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Les mots du délire

Annexe 9 : Les maladies du mélancolique

3.2.1 La mania : une maladie du mélancolique ?

Dans le traité de Physiognomonie, le Pseudo-Aristote rappelle que la mania relève avant tout de la psukhê mais souligne que c’est cependant en purifiant le corps à l’aide de pharmaka et du recours à la diète que les médecins délivrent (λύω) la psukhê de cette affection858. Cet extrait évoque la forte interdépendance qui existe entre le sôma et la psukhê et permet de saisir les similarités de pensée, s’agissant notamment de la théorie physiologique, qui existent entre les Hippocratiques et Aristote. Pour ces scientifiques, la mania est une affection de la psukhê qui est traitée par le biais du sôma. Un autre passage révèle ce rapprochement de la pensée médicale et biologique, où Aristote constate que les saisons les plus propices à l’apparition de la mania sont l’été et l’automne859. Ce sont en effet des saisons sensibles pour les bilieux dont l’humeur est échauffée par la sécheresse et le vent du nord comme l’observent également les médecins. Cette affection est rangée aux côtés de troubles tels que les ophtalmies sèches et les fièvres aiguës qui naissent également de l’échauffement excessif de l’humeur, à ceci près pour la mania qu’elle intervient uniquement « chez ceux en qui la bile noire est naturellement (phusis) présente » car elle « vient en surface du fait que les humeurs contraires sont desséchées »860. Mais, tandis que pour les Hippocratiques la mania est un mal qui touche l’ensemble des individus au tempérament bilieux, Aristote la lie uniquement à la bile noire de telle sorte qu’il en fait aussi le trouble spécifique de ceux qui présentent une complexion dominée par cette humeur, les mélancoliques861. Ce faisant, Aristote adhère et se détache à la fois des représentations hippocratiques pour construire une théorie tout à fait spécifique au sein de laquelle la mania est un trouble singulier qui apparaît

858 Arist, Phgn, 808 b 859 Arist, Pb, 860 b 23.

860 Le mécanisme de l’échauffement de la bile est notamment décrit dans le Problème XXX et étudié dans le

chapitre sur la conception aristotélicienne de la mélancolie.

861 Ainsi que le montre le Problème XXX notamment, Aristote adhère au principe de l’isonomia humorale mais

met en évidence une complexion particulière qui y échappe, celle des mélancoliques. Ces individus présentent naturellement une quantité excessive de bile noire dans le corps qui, lorsqu’elle augmente encore, donne lieu à des maladies tout à fait spécifiques comme la mania ou l’épilepsie.

plus particulièrement chez les mélancoliques. Elle est aussi susceptible d’affecter les autres bilieux, de manière accidentelle mais non déterminante comme pour les atrabilaires862.

* L’altération de la raison

Traitant de la distinction entre les qualités (poiotês) et les affections (pathos)863, un passage des Catégories864 aborde celles qui sont propres à la psukhê. La colère et le délire (ekstasis) sont ainsi présentés comme des qualités de la psukhê dès lors qu’ils existent depuis la naissance ou sont les séquelles indélébiles d’une maladie quelconque. Pour Aristote, l’ekstasis865 est une pathologie spécifique propres aux mélancoliques, plutôt classée du côté des euthymies866, qui définit une perte de la raison passagère parfois accompagnée d’hallucinations visuelles867 et qui caractérise l’individu porté par son thumos. Dans ce passage, Aristote suggère que l’ekstasis n’est pas toujours et seulement une maladie de la bile noire mais peut aussi constituer une qualité de la psukhê dans la mesure où elle se manifeste chez un individu depuis sa naissance ou intervient à la suite d’une maladie. Cela suggère que si la phusis mélancolique présente les conditions idéales au développement de l’ekstasis, les atrabilaires ne sont pas nécessairement les seuls qui en sont atteints, comme il en va aussi pour la mania. L’adjectif manikê semble caractériser ici la forme spécifique que prend l’ekstasis qui est probablement agitée, violente voire bruyante. Ekstasis et mania entretiennent des liens particuliers de telle sorte qu’il est parfois difficile de distinguer ce qui caractérise réellement l’une et l’autre. Elles sont à nouveau associées dans un discours traitant du problème de l’éléatisme868 : « Certes d’après le raisonnement pur (logos), il pourrait en être ainsi de l’univers mais si on tient compte des faits, une pareille opinion ressemble à une folie

862 Dans le Problème XXX, 954 a, Aristote précise que « chez la plupart des gens, née de l’alimentation

quotidienne, la bile noire ne modifie nullement leur caractère (hêthos) mais provoque seulement une maladie de la bile noire ».

