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2 Les représentations médicales des troubles de la psukhê.

2.2.1 Une mélancolie hippocratique ?

La définition la plus claire est celle des Aphorismes : « Quand la crainte (φόβος) ou la tristesse (δύσθῦμος) persistent (διατελέω) longtemps, c’est un état mélancolique (μελαγχολίκος) »449. Les signes de la mélancolie sont les émotions essentiellement négatives,

comme l’angoisse, le découragement, le chagrin, que ressent un individu et qui s’inscrivent dans une certaine durée. Le mot dusthumos est construit sur thumos qui, chez Homère, caractérise le mouvement, l’élan vital et s’ancre dans une sphère émotionnelle450. La mélancolie se présente comme à l’opposé de cette vitalité.

Son nom, μελαγχολία, désigne avant tout la bile noire qui est à l’origine du trouble. Cet emploi porte cependant parfois à confusion, désignant, suivant le contexte, tantôt l’atrabile ou la bile noire, humeur naturellement présente dans le corps, tantôt le trouble mélancolique causée par celle-ci, ou bien encore les accidents atrabilaires dus au mauvais déplacement de l’humeur dans le corps. Présenté ainsi, il n’y a pas une mais des mélancolies ou, pour être plus précis, des affections de la bile noire. Lorsqu’elle n’est pas un tempérament naturel de l’individu, la mélancolie est considérée, au même titre que la péripneumonie ou l’épilepsie, comme une maladie, non mortelle cependant mais susceptible en revanche de laisser des lésions permanentes telles que des paralysies, une impuissance de la voix.451. Quelques passages du Corpus Hippocratique emploient le pluriel « μελαγχολίκα νοσήματα »452 attestant ainsi de l’existence de différentes affections de la bile noire, telles que les lèpres et les lichens par exemple453.

Les causes physiologiques de la maladie, une phusis bilieuse, se doublent également parfois de causes externes, liées au mode de vie qu’il s’agisse du régime alimentaire, du climat ou de l’exposition de la polis dans laquelle vit le patient. Un temps automnal454 ou étésien455, froid et sec, sans pluie, est ainsi défavorable aux sujets bilieux car il dessèche leur corps créant « des ophtalmies sèches, des fièvres tant aiguës que de longue durée, et, chez

449 Hipp, Aph, VI, 23 450 Voir le chapitre 1. 451 Hipp, Mal, I, 3 452 Hipp, Ep, II, 5, 1

453 Hipp, Prorrh, II, 43. Le lichen est une dermatose c'est-à-dire une maladie de la peau. 454 Voir aussi Hipp, Ep, VI, I, 11 et Hipp, Aph, III, 22

quelques uns même, des affections mélancoliques (μελαγχολικός) »456. Les mécanismes physiologiques sont les suivants : « La partie la plus humide et la plus aqueuse de la bile se dissipe, la plus épaisse et la plus âcre reste ; il en est de même pour le sang, et c’est ce qui engendre les maladies chez les sujets bilieux »457. Un tel climat dessèche les constitutions en leur ôtant l’humeur nécessaire à l’équilibre physiologique, mais, en revanche, il est favorable aux phlegmatiques qui ont naturellement trop de pituite. Affections de la bile noire, maladies mélancoliques, mélancolie… Qu’est ce qui distingue la mélancolie des autres affections de l’atrabile et quelle place a-t-elle dans une étude sur les affections de la psukhê ?

