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Les mots du délire

Annexe 8 : Les états mélancoliques

3.1.3. Le portrait moral et physique du mélancolique

La grande variabilité des états (ἕξις) 752 du mélancolique, soumis aux dérèglements de la bile noire, engendre une inconstance (ἀνωμαλία) des réactions face à des événements ou à des émotions comme la peur par exemple. Ce qui intéresse alors Aristote c’est le rapport du corps au mélange, relation physiologique qui induit la manière d’être de l’individu. Le sujet dont le mélange est froid devient lâche (δειλός) face au danger car « il a frayé la voie à la peur et la peur refroidit »753. La température froide du mélange a créé les conditions idéales pour que la peur s’empare de l’individu, celle-ci étant en effet considérée comme le fait d’un refroidissement de l’organisme. Dans le cas d’un mélange plus chaud en revanche, la peur rétablit l’équilibre (μέτριος) si bien que l’homme reste impassible (ἀπαθής) au moment où elle survient, c’est-à-dire face au danger. Ce même mécanisme s’applique pour d’autres sentiments et d’autres émotions ce qui explique les changements brutaux auxquels peut être soumis le mélancolique. Les athymies (ἀθυμία) de la vie quotidienne754, les états d’affliction (λυπέω) ou, au contraire d’euthymie755 que tous les hommes, pas seulement les mélancoliques, éprouvent parfois sans raison apparente ont des causes physiologiques propres aux variations des qualités de l’humeur. Car, dans le mélange de chacun se trouve un peu de la puissance (dunamis) de la bile noire. Ces affections (πάθος) existent superficiellement (ἐπιπέλομαι) chez les individus mais sont sans commune mesure avec ceux qui en sont affectés en profondeur (βαθύς)756comme les mélancoliques. L’individu qui a une petite part du mélange de la bile noire dans son organisme reste dans la moyenne (μέσος), c’est-à-dire qu’il ne se distingue pas

752 Ce terme est intéressant, il est employé pour la première fois dans le texte. En effet, à partir de ce moment,

Aristote ne fait plus référence à la phusis mais à une manière d’être qu’induit cependant cette phusis suivant le mélange dont elle est constituée.

753 Arist, Pb, XXX, 954 b.

754 L’athymie marque l’absence des fonctions du thumos donc d’énergie vitale, d’élan, d’entrain. L’athymie est

synonyme de découragement, de dégoût. Voir aussi le chapitre consacré à la mélancolie hippocratique.

755 L’euthymie est à l’opposé de l’athymie ou de la dysthymie, c’est un état d’euphorie.

756 Le rapport superficialité/ profondeur se réfère aux affections éprouvées : elles sont superficielles chez les uns

pour qui elles se traduisent seulement par un malaise temporaire, mais profondes chez les mélancoliques chez qui elles sont à l’origine de modification de la personnalité. Il s’agit donc moins, semble t-il, d’une localisation corporelle (en surface, en profondeur) que de la valeur accordée à l’ampleur et l’aspect chronique du mal.

Activité modérée de la psukhê dans de nombreux domaines comme

les arts ou la politique. Etat 3 Bile noire très abondante et très chaude

Importante activité des fonctions de la psukhê

Emportement, sujets prompts à suivre les impulsions de leur thumos. Altération de la

perception qui se porte sur les faits à venir (divination).

de la plupart des gens, le sujet qui a un petit plus de bile noire sort déjà de l’ordinaire (περιττός) par rapport à la masse des autres individus et, enfin, ceux qui ont ce mélange tout à fait en excès (κατακοπής) sont mélancoliques (μελαγχολικοὶ)757.

