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2 Les représentations médicales des troubles de la psukhê.

Annexe 5 Les symptômes hystériques

Type de suffocation selon le déplacement de la matrice

Symptômes Traités

-Yeux révulsés

-Froideur et pâleur du corps -Grincement des dents -Excès de salive -Etat épileptique

Maladies des femmes, I, 7

-perte de la voix -dents serrées -pâleur

Maladies des femmes, II, 127

-perte de la voix -trouble de la vue

-dents serrées -rigidité

Maladies des femmes, II, 203

Foie

-perte de la voix

-dents serrées

-couleur noire (du corps ?) -perte de connaissance

De la Nature de la femme, 3

-anxiété -tournoiements -vomissements bilieux

Maladies des femmes, II, 124

-cœur pressé

-respiration difficile et fréquente

Maladies des femmes, II, 201

Cœur

-bouche fermée Maladies des femmes, II, 203

704 SCARABOROUGH J., « Theorical assumptions in Hippocratic pharmacology » in Formes de pensée dans le

-Vomissements brûlants et âcres -douleur de la tête et du cœur

Maladies des femmes, II, 125

Hypocondres

-Suffocation identique que celle provoquée par l’ellébore

-orthopnée -cardialgie intense

-parfois, vomissement de salive acide -bouche emplie d’eau

-jambes froides

-perte de parole/ aphonie

-engourdissement de la tête et de la langue

-dents serrées -bouche fermée

Maladies des femmes, II, 126

-tête pesante

-douleurs dans les veines des narines et le dessous des yeux

-somnolence -excès de salive

Maladies des femmes, II, 123

Tête

-douleurs dans les veines des narines et le dessous des yeux

Nature des femmes, 48

Phrenes -perte de la voix -dureté des hypocondres -étouffement

-dents serrées -trouble de l’ouïe

Maladies des femmes, II, 201

Côtes -toux

-douleurs sur le côté avec apparition d’une grosseur

-dépérissement semblable aux péripneumoniques

-la malade se rétracte et devient bossue -pas de règles

Maladies des femmes, II, 129

-perte de la voix

-froideur des jambes, des mains et des genoux

-palpitation du cœur -grincement des dents -sueur profuse

-accidents semblables à l’épilepsie

Maladies des femmes, II, 151

Sans indication du type de déplacement

-pesanteur

-intelligence dans la stupeur -perte de la parole

-refroidissement

-respiration entrecoupée -œil obscurci

Maladies des femmes, II, 201

Les symptômes, nombreux et de nature parfois très diverse, ne permettent pas vraiment d’établir une typologie de la symptomatologie hystérique. Quelques uns reviennent néanmoins fréquemment. Il s’agit, pour l’essentiel, des accidents qui affectent la zone buccale, langue, dents, et qui peuvent parfois apparaître comme caractéristiques de troubles de

la perception. C’est le cas de l’aphasie par exemple, voire de l’aphonie. La vue est aussi parfois touchée. Et, dans les désordres hystériques les plus fâcheux, les troubles vont quelquefois jusqu’à la perte de la connaissance. Ce n’est donc pas un hasard que les médecins comparent de tels accidents avec ceux générés dans l’épilepsie. D’autant que les déplacements de la matrice provoquent des convulsions du corps sans doute très proches de celles observées pour le mal sacré705. La comparaison pourrait même s’étendre à d’autres pathologies de la psukhê. C’est le cas de l’aphonie, par exemple, qui est également présente dans les troubles mélancoliques, maniaques ou épileptiques. Elle peut se définir comme « l’absence ou la perte des sons que peut émettre la voix humaine, ou l’absence ou la perte de la voix, chez les malade ; mais, pour celui qui le considère, essentiellement pour le médecin, c’est aussi la non perception des sons ou du discours auquel il s’attend de la part de son patient » 706. Elle peut donc, en effet, être le signe d’un dérangement de l’intelligence mais aussi l’indice d’une simple inhibition des organes de la phonation, ce qui semble plutôt être le cas ici. L’aphasie est, en revanche, un trouble de la perception.

