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Annexe 1 : Classement de quelques traités du Corpus Hippocratique

1.2.1 Les évolutions de la conception du corps.

A l’époque homérique123, ainsi que le précise Snell, le corps n’est « pas conçu comme

unité mais comme pluralité »124 c’est-à-dire comme l’addition de parties distinctes que sont

122 Il apparaît illusoire d’étudier le corps grec à l’époque classique sans tenir compte de l’évolution des

représentations depuis les temps homériques. Comme le rappelle ONIANS R.B.,(1951) : 15, la représentation du corps humain et l’explication de son fonctionnement ne commencent pas avec les Présocratiques mais se rattachent à des racines beaucoup plus anciennes qui portent des croyances qu’on retrouve encore à l’époque classique.

123 Le témoignage que livrent les poèmes homériques de la représentation du corps se rapporte, comme tout

texte, qu’il soit dit scientifique ou non, à un ensemble idéologique spécifique.

BRIAND M., « Les figures du corps humain dans la poésie lyrique grecque archaïque », in L’homme grec face à

la nature et à lui-même (2000) : 83-125.

124 SNELL B., (1946) : 23. Cette conception se perpétue après Homère, elle est la même pour le corps épique

lyricisé, chez Tyrtée par exemple : « Le corps épique lyricisé est parfois investi de dynamiques globales ou

structuré en forme générale mais le plus souvent il est partiel, rendu perceptible et vivant par des organes (…) »,

notamment les membres125. Si le terme sôma est employé, il ne désigne pas encore une unité

organique, ni ne se rapporte à l’homme vivant sinon à son cadavre126. L’image offerte est donc

avant tout celle d’un corps actif, en mouvement127 et plus précisément combattant. Elle se

perpétue encore dans les sources lyriques. Cette « extériorité » du corps archaïque n’est cependant pas totale. La guerre et notamment les blessures qu’elle provoque révèlent un pan de l’intérieur corporel. Déchiré, le corps montre des organes et laisse sortir des fluides, comme le sang, identifié comme étant à l’origine de l’énergie combative. Mais le corps lyrique n’est pas seulement guerrier, il est aussi amoureux et aimé chez Alcée et Sapphô par exemple. Si les aspects externes, érotiques, tels que la chevelure, le regard, la peau, sont surtout mis en valeur dans la représentation de l’aimé, le corps amoureux est néanmoins « perçu de l’intérieur »128 : à chaque « organe » est attribué, de manière parfois confuse,

l’origine de sentiments et d’émotions tandis que des fluides corporels comme les larmes et le sperme jaillissent d’un corps dont ils finalisent la conception. Mais la poésie lyrique n’a pas pour dessein de décrire les mécanismes physiologiques à l’origine des sentiments et des émotions que ces auteurs expriment dans leurs vers. La « physiologie » exposée dans ces œuvres est donc sommaire : des fluides sont identifiés mais ils ne sont pas encore conceptualisés en tant qu’humeurs susceptibles de circuler dans le corps129.

Selon cette conception plurielle, il n’existe donc pas un siège unique des émotions ou de la pensée mais différents lieux somatiques auxquels il est attribué certains sentiments ou certaines sensations. Différents termes sont ainsi susceptibles de désigner le ou les sièges de l’activité intellectuelle et/ou émotionnelle : il s’agit des termes psukhê, νόος, θυμός. D’autres lieux corporels, tels que les φρηνές ou le καρδία, semblent également jouer un rôle dans l’activité intellectuelle.

1.2.2-La psukhê

La psukhê n’apparaît, chez Homère130, qu’au moment où l’individu est sur le point de

mourir, meurt ou perd connaissance131. Sa seule fonction est donc de quitter le corps humain132

125 L’auteur reprend ici les démonstrations de KRAHMER G., (1931), voirSNELL B., (1946) note 15, p 421. Voir p

25 : les hommes de l’époque homérique ne connaissaient pas leur corps « en tant que corps mais en tant qu’un

ensemble de membres ».