863 Selon Aristote, chez un individu, les qualités sont les traits ou les dispositions du caractère marqués par la

stabilité car ancrés dans la durée qu’ils soient présents depuis la naissance, donc propre à la phusis de la personne, ou issus d’une maladie qui a laissé des séquelles ineffaçables. On caractérise une personne à l’aide de ces qualités. En revanche, les affections sont les traits qui se dissipent facilement et ne permettent pas de qualifier une personne. Aristote explique par exemple que le fait qu’un individu rougit de honte (le visage se colore alors de manière très éphémère) ne permet cependant pas de le caractériser de « rougeaud ».

864 Arist, Cat, 9 b.

865 Voir chapitre sur la mélancolie.

866 D’où peut-être son sens ultérieur définit par le mot français extase : joie, ravissement, béatitude. 867 Arist, Mem rem, 451 a 8.

(μανία), car il n’y a pas de dément (μαίνω) qui ait perdu la raison (ἐξίστημι) à ce point que le feu et la glace lui semble être une seule et même chose. Et ce n’est que par un effet de démence (μανία) que certains esprits ne trouvent aucune différence (διαφέρω) entre des objets réellement beaux et des objets qui ne paraissent beaux que par l’habitude »869. Dans ce passage, la mania semble caractériser une incapacité de jugement ou de réflexion et, plus spécifiquement, une confusion entre le réel et le théorique. Pour Aristote, il apparaît que le raisonnement pur doit s’associer avec l’observation directe des faits, donc la connaissance empirique des choses, afin de percevoir ce qu’est la réalité du monde. Ne pas le faire, c’est risquer de tomber dans la confusion, à l’instar des maniaques dont l’altération de la raison déforme le réel et leur font percevoir des choses et des faits qui n’existent pas ainsi. Dans ce passage, la mania apparaît d’un emploi très général, pour désigner celui qui est fou, celui qui n’a plus sa raison. L’ekstasis caractérise ici l’altération du maniaque qui ne possède plus sa raison mais est tout entier gouverné par ses émotions qu’il lui font percevoir le réel différemment. Ce défaut du raisonnement attribué à l’individu maniaque est également perceptible dans l’Ethique à Nicomaque où il est rapproché de l’ignorant870. Plus loin dans ce même ouvrage, le maniaque est comparé à un imbécile (ἠλίθιος) et définit comme étant à l’opposé de l’homme sain d’esprit (ὁ νοῦν)871. L’individu maniaque souffre d’un trouble du

raisonnement mais le degré de cette altération est cependant difficile à préciser. Aristote semble en effet supposer que le maniaque n’est pas totalement privé de réflexion, à la différence de l’extatique, mais que celle-ci ne présente aucune utilité immédiate et applicable dans la réalité. Abordant le problème de la délibération, essentiel pour la gestion de la cité, il insiste sur le fait qu’un objet de délibération n’est pas « ce sur quoi délibérait un imbécile (ἠλίθιος) ou un maniaque (μαινόμενος), mais ce sur quoi peut délibérer un homme sain d’esprit (ὁ νοῦν) » car « nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous et que nous pouvons réaliser »872. Le maniaque serait donc un individu dénué de sens pratique et dont la réflexion divague et n’est pas en prise avec le réel.

L’état maniaque est déterminé par les mouvements de la psukhê comme il l’explique précisément dans un passage des Problèmes où il cherche à comprendre « Pourquoi ceux qui ont le sommeil profond et très doux ne font pas de rêves «873. Pour lui, la sensation (αἴσθησις)

869 Arist, Gen Cor, 325 a. 870 Arist, EN, III, 2. 871 Arist, EN, III, 5. 872 Arist, EN, 1112 a. 873 Arist, Pb, 957 a.

et la pensée (διάνοια)874 ne sont actives que dans le calme (ἠρεμία) de la psukhê, car il est impossible de réfléchir (διανοέομαι) ni de sentir (αἰσθάνομαι) lorsque cette dernière est emportée par un mouvement, ce qui explique d’ailleurs que les enfants, les gens ivres et les maniaques sont ἀνόητοι, c’est-à-dire privés de raison.