Il n’existe pas un portrait mais des portraits du mélancolique. La même phusis est susceptible de provoquer différents états sous l’effet des dérèglements de l’humeur. Aristote use d’ailleurs assez fréquemment de l’expression «οἱ πλεῖστοι «, « la plupart d’entre eux », ce qui atteste que tous les sujets mélancoliques ne se ressemblent pas nécessairement. Il constate ainsi « que ceux chez qui prédomine la bile noire raffolent, pour la plupart (οἱ πλεῖστοι), des jeux du sexe (λάγνοι) » tout comme il dit ailleurs que « la plupart d’entre eux sont décharnés (σκληφροὶ) et ont les veines saillantes (αἱ φλέβες ἐξέχουσιν) du fait de la trop grande quantité de souffle (pneuma) contenu dans leur corps »758. Le fait d’être plus porté au sexe que d’autres individus caractérise notamment les mélancoliques du troisième état, ceux qui présentent un excès et un échauffement important de l’humeur. L’expression «οἱ πλεῖστοι « est ici justifiée. En revanche, il est difficile de comprendre le sens de cette expression dans la phrase abordant l’aspect physique des mélancoliques : tous les sujets atrabilaires ayant un excès de souffle dans le corps759, il serait logique que tous soient maigres. Mais Aristote lui-même bute sur ce problème : « Expliquer pourquoi tous les mélancoliques ne sont pas décharnés et noirs (μέλας) mais seulement ceux qui ont trop d’humeurs malignes (οἱ μᾶλλον κακόχυμοι) est une autre question ». Cette question reste en suspens et souligne la difficulté à tracer un portrait physique fidèle du mélancolique.

Aristote fait à nouveau appel au comparateur vin, dans d’autres traités, pour souligner certains traits de la personnalité du mélancolique. Cet alcool produit des effets contraires suivant le caractère de chacun rendant les individus ou hébétés (τετυφωμένως) ou excités (μανικός)760 : ainsi, quelqu’un qui d’un habituel plutôt nonchalant sera excité sous l’effet du vin et vice versa. Aristote en vient alors aux mélancoliques et observe que « certains sujets chez qui prédomine la bile noire sont complètement abattus (ἐκλύω) dans l’ivresse »761. Cela signifie alors que les atrabilaires sont plutôt perçus comme des individus énergiques voire agités. Aristote prend cependant soin de préciser que cela ne concerne que certains mélancoliques, description qui correspondrait en effet plus spécifiquement au troisième

757 C’est la première fois dans le texte que le terme semble désigner un type de personnalité : le mélancolique. 758 Le texte du Sommeil et de la veille donne une explication qui rejoint celle-ci: si les mélancoliques sont

décharnés, c’est l’effet de la bile noire qui, naturellement froide, refroidit le siège de la nutrition et les autres parties du corps. Arist, Som ve, III, 457 a 29.

759 Le souffle est une des propriétés de la bile noire, qui dit excès de bile dit aussi excès de souffle. 760 Dans ce contexte, la mania se rapporte à un comportement d’extrême agitation.

ἦθος762, c’est-à-dire aux sujets de type maniaque. Comme nous allons le voir, cet état atrabilaire est celui auquel Aristote fait le plus souvent référence dans ces traités, comme s’il était celui qui caractérisait le mieux la personnalité mélancolique. Cet état mélancolique de type « maniaque » est dû à un excès et à un fort échauffement de la bile noire dans le corps, augmentation de la température corporelle qui entraîne une accélération des activités de la psukhê et, de fait, une altération de la perception.

Dans un autre passage des Problèmes, Aristote se demande: « Pourquoi les bègues (ἰσχνοφωνία) sont-ils mélancoliques763 ?», interrogation qui rappelle notamment un des Aphorismes hippocratiques où un lien est effectué entre le bégaiement et la mania764 et qui, correspond aussi à la théorie d’Aristote. La question du lien entre la mélancolie et le bégaiement est intéressante car elle évoque l’influence que les dérèglements de la bile noire peuvent avoir sur les sens et sur certaines fonctions, comme le langage, qui constituent un bon indicateur de l’état de la psukhê. Le mélancolique serait donc un individu qui éprouverait certaines difficultés à s’exprimer ou à maîtriser son débit de paroles. Pour Aristote, cela est dû au fait que l’atrabilaire a tendance à suivre tout de suite (ἀκολουθέω) ce que lui suggère son imagination (φαντασία) : « car chez eux le désir (ὁρμάω) de parler précède la possibilité de le faire, parce que la psukhê sait trop vite ce qui lui paraît (φαίνω) à faire »765. Le verbe ὁρμάω souligne ici l’excitation dont font preuve ces individus, prompts à suivre leur thumos, traits qui correspondent en effet à une personnalité mélancolique de type maniaque comme l’ont précédemment mis en évidence les Hippocratiques. Le bégaiement naît, non de la volonté, mais de l’impossibilité pour l’individu de mettre en parole la succession trop rapide d’images ou d’idées que lui soumet sa psukhê. Les mêmes mécanismes physiologiques seraient à l’œuvre s’agissant des bègues et des mélancoliques ce qui explique le rapprochement effectué par le biologiste. Le verbe φαίνω, qui qualifie ici l’action de la psukhê et qui signifie « faire paraître, rendre visible » et « annoncer, présager », suggère l’existence d’un lien entre le mélancolique et la mantique. Comme nous le verrons plus loin, si la tendance du mélancolique à suivre les phantasiai le rend irraisonné, il est en revanche plus intuitif et plus apte à saisir le futur, d’où le rapport effectué, dans le Problème XXX766 entre cet d’état

mélancolique de type « maniaque » et les Sibylles, les devins et tous les entheoi.