2.2.2-La mélancolie et les rapports à la perception

Angoisse, chagrin, peur : la mélancolie s’inscrit dans le domaine émotionnel et intellectuel. Elle est une déformation du monde réel que l’individu tend à percevoir négativement en entretenant des pensées et des émotions désagréables et souvent désespérées. Elle atteint donc l’intelligence en tant que trouble de la perception et désordre de la pensée. Le médecin des Epidémies établit un parallèle étonnant avec l’épilepsie. A priori, les deux affections ont peu de points communs, pourtant, pour le médecin, ces pathologies se changent souvent l’une en l’autre : « Les mélancoliques deviennent d’ordinaires épileptiques, et les épileptiques mélancoliques »458. Il précise cependant que « de ces deux états, ce qui détermine l’un de préférence, c’est la direction) que prend la maladie; si elle se porte sur le corps (sôma), épilepsie, si sur l’intelligence (dianoia), mélancolie ». Il existe une véritable problématique mélancolique. Ce rapprochement est très surprenant, l’épilepsie459 étant causée par un flux de phlegme et, la mélancolie, par les déplacements de la bile. Dans le cas de la mélancolie, celle-ci naît donc d’une fluxion qui se porterait sur la dianoia, terme construit sur noos et qui a pour sens « l’intelligence, l’esprit, en tant qu’il perçoit et qu’il pense » et désigne, avec le préverbe –dia, « la pensée, l’intention ». Le verbe διανοέομαι exprime en effet l’idée « d’avoir dans l’idée, d’avoir l’intention de ». Il fait donc référence à la faculté de réfléchir et de comprendre mais il désigne surtout l’aboutissement de la pensée en tant que celle-ci donne lieu à une intention, un projet ou une décision de la part de l’individu. Dans l’épilepsie, dans laquelle la raison est également troublée, la corruption de l’humeur a essentiellement des incidences somatiques, c’est-à-dire que les principaux symptômes de

456 Hipp, Aph, III, 14 et Hipp, AEL, 10 457 Hipp, AEL, 10

458 Hipp, Ep, VI, 8, 31

l’affection sont surtout perceptibles au niveau du sôma de l’individu, par les troubles du comportement qu’il révèle tels que les chutes, les convulsions. Dans la mélancolie, la fluxion se porte sur la dianoia, expression qu’il faut donc interpréter non comme une corruption de l’intelligence mais, plus spécifiquement, comme une altération de l’intention ou du désir. Le patient mélancolique est donc capable d’un raisonnement qui est néanmoins altéré car il est privé de sa capacité d’intention, de sa volonté à décider, à mener à bien un projet. On retrouve ici la notion de découragement et de perte de vitalité contenue dans le terme dusthumia employé précédemment460. Alors que l’épileptique éprouve des pertes de conscience au cours de ses crises, à l’inverse, le mélancolique a peut-être en excès cette conscience de lui-même qui le porte aux angoisses les plus profondes. Terrorisé face à la vie, surmontant avec peine les différents obstacles qui la jalonnent, le mélancolique s’inscrit ainsi dans une certaine passivité. Difficile cependant de faire le lien avec l’épileptique qui, face au mélancolique nonchalant et abattu, est en proie à une agitation corporelle des plus extrême. On peut cependant supposer que l’accès de grand mal passé, l’épileptique connaît une phase de profonde fatigue du fait de l’importante dépense d’énergie que lui a valu une telle crise. C’est l’image que donne la tragédie et notamment l’épisode de fureur mortelle déployée par Héraclès contre sa famille461. Si l’on peut comprendre que l’épileptique se rapproche du tempérament mélancolique suite à une crise, la comparaison inverse est plus complexe à saisir, notamment quand deux humeurs différentes sont en cause.

2.2.3-Des confusions pathologiques ?

Un passage des Aphorismes peut cependant aider à faire la lumière sur cette question : « Dans les maladies mélancoliques, les déplacements (de l’atrabile) (ἀποσκηψις) indiquent des maladies de ce genre : l’apoplexie (ἀποπληξία), le spasme (σπασμός), la folie (μανία), la cécité (τυφλός) »462. Si la nature de l’humeur n’est pas précisée, c’est a priori la bile qui est en cause ici. Ses mauvais déplacements dans le corps seraient ainsi à l’origine d’une phase pathologique que les Hippocratiques nomment la crisis463 dont une des caractéristiques est notamment la transformation d’une maladie en une autre maladie. La mania, comme la mélancolie, est causée par la bile. La même humeur est donc à l’origine de symptomatologies

460 Hipp, Aph, VI, 23

461 Voir la deuxième partie de cette étude consacrée à la tragédie. 462 Hipp, Aph, VI, 56

463 Hipp, Aff, 8 : « Une crise (krinesthai) dans les maladies, c’est ou une exacerbation, ou un affaiblissement, ou

tout à fait opposées, la mania se caractérisant notamment par une agitation comportementale très intense, très proche des signes épileptiques également464. L’apoplexie est aussi une affection causée par la bile noire465 ce qui la rapproche très clairement de la mélancolie et de la mania. Elle est causée, comme l’épilepsie, par une fluxion depuis le cerveau et présente également certains symptômes similaires à ceux du grand mal466 : comme pour la maladie sacrée, la circulation de l’air en modifiée467 si bien que le patient éprouve des accidents tels qu’un dérangement de l’intelligence, des spasmes au niveau de la tête, des convulsions sur l’ensemble du corps, de la suffocation et de l’aphonie468. Là encore, il s’agit d’une affection qui provoque une forte dépense d’énergie du fait du caractère convulsif de cette pathologie. Tous ces exemples attestent que des liens étroits existent entre la mania, l’apoplexie et la mélancolie et l’épilepsie :