126 SNELL B.,(1946) : 22. 127 SNELL B.,(1946) : 24

128 BRIAND M., op.cit, (2000) : 112

129 Selon THIVEL A., « Hippocrate et la théorie des humeurs », in Noesis (1997) 93, c’est Alcméon de Crotone

qui lance la première ébauche de ce qui sera plus tard le schéma humoral hippocratique.

par la bouche133 ou par une blessure pour s’envoler vers l’Hadès où « elle mène une existence

spectrale en tant que fantôme du mort »134. Elle est une image du mort, son εἴδωλον, au

royaume des défunts135. Etymologiquement, psukhê se rattache au verbe ψυχώ qui signifie

« souffler, expirer ». Lorsque l’individu meurt, il « expire », il rend son dernier souffle136. La

psukhê apparaît comme le souffle vital qui habite l’homme137, « son principe de vie ». Tant

que l’homme est vivant, elle existe en lui mais n’est pas localisée à un endroit précis138 ni ne

se rapporte à aucun état de conscience ou de faculté de perception139. Elle ne représente pas un

« organe » ou un lieu somatique spécifique de l’individu. Elle s’apparente à un souffle (froid), symbole de la vie que l’homme expire au moment de la mort et qui constitue sa réplique, son ombre (σκιά), dans l’Hadès140. Elle absorbe certaines fonctions du thumos et des phrenes et

joue un rôle spécifique dans la mort comme dans la vie141.

1.2.3- Le thumos

Comme la psukhê, le thumos quitte l’homme quand vient la mort mais, contrairement à elle, il n’a pas d’existence post-mortem. Et pour cause : il est associé à la notion de mouvement, d’élan physique et vital142. En tant qu’il permet à l’homme de se mouvoir, son

131 Selon REDFIELD J., « Le sentiment homérique du moi » in Le genre humain, (1985) : 97, « On ne dit jamais

d’un être vivant qu’il possède une psukhê, sauf dans les rares cas où le héros s’évanouit et où sa psukhê le déserte provisoirement. Toutefois lorsqu’il revient à lui, on ne parle pas du retour de cette psukhê; en revanche, on précise qu’il retrouve son souffle et sa force ».

132 DODDS E.R., (1951) : 26. Les autres éléments constitutifs de l’homme vivant (cœur, noos, phrên, thuos)

disparaissent à la mort. SULLIVAN S.D., (1995) : 78

133ONIANS R.B., (1951) : 122 avance l’hypothèse selon laquelle la psukhê serait associée plus spécifiquement à

la tête, mais son explication est peu convaincante et aisément contredite par SNELL B.,(1946) : 28.

134 SNELL B.,(1946) : 26.

135 ONIANS R.B., (1951) : 121 : « Elle est identifiée avec l’image visible mais impalpable de l’être jadis vivant ». 136 Elle est une vapeur froide. ONIANS R.B., (1951) : 121

137 SNELL B.,(1946) : 26. 138ONIANS R.B., (1951) : 120 139 SULLIVAN S.D., (1995) : 78

140 Ce sont les trois points essentiels que SULLIVAN S.D., (1995) : 78-79 retient. Elle montre également que dans

plusieurs passages de l’Odyssée, la psukhê est investie de « pouvoirs » ou tout au moins de facultés intellectuelles et de perceptions qu’elle ne possède pas normalement. Elle rapporte le cas particulier de Tiresias qui possède encore son noos et ses phrenes dans l’Hadès ce qui lui permet de reconnaître Ulysse et de discuter avec lui. Le sang est un vecteur important de telles facultés. SULLIVAN S.D., (1995) : 88, 120. Selon l’auteur, l’attribution de facultés intellectuelles et émotionnelles au cours de ces quelques passages homériques annonce le changement de sens progressif du terme psukhê pour prendre celui, bien ultérieur, de siège de la personnalité et de l’intelligence.

141 SULLIVAN S.D., (1995) : 76-122. Cette évolution est précisée dans le chapitre sur les Hippocratiques.

142 Le terme se retrouve plus tard chez Hippocrate dans des expressions qui qualifient l’individu qui n’a plus

d’énergie voire qui n’a de goût à rien. C’est notamment le sens des termes euthymie, athymie. Voir le chapitre sur la mélancolie.

état détermine donc fortement le comportement individuel143. Il est un des éléments

constitutifs de l’être humain le plus cité chez Homère144 peut-être parce qu’il est le principe

vital par excellence : en effet, s’il est possible de perdre son noos ou ses phrenes temporairement145, perdre son thumos équivaut à perdre sa vie146. La qualité du thumos est

également liée au caractère moral, émotionnel d’une personne147. Il détermine certaines prises

de décisions, certaines motivations, le contrôle des actes entre autres fonctions. Il est donc lié au domaine émotionnel mais d’une certaine manière aussi à la sphère intellectuelle. Pour B.Snell, si, en général, il est « le siège de la joie, du plaisir, de la colère, donc le siège de toutes les réactions psychiques, il se peut à l’occasion, qu’une certaine forme de savoir soit localisée dans le thumos »148. Du fait de ses fonctions émotionnelles (positives et négatives),

intellectuelles,149 de son rôle dans les prises de décisions ou dans ce qui relève de la volonté de

l’individu150, il constitue un agent particulièrement influent pour l’homme, une puissante

source d’énergie et symbolise, pour une grande part, la personnalité humaine. Mais si les sources littéraires parlent beaucoup des fonctions du thumos, elles restent en revanche très mystérieuses sur son éventuelle localisation physique151 ou tout simplement sur sa nature152.

