'évalue donc pas abstraitement. Comme le refus de reconnaître une décision étrangère crée des rapports juridiques « boiteux », la réserve de l'ordre public doit être interprétée restrictivement28.

En cas de maternité de substitution, la réserve de l'ordre public suisse peut s'opposer à la reconnaissance de rapports de filiation de parents d'intention valablement enregistrés à l'étranger. Dans ce contexte, rappelons d'une part qu'une femme enceinte ne peut pas abandonner ses droits parentaux avant la naissance de l'enfant, selon l'art. 265b al. 1 CC (supra II B 3) et que, d'autre part, la maternité de substitution est interdite en Suisse, indépendamment de l'état civil des parents d'intention (art. 119 al. 2 let. d Cst. et art. 4 LPMA; supra II A)29. Bien que l'interdiction de la maternité de substitution semble profondément enracinée en droit suisse, le Tribunal fédéral a mentionné qu’elle « ne constitue pas encore en soi un motif impératif de nature à empêcher la reconnaissance d'un lien de filiation établi à l'étranger de manière conforme à la loi »30, de sorte que chaque cas d'espèce doit être examiné individuellement pour déterminer si les circonstances concrètes s'opposent à la reconnaissance d'un lien de filiation valablement établi à l'étranger en raison de la réserve de l'ordre public suisse.

En effet, « si la parentalité des parents d'intention est reconnue à l'étranger, si la mère porteuse ou la donneuse d'ovules ont renoncé là-bas à tous leurs droits et n'assument aucun devoir envers l'enfant, le refus de reconnaissance en Suisse

28 ATF 141 III 312 c. 4.1, JdT 2015 II 351 ; ATF 141 III 328 c. 5.1, JdT 2016 II 179.

29 ATF 141 III 312 c. 4.2.2, JdT 2015 II 351 ; ATF 141 III 328 c. 5.2, JdT 2016 II 179.

30 ATF 141 III 312 c. 4.2.3, JdT 2015 II 351.

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peut faire de l'enfant un orphelin »31 en cas d'échec de l’adoption ou d'impossibilité d'adopter l’enfant.

Plusieurs auteurs dans la doctrine suisse admettent, certes sous conditions, la reconnaissance des liens de filiation créés valablement à l'étranger à la suite d’un accord de gestation pour autrui32 ; en revanche, un auteur au moins la conteste33.