Il estime donc que l’intelligence de l’individu maniaque est comparable à celle d’un enfant ou d’un homme ivre. En dépit de telles comparaisons, il est très difficile de percevoir le degré de déraison auquel Aristote fait référence tant l’ivresse présente différents états tout comme l’enfance est constituée de différentes étapes de formation du raisonnement jusqu’à l’âge adulte. Si le terme ἀνόητοι définit étymologiquement une privation du noos, donc de l’intelligence qui permet le raisonnement et le jugement, la description qu’Aristote semble plutôt indiquer ici, non une perte totale du raisonnement, mais plutôt une altération du fait du mouvement trop violent de leur psukhê sous l’effet d’une température élevée du corps. Cette explication permet dès lors de comprendre le rapprochement établi par le biologiste entre les trois états que sont la mania, l’ivresse et l’enfance. La mania est en effet considérée comme une des conséquences de l’échauffement de la bile au sein de l’organisme875 d’où ses rapports souvent étroits avec l’ivresse876 qui présente des mécanismes similaires, mais aussi avec l’enfance car Aristote considère que les enfants sont naturellement chauds contrairement aux vieillards qui sont froids. Tous ont en commun une psukhê dont le mouvement accéléré et violent (σφοδρός) les empêche d’être ἐμφρονέστεροι, c'est-à-dire en pleine possession de la phronesis, du bon sens877. Cette instabilité s’exprime à travers leur pensée (dianoia) qui est gagnée par le trouble (ταράσσω). Ils devraient donc faire également partie des sujets qui ne rêvent pas car le rêve est, pour Aristote, comme une réflexion menée pendant le sommeil qui suppose une disposition de la psukhê878 à une certaine tranquillité879. Or, dans la pensée d’Aristote, ceux qui ne rêvent pas ont aussi un sommeil doux et profond ce qui apparaît en contradiction avec le tempérament mélancolique dont relève le maniaque, qui est en partie la cause de leur insomnie. Aristote ne se contredit pas car il distingue clairement le processus de l’endormissement et l’état physiologique des maniaques et des atrabilaires. Pendant le

874 La sensation et la pensée agissent de pair. 875 Voir le chapitre sur la mélancolie.

876 L’ingestion excessive d’alcool provoque une hausse de la température corporelle. Voir le chapitre sur la

mélancolie.

877 Ce bon sens se rapporte chez Aristote au sens commun, AUBENQUE P., (1962) : p 155-177.

878 On retrouve ici l’influence du traité du Régime IV d’Hippocrate qui dit que, dans le sommeil, la psukhê est

toute à elle-même.

879 Il en va de même dans le Régime IV où dans le cas d’un mouvement trop violent de la psukhê, celle-ci saisit

trop vite les sensations et perçoit mal. Voir le chapitre 1 de cette première partie. Selon Aristote, l’accélération et la violence du mouvement de la psukhê est lié à l’accumulation de la chaleur du reste du corps vers la région intérieure.

sommeil, la psukhê présente des mouvements de différentes natures : le calme permet le rêve tandis que l’agitation l’en empêche mais favorise en revanche un sommeil profond : « Lorsque la chaleur s’accumule du reste du corps vers la région intérieure, le mouvement s’accélère et devient très violent, et ce n’est pas à ce moment là, comme le supposent la plupart des gens, que la psukhê est au calme et repliée sur elle-même, et ce n’est surtout pas quand on a pas de rêves. C’est le contraire. (…) Il est normal qu’on se trouve au plus fort du mouvement quand on dort de la façon la plus agréable, parce que c’est alors surtout que la chaleur s’accumule en grande quantité à l’intérieur du corps »880. S’il est tentant d’associer ce mouvement de la psukhê avec la physiologie maniaque ou atrabilaire, Aristote indique qu’il faut cependant dissocier les deux problèmes : « Quant à ceux chez qui prédomine la bile noire, s’ils sursautent (ἐξαῖσσω) dans leur sommeil, c’est que leur température étant plus élevée, leur psukhê est en mouvement plus qu’il est normal et, comme le mouvement est plus fort, ils ne peuvent plus dormir »881. Il n’y a donc pas de contradiction dans la pensée d’Aristote et la personnalité atrabilaire est à nouveau présentée comme un état singulier, dont les mécanismes physiologiques doivent être véritablement distingués de ceux des autres individus.