Parmi les hypothèses proposées, l’idée d’un souffle vital153, dynamique, changeant154, localisé

143 SULLIVAN S.D., (1995) : 55. Il est employé uniquement au singulier, chaque individu ne possédant qu’un

thumos, tout comme la psukhê.

144 Il apparaît plus de 750 fois chez Homère et dans les Hymnes Homériques tandis que la psukhê est mentionnée

85 fois.

145 Leur perte signifie le dysfonctionnement de certaines capacités propres à ces organes. L’anoia peut ainsi être

considérée comme une forme de délire, c’est une privation des fonctions intellectuelles. Le problème est étudié plus loin dans le chapitre consacré aux maladies de la connaissance chez les Hippocratiques.

146 SULLIVAN S.D., (1995) : 57

147 Le thumos de Pénélope est endurant (Hom, Od, 11.181), celui d’Achille est d’acier (Hom, Il, 9.496). Ces

qualités sont toujours utilisées dans la poésie lyrique : voir BRIAND M., «Les figures du corps humain dans la poésie archaïque grecque » in L’homme grec face à la nature et à lui-même (2000) : 92-93 ; SULLIVAN S.D., (1995) : 55-70

148 SNELL B.,(1946) : 30. Il est cependant différent du noos.

149 Pour les exemples dans l’Iliade et l’Odyssée, voire notamment SULLIVAN S.D., (1995) : 55-56. Ainsi, Athéna

sait dans son thumos qu’Ulysse va rentrer chez lui (Hom, Od, 13.339), Circé demande à Ulysse de bien planifier dans son thumos la direction qu’il va prendre après les Sirènes (Hom, Od, 12.58). Les dieux comme les hommes possèdent un thumos.

150 SULLIVAN S.D., (1995) : 56.

151 SULLIVAN S.D., (1995) : 55 le localise dans la poitrine. ONIANS R.B., (1951) : 40 rappelle qu’Homère dit

souvent que le thumos est placé dans les phrenes mais il ne parvient pas localiser précisément les phrenes. Il considère (p 65-72) plus exactement le thumos comme une vapeur, un souffle lié au sang et fait un rapport direct entre le sang, le thumos et l’intelligence. ROHDE E., (1907) : 365 pense que le thumos ne désigne aucun organe mais est une fonction immatérielle.

152 ONIANS R.B., (1951) : 70 Le thumos est actif et palpite. L’idée de SULLIVAN S.D., (1995) selon laquelle le

thumos est localisé dans la poitrine se rapproche de celle d’ONIANS ; il donne un seul exemple et conclut en disant que « c’est un lieu commun que la poitrine se soulève d’émotion ». ONIANS R.B., (1951) : 71. Souffle, fluide ou organe, le thumos semble parfois cumuler toutes ces natures si bien qu’il est véritablement très difficile de lui en attribuer une définitive.

dans les phrenes, est sans doute la plus acceptable. Un changement s’opère avec les Présocratiques chez qui le concept est rarement usité et devient plutôt synonyme d’émotion. Cette évolution de sens est sans doute à mettre en parallèle avec celle de la psukhê155.

1.2.3-Le noos

Le noos se rapporte plus spécifiquement à la sphère de l’intellect. Il est « l’organe qui recueille les représentations »156. Etymologiquement, il se rattache au verbe νοέω qui a pour sens « se mettre dans l’esprit » soit par l’entremise des sens d’où « voir », soit par la réflexion, d’où « comprendre ».157 Par extension, il signifie aussi « penser en soi-même », « méditer ». Il est l’organe de production de la pensée par excellence158 qui s’étend de l’acte de percevoir, de prendre connaissance et, par suite, de comprendre, à celui de délibérer, de décider, de projeter. En tant que principal agent du processus de la pensée159, il ne peut être statique : il investit différents lieux, généralement le thumos ou les phrenes160, s’élançant sur l’un ou sur l’autre161. Si, comme le thumos, il est unique en chaque individu162, il n’a, par contre, pas

154ONIANS R.B., (1951) : 71 considère que le thumos homérique est un souffle, variable, dynamique, qui va et

vient, change avec le sentiment et la pensée. Il est, selon lui, le souffle de la conscience, mais nous pensons que le terme « conscience » est trop fort et inadapté aux représentations archaïques de l’homme. S’il est vrai que l’homme homérique est à l’écoute de son thumos et l’interroge souvent, il n’a pas l’idée d’un « esprit », d’une « conscience » qui le guide. En cela, nous partageons les théories de B. SNELL. Le thumos et le noos sont des éléments séparés qui ont chacun leur fonction propre, il n’y en a pas un qui se rapporte plus qu’un autre à l’idée d’ « âme » ou de « conscience ».