762 Voir le tableau des hêthê.

763 Arist, Pb, XI, 38, 903b. P.LOUIS traduit melangkolikoi par « nerveux » ce qui, au terme de la lecture de cet

extrait, est en effet bien pensé.

764 Voir le chapitre consacré à la mania hippocratique. 765 Arist, Pb, XI, 38, 903 b.

C’est encore à l’état mélancolique de type maniaque qu’Aristote fait référence lorsqu’il affirme que les varices (ἰξία) sont bénéfiques (ὠφελέω) contre les affections de la bile noire (τὰ μελαγχολικὰ)767 : le déplacement de souffle qui nécessite leur formation suppose un refroidissement qui permet en effet d’atténuer et de modérer la chaleur emmagasinée par l’organisme. L’apparition d’une varice peut, par conséquent, constituer le signe d’un apaisement voire d’une guérison à venir768. Un rapport est également établit entre les varices et l’activité sexuelle des mélancoliques. Les hommes qui présentent cette phusis sont, pleins de souffle et, de fait, portés aux ἀφροδίσια769 : le sperme étant une sortie de souffle, faire

l’amour, dans le cas où l’acte sexuel s’accompagne d’une éjaculation, leur permet de se débarrasser d’un excès de pneuma. En revanche, si la poussée de souffle nécessaire à l’acte sexuel passe par l’emplacement d’une varice, celle-ci contribue à diminuer la rigidité de la verge car elle refroidit le sperme et, de fait, empêche son évacuation770. Dans les deux cas, ces éléments sont favorables contre les affections de la bile noire : le souffle emmagasiné dans son corps est évacué soit par l’éjaculation, soit par le gonflement de la varice qui est cependant à l’origine de l’impossible sortie du sperme.

3.1.4-Sommeil, rêves et mélancolie.

Le pneuma est un élément fondamental et ses mouvements, qui sont aussi ceux de la bile noire, ont une influence sur le sommeil des atrabilaires qui dorment peu ou mal771. Pour le biologiste, le sommeil est lié au processus nutritif et digestif ce qui explique que beaucoup de personnes éprouvent le désir de dormir ou de s’assoupir après le repas : « c’est que le sommeil se produit (…) quand la masse solide est portée par la chaleur, à travers des vaisseaux, jusqu’à la tête. Mais quand la masse ne peut plus monter, mais devient trop considérable, elle est repoussée en sens inverse et coule en bas. C’est pourquoi les hommes (…) se laissent tomber quand la chaleur qui soulevait est soustraite, et cette chute fait perdre connaissance et engendre ensuite le règne de l’imagination »772. Dès que la nourriture est ingurgitée, elle est stockée dans des lieux spécifiques puis, mêlée au sang, elle est évaporée

767 Arist, Pb, IV, 20, 878 b

768 La même idée est contenue dans le Corpus hippocratique à ceci près que, comme nous l’avons montré, ces

varices sont, pour les médecins hippocratiques, le signe d’un déplacement voire d’une évacuation de l’humeur garantissant, dans une certaine mesure, un retour proche à une certaine isonomia humorale.

769 Arist, Pb, IV, 30, 880 a 30.

770 Arist, Pb, IV, 20, 878 b. C’est d’ailleurs ce qui explique, selon le biologiste, que les individus qui ont des

varices éprouvent des difficultés à engendrer.