* Un comportement singulier

Identifiant trois types différents de courage, Aristote définit l’un d’entre eux882 comme relevant de l’inexpérience (ἀπειρία) ou de l’ignorance (ἄγνοια) illustrant son propos en prenant encore une fois l’exemple des enfants ou des individus maniaques qui ne fuient pas devant certains dangers883. Le rapprochement est logique puisque les enfants et les maniaques ont, selon Aristote, une physiologie similaire. L’altération du raisonnement que présentent les maniaques, qu’il compare au niveau d’intelligence des enfants, les conduit à une mauvaise perception du réel, donc à des erreurs de jugement, qui induisent un comportement plutôt singulier et inattendu. Si le maniaque semble n’avoir peur de rien et montrer du courage face à certaines menaces, c’est avant tout par ignorance (ἄγνοια) du danger884.

Le vin est aussi un outil particulièrement utilisé par Aristote pour établir certaines analogies de comportement avec le maniaque. Il l’emploie d’ailleurs pour expliquer les

880 Arist, Pb, 957. 881 Arist, Pb, 957.

882 Les deux autres sont le courage civique et le courage militaire. 883 Arist, EE, 1229 a.

mécanismes à l’œuvre qui justifient le caractère parfois téméraire du maniaque. Il constate que les hommes courageux (andreoi)885 aiment le vin en général car ils ont le cœur et le poumon pleins de sang. La chaleur qui envahit la région cardiaque est similaire à celle liée aux effets du vin. Il recherche donc cette chaleur. Le refroidissement créé par la représentation du danger n’a aucune influence sur la température de cette région somatique contribuant ainsi à rendre le caractère de l’individu concerné courageux886. Or, selon Aristote, les péripneumoniques et les maniaques présentent un réchauffement de la région cardiaque similaires à ces derniers, les premiers parce que leur poumon est chaud en raison de l’inflammation et les seconds du fait du trouble qui les agite, ce qui explique aussi, d’autre part, qu’ils aiment aussi le vin et soient courageux.

Un passage similaire est présenté dans l’Ethique à Nicomaque887 où Aristote fait une analogie entre l’absence de peur, la mania et l’insensibilité suggérant ainsi que le raisonnement n’est jamais dissocié des sens. Sens et raisonnement vont de pair et expliquent pourquoi le maniaque éprouve des sensations différentes et adopte un comportement distinct des autres personnes devant les mêmes choses. Les troubles de sa psukhê se traduisent d’ailleurs physiquement, le dérangement de ses sens est notamment perceptible dans son regard. Aristote dit en effet qu’il lance son regard de côté (πλάγιος), πλάγιος désignant « ce qui n’est pas en ligne droite, oblique », étrange position des yeux que rapportent également les Hippocratiques888. Le regard semble constituer un indice qui permet de définir l’état de la psukhê. Le jugement du maniaque étant faussé, il perçoit le réel différemment et, se comporte différemment en conséquence. Aristote est peu indulgent envers ce type d’individus dont il considère l’attitude peu louable car excessive (ὑπερβάλλω)889. Il rapproche le comportement des maniaques à celui d’individus des tribus sauvages qui se livrent au cannibalisme. Il rapporte en effet que de tels états de bestialités peuvent parfois être le fait de maladies (nosos) ou parfois à la folie (mania), et il illustre l’état maniaque par l’exemple d’un homme qui offre sa mère en sacrifice aux dieux et la mange. Ainsi présentée, la mania définit un comportement en marge du social, proche de l’état sauvage, violent et choquant car excessivement éloigné de l’idéal de tempérance et de modération que se doit montrer tout citoyen grec pour Aristote. Il considère en effet que « la possession de ces diverses dispositions se situe hors des limites

885 Arist, Pb, 948 a.

886 On retrouve ici la tradition cardiocentriste selon laquelle le cœur est l’organe moteur et siège de la psukhê. 887 Arist, EN, 1115 b, 23-35.