155SULLIVAN S.D., (1988) : 67-68

156 SNELL B.,(1946) : 29. L’auteur établit une distinction très nette entre le thumos qui englobe ce qui relève du

domaine émotionnel et le noos qui se rapporte à la sphère intellectuelle.

157 Il est donc l’agent principal d’accès à la connaissance que celle-ci demande un effort intellectuel ou non. La

notion de « vision » est extrêmement importante chez les Grecs et ne se limite pas au seul acte visuel, elle se rapporte à une perception intellectuelle dont le rôle est fondamental dans la construction de la connaissance. Pour SNELL B.,(1946) : 37, chez Homère, « les représentations sont données par le noos, et cet organe intellectuel est conçu par analogie avec l’œil (…), c’est l’œil qui tient lieu de modèle pour la réception d’expériences. Dans cette sphère, l’intensif coïncide effectivement avec l’extensif : celui qui en a vu beaucoup et souvent, possède une connaissance extensive ».REDFIELD J., « Le sentiment homérique du moi », in Le genre humain, (1985) : 102-103 précise : « non que perception et identification constituent deux opérations dissociables mais la différence est fonctionnelle : la vision regarde l’objet alors que le noos en capte le sens ».

158 BRIAND M., « Les figures du corps humain dans la poésie lyrique grecque archaïque » in L’homme grec face

à la nature et à lui-même, (2000) : 83-125 ; SULLIVAN S.D., (1995) : 19

159 Cette conception du mouvement de l’esprit se retrouve également dans l’étymologie du terme mania, voir le

chapitre consacré à ce sujet.

160 SULLIVAN S.D., (1995) : 19, ONIANS R.B., (1951) : 108

161 SULLIVAN S.D., (1995) : 21, l’auteur reprend la théorie ONIANS R.B., (1951) : 107. Ce dernier démontre que

le mot se rattache étymologiquement à des verbes de mouvement et fait du noos, la conscience qui se projette, un élément qui se meut.

162 D’où son emploi au singulier. Il est aussi spécifique aux hommes et aux dieux mais non aux animaux, avec

quelques exceptions cependant puisque le chien d’Ulysse se sert de son noos pour le reconnaître (Hom, Od, XVII, 301). REDFIELD J., « le sentiment homérique du moi »,in Le genre humain, (1985) : 102, le lie au logos puisqu’il n’habite que les êtres qui sont doués de la parole ou les êtres assimilés à eux.

d’existence physique à proprement parler163 bien qu’il soit souvent localisé dans la région de la poitrine164. Mais le noos n’est pas seulement « de l’intellect pur », il est aussi émotionnel comme l’attestent ses nombreuses épithètes165. Constitutif de l’individu, il joue un rôle vital. Il semble avoir une fonction de médiateur qui détermine l’attitude morale de la personne166. En soupesant et conciliant les bonnes et mauvaises pensées ou émotions, il permet à l’homme de prendre des décisions. En un sens, il participe à la formation du caractère de l’individu et détermine certains de ces comportements. Celui qui fait montre d’une attitude singulière, inhabituelle est dit ainsi agir ou penser contrairement à son noos ou est incriminé de l’avoir perdu167.

1.2.5-Les phrenes

Les phrenes font l’objet de nombreux débats s’agissant notamment de leur nature et de leur localisation physique168. Le terme est très fréquent chez Homère169 et généralement employé au pluriel contrairement au noos, au thumos ou à la psukhê qui sont des singuliers. Elles auraient donc une nature différente de ceux-ci, matérielle, et pourraient désigner un organe ou une région corporelle spécifique. Les différents passages homériques qui évoquent leur nature ou leur lieu somatique laissent perplexe170 si bien qu’il est très difficile de s’accorder sur leur localisation précise. On pense au diaphragme, aux poumons171, au péricarde172. Le thumos est placé dans les phrenes, de même que l’ἦτορ et le κῆρ173 à quelques

163 SULLIVAN S.D., (1995) : 19 ; ONIANS R.B., (1951) : 108

164 ONIANS R.B., (1951) : 107. L’auteur remarque que deux passages de l’Iliade suggèrent que le noos s’identifie

au cœur mais Poséidon parle aussi de « cœur sans noos » (Hom, Il, XXI, 441) ce qui rend peu plausible la première idée. L’auteur pense alors que le terme désigne un mouvement particulier qui agit sur les phrenes ou le

thumos et servirait à les définir. REDFIELD J., « le sentiment homérique du moi », in Le genre humain, (1985) : 102, noos, thumos et phrenes sont localisés dans le stéthos.