Points communs Affections

Rapprochement « humoral » : la bile Mania, mélancolie, apoplexie

Rapprochement de la symptomatologie Epilepsie, mania, apoplexie

La mélancolie, et notamment les transports atrabilaires qui la causent, est susceptible de donner lieu à deux affections : la mania et l’apoplexie. Ce faisant, l’individu passerait ainsi d’un état d’adynamie caractérisé par de la tristesse à un comportement d’agitation exacerbée, voire de fureur avec perte de connaissance. Si on ajoute à cela, ses changements possibles en une affection épileptique et vice-versa, de tels revirements sont véritablement étonnants. C’est peut-être la raison pour laquelle Aristote a identifié comme mélancolique le comportement meurtrier de héros comme Héraclès ou Ajax469 alors que la tragédie les décrit comme maniaques avec des symptômes cependant similaires à ceux de l’épilepsie470. Ces revirements pathologiques ne sont pas systématiques mais ils suscitent des interrogations compte tenu de leurs aspects extêmes, état de calme et agitation intense. Cet état tout à fait spécifique rappelle les symptômes de la psychose maniaco-dépressive dans la psychiatrie contemporaine. Comme

464 Voir le chapitre (3.4) consacré à la mania. 465 Hipp, Mal, II, 6

466 Hipp, Glandes, 12

467 Hipp, Anc med, 22 et Hipp, Vents, 13 468 Hipp, Glandes, 12

469 Arist, Pb, XXX, 1.

son nom l’indique la maniaco-dépression est un trouble bipolaire qui se caractérise par des accès de manie (excitation) et de mélancolie (épisode dépressif) parfois isolés, parfois associés. La psychiatrie établit une symptomatique très stricte pour ces deux affections, signes spécifiques qu’il est bien évidemment impossible de retrouver dans leur totalité dans les descriptions de la mania et de la mélancolie qu’offre la littérature médicale, tragique ou philosophique mais de tels rapprochements pathologiques attestent néanmoins de la vraisemblance de la coexistence de pathologies à la symptomatologie opposée.

Il est probable que certaines confusions s’opèrent chez les médecins. L’apoplexie et l’épilepsie peuvent être ainsi aisément confondues, la suffocation hystérique, bien que strictement féminine présente également des symptômes très proches de l’apoplexie et de l’épilepsie ; de même la mania et l’épilepsie sont très proches notamment du fait de l’agitation corporelle qui les caractérise. La mélancolie peut apparaître comme un cas isolé, pourtant un passage de Maladie Sacrée, traitant donc de l’épilepsie, présente deux types possibles d’individus maniaques, les uns plutôt tranquilles et les autres criards et malfaisants471. Le premier type ressemble étrangement au tempérament mélancolique tandis que le deuxième type rappelle les épileptiques. Malgré des symptomatologies opposées, ces deux types de tempérament sont qualifiés de maniaques. Ces considérations qui posent le problème de la notion de mania montre que des rapprochements, voire des confusions, entre les pathologies sont tout à fait vraisemblables. C’est d’ailleurs ce qu’atteste cet exemple : « Les individus bègues

(τραυλός), parlant vite (ταχύγλωσσος), mélancoliques (μελαγχολίκος), bilieux (κατακορής), ayant le regard fixe (ἀσκαρδαμύσσω), sont emportés (ὀζύθυμος) »472. Le terme μελαγχολία désigne parfois l’humeur en cause dans la maladie, parfois l’affection mélancolique elle-même. Dans ce cas précis, il s’agirait plus spécifiquement de l’atrabile que du tempérament mélancolique ainsi que l’atteste l’emploi du terme κατακορής qui, se rapportant à la bile noire, fait référence à la forte concentration de l’humeur dans le corps. Les médecins accordent extrêmement d’importance aux différents signes que fournissent des sens comme la vue, ou des fonctions comme le langage. Le bégaiement, le débit rapide des paroles, la fixité du regard sont autant de signes de troubles de la perception qui rappellent certains symptômes propres à la mania voire à l’épilepsie473, qui sont pourtant loin de ressembler aux signes de l’état mélancolique. La mania présente en effet des troubles oculaires, comme la cécité partielle et temporaires, qui sont aussi des accidents provoqués par les déplacements de l’atrabile en général. Mais le