Les quinze cas recensés ne sont évidemment pas les seuls du Corpus qui décrivent les souffrances de la matrice. Notre intérêt s’est porté sur ceux-ci car certains des symptômes décrits sont des altérations des troubles de la psukhê. Cela ne suffit pas, cependant, à faire de la suffocation hystérique une maladie de la psukhê au même titre que l’épilepsie par exemple mais sa place dans cette étude est justifiée à la fois par les indices d’une perte de raisonnement chez la femme et par les parallèles établis par les Hippocratiques eux-mêmes entre cette affection et l’épilepsie voire la mélancolie parfois.

2.4.3-Soins et considérations sociales

La suffocation est une maladie à part car spécifiquement féminine. Elle témoigne d’une conception très particulière du corps de la femme. Les déplacements de la matrice deviennent les explications de la plupart des maux féminins. Ils causent des dérèglements somatiques, des désordres fonctionnels autant que des troubles de l’intelligence. Le caractère

705 Hipp, Coa VII, 543 ; Coa II, 343 ; Prorrh I, 119. Hipp, RMA, 35 : « Pressez le malade avec les doigts ; si la

femme le sent c’est une attaque d’hystérie sinon, c’est une attaque de convulsion ». VEITH I., (1973) : 21 ne parle d’ailleurs pas de convulsion mais d’épilepsie. Si cela paraît très vraisemblable, le médecin ne l’affirme pas cependant.

706 GOUREVITCH D., « L’aphonie hippocratique » in Formes de pensée dans le Corpus Hippocratique, (1983) :

298 : « L’aphonie (hippocratique) semble donc être l’absence ou la perte des sons que peut émettre la voix

humaine, ou l’absence ou la perte de la voix, chez les malades; mais, pour celui qui le considère, essentiellement pour le médecin, c’est aussi la non perception des sons ou du discours auquel il s’attend de la part de son patient ».

protéiforme de la maladie suggèrerait même qu’elle renvoie à des affections différentes. Elle paraît aussi insaisissable que l’épilepsie et se confond même parfois avec elle. La spontanéité de son déclenchement707, la violence de ses symptômes et leur similarité avec ceux de l’épilepsie, font de l’hystérie le grand mal des femmes. Sa thérapeutique aussi est adaptée, elle se focalise sur l’objet de ces maux : les déplacements de la matrice.

Les soins et remèdes à apporter en cas de suffocation hystérique, de toutes les informations consignées par les Hippocratiques sur cette pathologie, sont celles auxquelles les médecins consacrent le plus de notes. Comme pour sa symptomatologie polymorphe et variable, les traitements de la suffocation sont multiples et très variés et font notamment appel aux ressources d’une très vaste pharmacopée. Graine de poireau ou de pavot, sauge, orge, miel cuit, lait d’ânesse, vinaigre blanc, autant de produits qui servent à la composition de breuvages évacuants mais surtout de fumigations. La suffocation hystérique ne recevant pas d’autres explications que les vagabondages de la matrice, toute sa thérapeutique est orientée dans le seul but que l’utérus retrouve son siège originel. Les médecins ont conservé pour ce faire les méthodes déjà utilisées par les Egyptiens qui considéraient la matrice comme un organisme vivant, corps dans le corps, doté d’une volonté propre et d’une caractéristique essentielle : sa sensibilité aux odeurs. Toute la technique constituait alors à faire ingérer ou respirer à la malade des éléments au goût ou aux effluves nauséabonds en guise de répulsif lorsque l’utérus était logé dans la partie haute du corps. Une autre méthode, tout aussi efficace, était de placer, sous le sexe de la femme, des fumigations aromatiques pour attirer la matrice vers le bas708. Il semble que les Hippocratiques pratiquaient les deux méthodes simultanément auxquelles ils adjoignaient encore d’autres remèdes. Le médecin doit surtout faire preuve de prudence et être patient, l’utérus ne « s’apprivoise » pas aussi facilement : « Quand la matrice se porte aux hypocondres, elle suffoque (…) faire des applications chaudes, si la suffocation est en haut ; brûler sous les narines des substances fétides, peu à peu ( car, si on en brûle en masse, la matrice se déplace vers le bas, et du trouble survient), et, par le bas, des substances parfumées. Donner à boire le castoréum709 et la conyza. Quand la matrice a été tirée en bas, faire des fumigations fétides en bas, aromatiques sous les narines (…) »710. On fabrique des pessaires, on serre les endroits névralgiques avec des bandages. Les médecins hippocratiques se distinguent cependant des Egyptiens par une

707 Hipp, Mal fè, II, 123 : « Elle éprouve soudainement, en pleine santé, ces accidents ». La suffocation

hystérique est également dite suffocation subite.