165ONIANS R.B., (1951) : 108-109. SULLIVAN S.D., (1995) : 21. Exemple « Il se réjouit en son noos », Hom, Od,

VIII, 78.

166SULLIVAN S.D., (1995) : 21

167 SULLIVAN S.D., (1995) : 21 : le noos homérique serait vulnérable à l’action de forces ou d’agents extérieurs,

certaines émotions pourraient ainsi pousser un individu à agir de manière négative en dehors de son noos, ou comme s’il n’en avait plus (anoos).

168 Le sujet fait surtout débat s’agissant des sources homériques. Le terme est en effet moins employé par la

suite. Sur le problème des phrenes dans les poèmes homériques et chez Hésiode, SULLIVAN S.D., (1995) note 48, p 36.

169 Il revient plus de 300 fois chez Homère, 21 fois chez Hésiode. Le mot est parfois employé au singulier mais

ce changement est généralement mis en rapport avec les règles poétiques : certains mètres exigeraient un emploi singulier. Néanmoins, dans la poésie lyrique et élégiaque, cet emploi au singulier peut aussi être compris comme une évolution de sens, notamment dans un rapport plus étroit entre les fonctions de la phrên et le concept d’individualité de la personne. SULLIVAN S.D., (1995) : 36.

170 ONIANS R.B., (1951) : 39-59. 171 ONIANS R.B., (1951) : 43

reprises174. Chez Homère, la fonction prédominante des phrenes est intellectuelle : elles sont associées aux activités de réflexion et de délibération qui accompagnent les actions de l’individu175. Elles sont liées à la pensée, à la réflexion individuelle en lien avec l’action. Elles sont donc un instrument qui permet à l’individu de considérer les différentes possibilités dont il dispose pour agir. Elles se substituent parfois au noos. Mais l’émotionnel est aussi impliqué dans ces prises de décision, c’est pourquoi les phrenes sont décrites comme particulièrement vulnérables et sont souvent associées au comportement moral176. En effet, les émotions qui les concernent ne sont pas toujours positives et peuvent mener la personne à avoir une attitude moralement répréhensible177. Le terme est plus fréquemment employé au singulier dans la poésie lyrique d’Archiloque, d’Alcée et de Sapphô que dans les poèmes homériques, différence notable qui semble suggérer le rôle de la phrên dans l’émergence d’une individualité archaïque178. Il est aussi probable que cet emploi au singulier soit lié à une identification plus précise de l’organe phrên, probablement le diaphragme, qui est notamment celle que donnent les Hippocratiques un peu plus tard.

1.2.6-Le cœur

Trois termes, le κραδίη (ou καρδία), l’ἦτορ et le κῆρ, désignent le cœur en tant qu’organe physique et comme siège d’émotions ou de sentiments179. Ces mots ne sont pas synonymes, chacun d’entre eux renvoyant vraisemblablement à une fonction spécifique du coeur. Tous trois sont associés au domaine émotionnel mais il est cependant difficile de distinguer clairement leurs particularismes. Le kradiê est généralement impliqué lorsque l’individu ressent de la colère et de la rancune, il a aussi une influence sur l’exécution de certaines actions. Il est parfois dit « intrépide », « plus dur que la pierre », « impatient »180. Quant au

173 Pour ces deux termes, voir l’analyse ci-après.

174 Voir SULLIVAN S.D., (1988) : 268-272. L’auteur pense que les phrenes désignent une association d’entités

« psychiques ». Son idée n’est pas développée et sa théorie reste très imprécise. L’hypothèse que les phrenes puisse désigner, physiquement, la cage thoracique et qu’elles soient employées pour qualifier l’interaction des différentes activités propres à chaque élément comme le thumos ou le kêr etc, est peut-être à développer.

175 Pour les exemples homériques, SULLIVAN S.D., (1988) : 220-235 176 SULLIVAN S.D., (1995) : 38

177 Les phrenes sont souvent associées à la joie, à l’amour et au courage mais elles peuvent également être