471 Voir le chapitre (3.4) de cette partie consacré à la mania. 472 Hipp, Ep, II, 6, 8

mélancolique est rarement emporté comme le définit le terme ὀζύθυμος et il est fort à croire que cet extrait des Epidémies ne décrit pas un tempérament mélancolique mais un tempérament maniaque474. Si une confusion s’opère entre ces deux affections qui naissent de

l’atrabile, le rapport au thumos qui est souvent établi semble déterminant pour les distinguer.

2.2.4-Athymie, euthymie, dusthymie, mélancolie

Le terme ozusthumos employé dans le passage précédent peut en effet être rapproché de dusthumia utilisé pour définir le tempérament mélancolique475. Les deux mots sont issus du terme thumos pour lequel on a précédemment souligné ses liens avec le désir, la volonté ou l’intention. Si l’état de dusthumia correspond à une certaine affliction du fait d’un manque de volonté ou de désir, celui d’ozusthumos caractérise un sentiment exacerbé qui est proche de celui de la colère ou de l’emportement. Dans la littérature homérique, le thumos est considérée comme un principe vital en l’homme, « l’âme-sang », auquel on attribue des facultés intellectuelles et émotionnelles et qui intervient dans la prise de certaines décisions476. Le terme a donné, en psychiatrie contemporaine, la notion de thymie qui est utilisée pour désigner les perturbations de l’humeur. La bile noire, qui est aussi une humeur au sens ancien du terme, a aussi des effets sur le caractère du patient et détermine, d’une certaine manière, son état d’être. Cette idée est d’ailleurs largement développée par Aristote qui compare notamment ses effets à celui du vin477.

Le Corpus Hippocratique fait quelques observations sur le thumos : « Quant à ce qui vient du thumos, le voici : l’état d’excitation du thumos rétracte le cœur et les poumons sur eux-mêmes et attire vers la tête le chaud et le froid ; quant à l’euthymie, au contraire, elle relâche le cœur (…)»478. Le thumos est lié au coeur, rapprochement qui était déjà effectué à l’époque archaïque. On peut cependant considérer, avec J.Pigeaud, que le thumos reste « un lieu assez indéterminé, imprécis, de la coenesthésie, de l’écho des émotions, des passions, du se-sentir soi-même»479. Le passage de Maladie des Jeunes filles témoigne en effet des difficultés de représentation et de localisation du thumos. Certaines jeunes filles en âge de se

474 La mania est aussi provoquée par la bile noire. Voir Hipp, Ep, V, 2 : « A Elis, Timocrate est pris de manie par

l’effet de la bile noire… »

475 Hipp, Aph, VI, 23 476 Voir chapitre 1. 477 Ps-Aristote, Pb, XXX. 478 Hipp, Ep, VI, 5

marier mais n’ayant pas de rapports sexuels sont soudainement prises d’un accès maniaque480 et sont en proie à de profondes terreurs qui leur donnent envie de se pendre car « le sens intime (thumos) troublé et dans l’angoisse à cause de la perversion du sang, se pervertit à son tour »481. Le thumos a donc un lien avec le sang et, lorsque celui-ci est troublé, le thumos l’est à son tour. Or le sang est un principal vital parfois considéré comme le siège de la psukhê. Le thumos est en cela un principe abstrait qui représente la connaissance intime de soi, la perception de soi-même et de son propre état d’être. Il est le symbole de la volonté et du désir ; perverti il ne peut qu’insuffler le dégoût ou le découragement. En retrouve dans cette conception hippocratique, certaines croyances homériques qui se déclinent sur des notions comme la dysthymie, l’oxythymie, l’euthymie qui précisent l’état propre à ce thumos.