888 Voir le chapitre sur la mania hippocratique.

889 La notion d’excès est valable dans les deux sens par rapport à la norme acceptable, celle de la tempérance et

de la modération : une trop grande sensibilité et, à l’opposé, une insensibilité, sont considérées comme peu louables car excessives.

du vice (κακία), comme c’est aussi le cas pour la bestialité (θηριότης); et, quand on les a, s’en rendre maître ou s’y laisser asservir ne constitue pas l’intempérance (ἀκρασία) proprement dite mais seulement de ce qu’on appelle de ce nom par similitude, tout comme celui qui se comporte de cette façon dans ses colères (θῦμος) doit être appelé intempérant (ἀκρατής) dans ladite passion (πάθος) et non intempérant au sens strict. »890. Cette incapacité à se contrôler n’est donc pas nécessairement un trait de la personnalité de l’individu mais constitue pour Aristote un état d’être et moral temporaire lié à une passion. Il précise cependant ses propos et considère que les deux origines possibles de l’intempérance sont la bestialité ou la maladie : « tout excès (ὑπερβάλλω) d’insanité (ἀφροσύνη), de lâcheté (δειλία) ou d’intempérance (ἀκολασία) ou d’humeur difficile (χαλεπότης) sont, soit des traits de bestialité, soit des états morbides (νοσηματώδης) »891. Le terme ὑπερβάλλω qui se rapporte à l’idée d’excès est fondamental car il est tout ce qui s’oppose à l’idéal moral grec selon Aristote. Il distingue deux origines possibles à la perte de raison, la bestialité ou les conséquences d’une maladie. Ainsi « Parmi les insensés (ἄφρονος), ceux qui sont naturellement (εκ φύσεως) privés de raison (ἀλόγιστοι) et vivent seulement par les sens (αἰσθήσις) comme certaines tribus barbares éloignées, sont assimilables aux brutes (βάρβαρος) » tandis pour d’autres individus, l’altération de la raison, survient à la suite d’une maladie comme l’épilepsie par exemple, ou d’un excès de mania si bien qu’ils sont alors assimilés à des êtres morbides.

Si la mania présente des traits de bestialité, elle n’est cependant pas assimilée comme telle par Aristote, de la même façon qu’elle semble clairement se distinguer d’une maladie comme l’épilepsie par exemple. Elle est seulement mise en parallèle avec cette dernière, ce qui rappelle certains écrits hippocratiques qui présentent la mania avec un statut à part, entre la maladie et la mort892. Dans les différentes maladies de la bile noire que Aristote décrit dans le Problème XXX, la mania ne fait pas partie de ces affections mais semble considérée plus spécifiquement comme la conséquence de certaines pathologies atrabilaires893. Dans son aspect moral, la mania se rapproche d’un état de bestialité et symbolise l’excès s’opposant ainsi à l’idéal de vertu grecque qu’est la tempérance. C’est ce qui explique qu’Aristote la rapporte à une certaine animalité, puisque privé de raison, l’individu est alors gouverné par

890 Arist, EN, 1149a 891 Arist, EN, 1149a

892 Voir le chapitre sur la mania hippocratique. 893 Voir le chapitre sur la mélancolie aristotélicienne.

ses sens. Le biologiste utilise d’ailleurs le terme mania pour décrire certains comportements propres aux animaux comme le cheval ou le chien894.

Aristote note que les canidés sont notamment sujets à trois maladies spécifiques que sont l’esquinancie895, la rage (λύσσα) et la goutte. Parmi celles-ci, « la rage produit une folie furieuse (mania), et si le malade mord (δάκνω), tous les animaux mordus à l’exception de l’homme, deviennent enragés »896. La mania ne peut faire référence ici à un état d’altération ou de privation de la raison puisque le chien n’en possède pas. Elle est un symptôme de la rage. Lorsqu’un animal contracte ce virus897, il peut présenter deux formes du trouble