708 VEITH I., (1973) : 13.

709 Il s’agit de la sécrétion de testicule de castor. 710 Hipp, Mal fè II, 125.

méthode directe, la manipulation, pour rendre à l’utérus sa place initiale : « (…) à l’aide de la main, éloigner du côté la matrice avec douceur, avec ménagement et d’un mouvement égal ; serrer le côté avec un bandage de corps (…) »711. Les remèdes sont similaires quel que soit le type de déplacement de la matrice mais le traitement le meilleur est la grossesse pour les veuves et le mariage pour les jeunes filles712. Car l’intérêt premier des médecins est d’éviter la stérilité et de favoriser la procréation. Ils s’inscrivent ainsi dans une perspective sociale dont les fondements sont aussi culturels : la soumission de la femme, qu’elle le veuille ou non, aux demandes sexuelles de son mari dans l’idée première de la procréation713.

Dans son étiologie, ses symptômes, sa thérapeutique, la suffocation hystérique apparaît comme une maladie singulière. Elle a un statut hybride : elle ne concerne qu’une moitié de la population mais son lien à la sexualité et, au-delà, à la procréation, est tel qu’il est important de savoir la soigner. Hybride elle l’est aussi car elle présente les mêmes signes que l’épilepsie avec pourtant des causes différentes et, surtout, spécifiquement féminines. Elle dit surtout un corps féminin méconnu, dont la conception intérieure rappelle la sensation de vacuité et d’immensité des territoires inexplorés. Sa place dans cette étude sur les pathologies de la psukhê peut étonner dans la mesure où peu de ses symptômes sont des troubles du raisonnement et, lorsque de telles altérations se produisent, rares sont les précisions qui sont données sur leur degré de gravité. Sa symptomatologie est pourtant comparée à celle de l’épilepsie, voire à d’autres affections telles que la mélancolie, ce qui explique que l’on s’y soit intéressé mais ce qui atteste surtout que les maladies de la psukhê sont aussi, et peut-être avant tout, pour les Hippocratiques, des affections somatiques. La suffocation hystérique est, parmi les pathologies étudiées, probablement l’affection qui témoigne le mieux de la représentation hippocratique du corps comme un tout, fut-il féminin, et de l’absence de rupture entre la psychê et le sôma dans la représentation médicale hippocratique.

Conclusion

Si les théories hippocratiques s’inscrivent dans un contexte général de recherche sur l’humain et peuvent être, à ce titre, être perçues comme une étape logique de ce cheminement,

711 Hipp, Mal fè, II, 129. 712 Hipp, Mal fè, II, 127.

713 A ce sujet, voir notamment SIMON B., « Hysteria and social issues » in Mind and Madness (1978) : 238-268.

MANULI P., « Donne mascoline, femminile sterili, vergine perpetue : la ginecologia greca tra Ippocrate e Sorano » in Madre Materia (1983) : 160 : l’auteur considère que l’hystérie est une construction masculine. Ce « chantage hygiénique » que représente l’hystérie permet à l’homme de maintenir une pression sexuelle sur la femme.

elles occupent cependant une place prépondérante dans cette quête des savoirs. Le statut itinérant des praticiens, la relation forte qu’ils entretiennent avec leurs patients, les observations médicales qu’ils consignent, contribuent à la large diffusion des idées nouvelles sur la représentation de l’être humain, et proposent un schéma de pensée plus « rationnel », toujours dans le respect du divin. Les conceptions médicales ne peuvent être envisagées comme une rupture radicale avec le monde archaïque et certaines réflexions hippocratiques témoignent même de la conservation de croyances traditionnelles. C’est le cas, par exemple, de pathologies comme la suffocation hystérique dont l’étiologie met en évidence la croyance à un utérus vagabond dans le corps féminin, très réceptif aux odeurs, une particularité qui détermine d’ailleurs toute la thérapeutique.