2.2.5 –Les déplacements atrabilaires

Quel que soit le nom donné à la maladie causée par la bile noire, pour les médecins, cette humeur joue un rôle important sur les fonctions liées à la connaissance. Un passage du traité de Prorrhétique identifie en effet « les délires (παρακρούω) devenant hardis (θράσος)»482 comme d’origine atrabilaire tandis que le médecin des Prénotions Coaques estime que « dans les fièvres ardentes (καυσόω)483, des bourdonnements (ἦχος) survenant avec des éblouissements (ἀμβλυώσσω) et une pesanteur dans les narines, les malades sont pris d’un transport atrabilaire (…)»484. Il s’agit plus exactement, selon le sens du verbe ἀμβλυώσσω, d’une faiblesse de la vue que d’un éblouissement, associé aux bourdonnements des oreilles, ces signes marquent un trouble du fonctionnement sensoriel et, par suite, d’un dysfonctionnement partiel et temporaire de la connaissance, signes tout à fait spécifiques et fréquents de la symptomatologie maniaque et mélancolique. Dans le même ordre d’idée, on lit que si « subitement, la langue devient impuissante (…), c’est signe d’atrabile » mais le praticien ajoute également « ou quelques autre partie (du corps) paralysée (ἀποπλήσσω) »485 rappelant ainsi que les méfaits de l’humeur noire ne sont pas spécifique à la partie haute du corps mais s’expriment dans une totalité somatique. Autant la bile peut provoquer une paralysie de certaines parties corporelles, autant, il arrive que les malades soient pris de

480 Voir le chapitre consacré à la mania. 481 Hipp, Mal JF, 1

482 Hipp, Prorrh, I, 123

483 Selon les médecins, la fièvre quarte, l’une des plus persistante et dure à soigner, serait due à la bile noire.

Hipp, Nat ho, 15

484 Hipp, Coa, 128 485 Hipp, Aph, V, 40

tremblements, signes qui ne peut qu’affecter dangereusement leur état486. Les transports atrabilaires causent de nombreux désordres intellectuels, émotionnels et comportementaux. La bile a aussi des effets opposés : nonchalance et abattement pour certains, excitation extrême pour d’autres. Dans tous les cas, il faut détruite l’humeur corruptrice pour résoudre le mal.

2.2.6- Les remèdes

Il n’existe pas, semble t-il, de remèdes spécifiques à l’état mélancolique. Les quelques passages qui abordent le problème des traitements des mélancoliques mettent en avant une thérapeutique globale, adaptée aux maladies atrabilaires en général.

Les médecins usent de médicaments purifiants (ἀποκαθαίρω) et, plus spécifiquement, de remèdes qui purgent la bile noire (μέλαινα χολή)487. Il s’agit de nettoyer, de purifier l’intérieur du corps aux moyens d’évacuants, certains agissant par le bas, d’autres par le haut. Un médecin rapporte ainsi qu’ « Adimante le mélancolique vomit (ἐμέω) des matières noires tantôt à l’aide d’une forte dose de πέπλιον; tantôt à l’aide d’oignons »488. Le terme πέπλιον a été identifié à une espèce d’euphorbe, qui pourrait être l’Euphorbia Lathyris, dite épurge, originaire du sud de l’Europe. C’est une plante toxique qui provoque, en cas d’ingestion, des brûlures des muqueuses de la bouche et de l’œsophage ainsi que des douleurs d’estomac pouvant entraîner des vomissements. Ses graines étaient notamment utilisées comme purgatif assez violent. Pour l’oignon, il n’est sans doute pas question ici du bulbe, très consommé de nos jours, mais plus exactement, de sa tige qui peut être un poison. Les Aphorismes conseillent également de « purger fortement par le bas les mélancoliques »489 sans préciser pour autant les remèdes employés pour se faire. On peut imaginer qu’il s’agit encore une fois de décoction de plantes. De tels remèdes sont aussi ceux qui sont employés pour l’état maniaque dans lequel la bile est aussi en cause.

La mélancolie désigne aussi bien les déplacements de la bile noire dans le corps qu’un tempérament triste et abattu. Si les médecins ont clairement identifié cet état de découragement prolongé qui caractérise certaines personnes, ils établissent cependant des rapprochements très étonnants avec des affections qui présentent une symptomatologie générale pourtant opposée comme la mania, l’apoplexie ou l’épilepsie. Plus qu’un rapport à