771 Arist, Som ve, 457 a. Arist, Pb, III, 25; Arist, Pb, 917 a ; Arist, Rêves, 461 a 22. 772 Arist, Som ve, 457b.

dans les vaisseaux773 pour se porter jusqu’à la tête où, après s’être condensée, elle retombe, froide, vers les parties basses du corps. Deux conditions essentielles sont nécessaires à l’endormissement : l’humidité et la chaleur774, mais s’il manque l’une des deux, il est difficile voire impossible de s’endormir, or, chez les individus au tempérament mélancolique, l’humidité est nulle ou faible775. Aristote parle ici de la constitution mélancolique de base, c’est-à-dire, naturellement froide, et non de l’état de type maniaque dont il a souvent été question jusqu’à présent. Le mélancolique est insomniaque car la froideur de son organisme refroidit et assèche l’humide nécessaire au sommeil776, mais, ce faisant, la bile noire rafraîchit aussi le siège de la nutrition ce qui explique aussi pourquoi les mélancoliques sont voraces (βρωτικός) et décharnés (σκληφρός) : « leur corps est comme s’il n’absorbait rien »777.

Si les mélancoliques dorment peu, cela ne les empêche pas de rêver. Selon le biologiste, « ce n’est pas par la sensation (αἰσθήσις) que nous sentons le rêve «(…) ni même par l’opinion (δόζα) ou l’intelligence (διάνοια)778 . Le rêve est une affection (pathos) de la sensibilité (αἰσθητικός), en tant qu’elle est douée d’imagination (φανταστικός)779. L’imagination est le mouvement (kinesis) produit par la sensation en acte, ce qui signifie qu’elle découle de cette dernière mais qu’elle se distingue cependant de la sensibilité seule780. Le rêve relève d’un certain mouvement de la psukhê et sa nature, de la vitesse de déplacement de la psukhê. Par exemple, chez les êtres très jeunes comme les enfants, après le repas, « il n’y a pas de rêves car le mouvement causé par la chaleur de la nourriture est considérable »781. La formation des rêves n’est possible que lorsque le déplacement de la psukhê, né de l’échauffement du corps782, n’est pas trop violent : « Par suite, tout comme dans un liquide, si on l’agite beaucoup, tantôt aucune image n’apparaît, tantôt il en paraît une tout à fait déformée, de sorte que l’objet se montre autre qu’il n’est, tandis que si le liquide est en repos, les images sont nettes et visibles ; de même aussi, dans le sommeil, tantôt les images et les mouvements qui naissent de la veille et qui proviennent des sensations sont tout à faits annulés, quand le mouvement dont il est question est trop considérable, tantôt les visions (ὄψις) qui se produisent (φαίνω) sont troublées (ταράσσω) et monstrueuses (τερατώδης), et les

773 Arist, Som ve, 456 774 Arist, Pb, III, 25. 775 Arist, Pb, III, 25. 776 Arist, Som ve, 457 a. 777 Arist, Som ve, 457 a. 778 Arist, Rêves, 458b 779 Arist, Rêves, 459 a.

780 Durant le sommeil et les rêves, les sens ne fonctionnent pas comme à l’état de veille. En cela, le rêve ne peut

relever de la sensibilité seule. Arist, Ame, III, 3.

781 Arist, Rêves, 461 a

rêves sont malsains (ούκ εἰρόμενα), par exemple chez les mélancoliques et ceux qui ont de la fièvre et chez ceux qui sont ivres. En effet, toutes les affections (πάθος) de ce genre, qui sont flatueuses (πνευματώδης), produisent un mouvement considérable et du trouble (ταραχή) »783. Les rêves qui naissent d’un mouvement violent de la psukhê révèlent un état troublé (ταράσσω) de la psukhê et de l’individu soumis à ses pulsions, notamment sexuelles, et à la monstruosité et à la sauvagerie de ses visions784 : ce sont notamment les rêves que font les mélancoliques, les gens ivres et les fiévreux785. Dans la mesure où la psukhê est très agitée, on peut supposer que l’auteur fait à nouveau référence aux mélancoliques de type maniaque.