La conception hippocratique de la nosos, relativement large, se définit par rapport à un état d’être inhabituel qui tient compte de la phusis de chaque individu. Ce qui est une maladie pour les uns peut être un tempérament pour les autres, comme c’est le cas pour la mélancolie par exemple. C’est donc une médecine individuelle, très à l’écoute de ce que disent les patients sur ce qu’ils éprouvent, que les médecins pratiquent. La majorité des textes l’attestent : les praticiens n’envisagent pas de séparation entre le corps et la psukhê si bien qu’on ne peut pas parler de pathologies de la psukhê au sens strict. Même les médecins qui adhèrent aux idées encéphalocentristes ou cardiocentristes ont une représentation globale, totale, de l’être humain. Les partisans de la thèse encéphalocentriste conçoivent en effet que le cerveau, via le système veineux, entretient des relations tout à fait égales et essentielles avec le reste du corps. L’idée d’une quelconque monarchie d’un organe sur le corps n’est pas envisageable.

En dépit de cette interdépendance du corps et de l’esprit, on peut néanmoins constater que certaines affections présentent des symptômes qui touchent plus spécifiquement à la perception donc, d’une manière générale, au raisonnement. C’est le cas de la mania, de la mélancolie et de l’épilepsie. Aucune de ces maladies ne s’expliquent autrement que par des causes physiologiques. Elles mettent toutes en évidence, comme l’ensemble des pathologies d’ailleurs, un dérèglement des humeurs ou des éléments, liquides ou organes, présents dans le corps. La thérapeutique est aussi adaptée à cette conception et relativement similaire pour chacune de ces affections : si ce n’est pour la suffocation hystérique, il s’agit d’évacuer l’humeur en excès dans le corps afin de rétablir l’isonomia originelle. Nombreuses sont les affections comme les fièvres par exemple ou les accidents traumatiques qui présentent des troubles de la raison. Il n’était pas question de les mentionner toutes. Nous avons fait le choix de faire émerger les affections qui pouvaient être assimilées à l’idée de « maladies de la

psukhê ». A ce propos, l’évocation très discrète et l’absence de recherche sur la phrenitis peuvent paraître étonnante mais il nous semble, à l’instar de la mélancolie, qu’elle ne présente pas suffisamment de symptômes d’altération du raisonnement pour qu’une recherche sur cette pathologie se justifie. Sur les 73 cas recensés au sein du Corpus Hippocratique, environ 10 cas714 présentent des troubles de la raison et, parmi ceux-ci, la plupart sont des délires modérés, 3 mentionnent une perte de connaissance715. C’est une maladie très dangereuse dont l’issue est souvent mortelle comme ont permis de le constater quelques cas de mania dont elle était l’issue fatale. Elle est difficile à définir du fait de la très grande variété des symptômes qu’elle présente mais elle est parfois rapprochée de l’épilepsie car l’individu qui en est atteint est souvent victime de spasmes716 ; elle est aussi comparée à la mélancolie car certains malades montrent parfois une certaine taciturnité. La cause de la maladie est le sang, or, dans de nombreux traités, il est aussi le fluide qui apporte l’intelligence, ce qui explique que, le sang étant gâté, l’intelligence est dérangée. E. Littré a vu dans la phrénitis une forme de malaria, Pinel la range parmi les phegmasies et à l’époque héllénistique, elle est classée aux côtés de la goutte, de la dysenterie, de la léthargie et de l’épilepsie, tous ces exemples témoignant de la difficulté à la définir. On ne pouvait pas cependant ne pas en dire quelques mots.

Toutes ces pathologies de la psukhê se distinguent et se ressemblent à la fois, d’une part parce que leur étiologie n’est pas la même, d’autre part car elles présentent cepedant certains symptômes identiques. Les tableaux suivants proposent un profil pour chaque maladie qui permet d’établir d’éventuelles comparaisons :

714 Hipp, Coa 76 ; Ep III, 11, 13, 14, 15, 16 ; Ep VII, 12 ; Mal I, 30, 34 ; Mal III, 9. 715 Hipp, Ep, III, 13. Ep III, 14 ; Ep, III, 15.

Annexe 6 : profil des affections