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L’avènement de la Constitution de la République helvétique du 12 avril 1798 et les bouleversements

V ICTOR M ONNIER

II. L’avènement de la Constitution de la République helvétique du 12 avril 1798 et les bouleversements

qu’elle entraîne en Suisse

A la fin du XVIIIe siècle, la confédération d’Etats souverains que constitue le Corps helvétique avait, pour des raisons stratégiques, politiques, idéologiques, économiques et financières, subi de la part de la France, son puissant voisin, la déstabilisation de ses différents régimes oligarchiques alors en place. Cette ingérence allait amener ces Etats à « se révolutionner », provoquant en même temps leur invasion par les troupes françaises. Introduite par les baïonnettes françaises, la République helvétique, qui fait l’expérience funeste de l’occupation étrangère établie par la Constitution du 12 avril 1798 sur le modèle

1 Cette contribution s’insère dans le cadre plus général d’une étude en cours sur l’évolution du Corps helvétique de l’Ancien Régime à la Suisse moderne. Les sources principales sur lesquelles elle se fonde sont celles manuscrites qui se trouvent à Paris, aux Archives nationales, Secrétairerie d’Etat impériale (AF/IV/1701) et Fonds Rœderer (29 AP/21-24) ainsi qu’aux Archives du Ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique sous-série Suisse (vol. 479-480). Quant aux sources imprimées, ce sont principalement les ouvrages de la bibliographie.

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de la Constitution française du Directoire alors en vigueur, va déclencher une série de bouleversements.

Le premier bouleversement est la modification de la structure d’Etat qui devient celle d’un Etat unitaire centralisé avec comme conséquence la perte de la souveraineté des Etats du Corps helvétique qu’ils soient Cantons ou Etats alliés. On a de la peine de nos jours à s’imaginer la violence de la commotion que cette transformation a infligée aux mentalités de cette fin du XVIIIe. En effet, cette fusion gigantesque supprimait d’un trait de plume l’ancienne Confédération et tous ses particularismes locaux au profit d’un centralisme sans nuance. Le deuxième bouleversement est l’émancipation des nombreux territoires sous sujétion des ci-devant Etats confédérés placés désormais sur pied d’égalité avec leurs anciens maîtres, devenus comme eux de simples circonscriptions électorales, administratives et judiciaires. Le troisième bouleversement est l’instauration, à l’échelle de toute la République, d’un régime de démocratie représentative fondé sur le suffrage universel à deux degrés. Les assemblées primaires cantonales désignent des citoyens dont le nombre est réduit de moitié par le sort. Ces derniers constituent le corps électoral du canton qui, entre autres tâches, élit les députés au Législatif national. Si l'électorat n'est limité par aucune condition de fortune ou de capacité, en revanche, pour être élu dans les Conseils législatifs ou à l'Exécutif de la République, la Constitution impose des conditions capacitaires, d'âge et d'état civil : être marié ou l’avoir été. Nous constatons d’ailleurs que cette dernière limitation n’avait rien de novateur car elle existait déjà en Suisse, sous l’Ancien Régime, à Berne comme à Genève. Quant au mariage en Suisse, à cette époque, il est une institution territoriale dont les règles dépendent du Canton.

A la Réforme, les Etats confédérés qui étaient restés dans le giron de l’Eglise catholique continuaient d’appliquer le droit canon ; quant aux autres, devenus protestants, ils avaient établi dans ce domaine des législations qui se différenciaient les unes des autres par leurs préoccupations particulières et rendaient possible le divorce. La République helvétique tentera d’élaborer un code civil à l’échelon de tout le pays mais sans aboutir à aucun résultat concret.

Un projet sera partiellement rédigé en 1800-1801 qui traitera du mariage en rappelant qu’il constitue l’union de deux personnes de sexe différent, conclue à vie pour le meilleur et pour le pire – même si la possibilité de divorcer sera également établie – et, avec comme finalité essentielle, la procréation.

Enfin, le dernier bouleversement qu’opère cette Constitution de 1798 est l’introduction dans la vie politique de cette nouvelle république des droits fondamentaux, notamment des principes de liberté et d’égalité. Le principe d’égalité s’applique tant aux entités territoriales – émancipant de la sorte celles qui étaient sous sujétion – qu’aux individus avec comme conséquence la disparition des privilèges de lieux et de naissances qui caractérisaient la société d’Ancien Régime.

ETRE MARIÉ OU LAVOIR ÉTÉ

L’une des répercussions principales de l’introduction du suffrage universel à l’échelon du pays tout entier est de donner la majorité dans les deux chambres du Corps législatif national, aux paysans, artisans, petits commerçants issus de la campagne. La minorité, quant à elle, représente la population des villes. Un fossé sépare ces députés. Les premiers, appelés patriotes, puisent leur inspiration dans les idées de la Révolution française voire les copient sans nuance. Cette inclinaison, qui va de pair avec l’admiration portée à la France et à ses institutions régénérées, peut se comprendre par un degré d’instruction et d’éducation somme toute limité qui fait de ces jacobins suisses un parti aux ordres de la France. Ennemis forcenés de l’Ancien Régime, ils prêchent la centralisation ; cependant, lorsqu’il s’agit d’en appliquer les principes, ils manifestent une forte propension à protéger les intérêts particuliers de leur localité. Les seconds, nommés républicains, constituent une véritable élite intellectuelle et sont favorables aux réformes menées dans la modération. Il s’agit pour eux d’établir une véritable communauté de citoyens fondée sur les principes absolus de justice et de liberté dans le respect des lois. Partisans des principes fondamentaux de 1789, ils sont hostiles aux dérives observées en France sous le régime de la Terreur. S’ils se félicitent de l’abolition de tous privilèges et de l’instauration d’un Etat centralisé pour régénérer la Suisse, ils se montrent cependant moins centralisateurs que les patriotes, reconnaissant les mérites de la Constitution de 1798 certes, mais conscients qu’il faudrait l’améliorer. Ils défendent l’indépendance du pays et sont opposés aux revendications démocratiques affichées par les patriotes.

Ainsi ce Parlement helvétique ne possède que très peu de représentants qui, de par leur formation, soient à même d’assurer leur mission de législateur. Ce déficit est encore accentué par la mise à l’écart du clergé à qui la Constitution interdit d’exercer les droits politiques, les protestants étant pourtant tout à fait aptes à défendre dans l’esprit du christianisme les principes de liberté et d’égalité sans tomber dans les travers de la démagogie. A cette exclusion des ecclésiastiques s’ajoute celle de ceux qui sous l’Ancien Régime avaient eu l’habitude de gérer les affaires de l’Etat. Ces derniers pour la plupart ont été soit écartés par l’occupant français, soit laissés pour compte lors des élections. L’un des pères de la Révolution helvétique, le Vaudois Frédéric-César de La Harpe (1754-1838) n’écrivait-il pas à ce sujet en août 1799 : « Notre Corps législatif a une marche lente, incertaine, qui provient tout à la fois de son inexpérience et de son absurde composition. On craignait tant d’y voir entrer un grand nombre d’individus des familles régnantes, qu’il a été composé pour la moitié au moins de paysans, d’aubergistes et de campagnards, doués d’un sens droit, il est vrai,

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mais entièrement neufs sur tout ce qui tient aux principes de la législation et de l’économie politique. »2