Le souffle que contient la bile noire joue un rôle fondamental dans le mécanisme du sommeil et des rêves786. Dans un autre extrait des Problèmes787, le biologiste se demande «Pourquoi, s’ils commencent à lire, les uns succombent au sommeil, même contre leur volonté, alors que les autres qui voudraient dormir en sont incapables lorsqu’ils prennent un livre ? ». Si le problème initial est clairement posé, la suite est plus obscure : « est-ce qu’il s’agit là de gens chez qui se produisent des mouvements du souffle, en raison d’une froideur due à leur nature ou des humeurs atrabilaires par lesquelles se forme un résidu gazeux dont la coction ne s’effectue pas à cause du froid ? »788. Aristote met en rapport la phusis mélancolique avec le froid et le souffle et fait donc vraisemblablement référence à ceux qui éprouvent des difficultés à dormir. Il poursuit son exposé en précisant que « Chez ces gens-là, la pensée (dianoia), quand elle se met en mouvement (κινέω), et qu’elle ne réfléchit pas en s’arrêtant sur un sujet, est déviée par l’autre mouvement qui exerce une action rafraîchissante. C’est pourquoi ils ont plutôt tendance à dormir »789. Cette réflexion paraît presque s’opposer à la précédente. Le froid, notamment celui de la bile noire, rend l’endormissement et le sommeil sinon impossible, très difficile790. Ici, en revanche, l’action

783 Arist, Rêves, 461 a

784 Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote rappelle que le mélancolique vit dans un perpétuel état d’irritation

(daknô) dû à son tempérament de telle sorte qu’il est toujours en proie à un désir violent : sa recherche excessive du plaisir et notamment du désir corporel, fait de lui un homme licencieux (akolatos) et négligent (phaulos). Les pulsions sexuelles du mélancolique qui, dans le Problème IV, 30, 880 sont expliquées d’un point de vue biologique et objectif, sont dans l’Ethique à Nicomaque rendues d’un point de vue moral et apparaissent peu compatibles avec les valeurs morales aristotéliciennes. Le mélancolique est présenté comme un débauché, incapable de maîtriser ses pulsions.

785 On trouve ici encore le rapport entre la mélancolie et le vin. L’état fiévreux, notamment quand il

s’accompagne de délire, donne des visions et des hallucinations comme les dérèglements de la bile noire ou l’alcool.

786 Ce passage rappelle beaucoup le quatrième livre du Régime. Ce traité des Histoires naturelles fait également

une digression sur les miroirs et la netteté des images (459 b) qui n’est pas sans rappeler le Timée de Platon (71 b), œuvre dans laquelle la surface du foie est assimilée à un miroir. Voir aussi la deuxième partie de cette étude.

787 Arist, Pb, XV, III, 916 b et 917 788 Arist, Pb, XV, III, 917

789 Arist, Pb, XV, III, 916b.

rafraîchissante du pneuma semble favorable au sommeil. Comment expliquer un tel changement apparent de discours ? Il poursuit son explication en rapportant que «Lorsqu’au contraire, on a, dans la réflexion (dianoia), l’attention fixée sur quelque objet, ce qui se produit dans la lecture, on est agité par le mouvement échauffant qui n’est dévié par rien, si bien qu’on ne peut pas dormir ». Il n’y a donc probablement pas de contradiction si l’on prend en considération le rôle joué par le livre : il est un objet qui symbolise une opération intellectuelle, un objet sur lequel l’individu fixe sa concentration à un moment donné. Comprendre ce qu’on lit suppose donc une certaine activité de la psukhê, une mobilisation des facultés de raisonnement et de jugement. Aristote semble ainsi établir un lien entre activité de la psukhê et insomnie et passivité de la psukhê et sommeil : «L’insomnie n’est pas due au fait de réfléchir (νοέω) mais au changement (μεταβάλλω) puisque ce qui tient éveillé, ce sont les pensées (νοήσις) dans lesquelles la psychê cherche et se pose des questions, et non celle où elle est continuellement contemplative »791. Quand la psukhê est en mouvement, elle ne dort

pas. En revanche, quand elle s’arrête, l’intellect (noos) est comme fatigué, alourdit la tête et provoque le sommeil792. Le mouvement de la psukhê de celui qui n’est pas concentré sur sa lecture est dominé par un autre mouvement, celui du souffle rafraîchissant, qui, en entraînant une baisse de l’attention intellectuelle, conduit au sommeil. En revanche, celui dont la concentration est fixée sur un objet ne verra les mouvements propres à sa psukhê déviés par un autre déplacement pneumatique, la force de celui-ci étant moindre. Ce qui signifie que si les mélancoliques sont insomniaques, c’est essentiellement dû au fait que leur psukhê est toujours en mouvement793, appliquant leur attention à mille et une choses qui entraînent un enchaînement de questions et compromet toute chance d’endormissement.

3.1.5- Le mélancolique et la mantique

Ces spécificités contribuent, entre autres, à faire du mélancolique un individu tourné