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1. Introduction: la science, la nature et le droit A. La science et la nature

Un bec de canard, une fourrure, des pattes palmées et une queue plate: la nature aurait-elle l'esprit taquin? L'ornithorynque est en tout cas l'un de ses canulars les plus réussis, et l'animaI semble conçu tout spécialement pour se rire des petites classifications académiques des naturalistes. Gar-dons-nous cependant de nous moquer de ces savants embarrassés par le triomphe de l'insolite. Alors que nous nous pensions maîtres de la rationa-lité, et tandis que nous expliquions à nos étudiants comment bien distinguer le contrat du délit, voilà que le Tribunal fédéraI nous a concocté l' ornitho-rynque juridique qui manquait à notre science: avec la responsabilité fon-dée SUI la confiance l , il nous présente un animal étrange, mâtiné de respon-sabilité délictuelle2, proche cependant du contratl , comprenant la culpa in contrahendo4 et qui pourrait bien finalement accoucher d'une

responsabi-• Professeur aux Universités de Neuchâtel et de Lausanne.

1 Mentionnée par le Tribunal fédéral comme un chef de responsabilité autonome dans le. arrêts publiés in: ATF 120 Il 331 (arrêt Swissair), ATF 121 III 350 (arrêt Grossen):

ATF 124 111297 (arrêt Musikvertrieb); SJ 19991 117; SJ 19991205; SJ 2000 1 533; SJ 20001 549.

2 Dans la mesure où de nombreux auteurs plaident pour l'existence d'une responsabilité délictueJJe basée sur l'art. 2 CC: REy, Haftplflichtrecht,n'720, 734-752; ENGEL, Traité, p. 450; KELLER, Treu und Glauben, pp. 136 ss; SCHWENZER, Obligatinncnn:chl, ch. 52.03.

Cette conception est clairement exclue par le Tribunal fédéral in ATF 124111 297, cons. C (Musi/cvertrieb); 121111350 cnns. b (Grossen); 10811305, cons. 2b.

l WALTER, Vertrauenshaftung, p. 295; MOSER, Haftung, pp. 6 ss; GAucHiSCHLUEP/REy, nO 982 m; MORIN, Responsabilité, pp. 161, 171. Pour une même approche concernant la cu/pa in con/rahendo, voir VON TUHR, Obligationenrecht, par. 24, p. 193.

4 ATF 121 III 350 (Grossen), cons. 5a; CHAPPUIS C., Confiance, pp. 195, 168; ZK·

BAUMANN, ad Art. 2 n' 108.

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lité quasi-contractuelleS. Après tout, l'expression de "responsabilité sui ge-neris" que l'on voit fleurir sous la plume des auteurs est-elle autre chose que l'aveu d'une faillite conceptuelle6?

B. La nature et le droit

L'erreur serait évidenunent de nier que l'animal existe, sous prétexte qu'il ne rentre pas dans nos classifications traditionnelles. L'animal est bien vi-vant et il se moque de notre embarras. Notre position n'est cependant pas aussi catastrophique que celle des naturalistes qui ne peuvent que s'incliner devant l'incontournable réalité. Les réalités conceptuelles sont moins in-contestables que les réalités naturelles, et l'article 1 al. 3 CC nous offre un minuscule espace de contestation (et de proposition), dans lequel s'inscri-ront nos remarques.

II. De la confiance dans la galaxie contractuelle A. Le débordement du contrat

Une première réalité devant laquelle il serait absurde de ne pas s'incliner est que le contrat, phénomène social autant que juridique, déborde naturel-lement du cadre trop étroit borné par sa conclusion, sa résiliation, et les parties contractantes. Dans ses notes et carnets, Michel VILLEY en faisait le constat:

Le calcul du juste est devenu d'une complexité incroyable ( ... ). Car au moindre acte juridique tous les hommes sont intéressés; les liens juridi-ques de tous 'forment un tissu solidaire'. Il faut apprendre à se dégager de l'abstraction qui ne considére dans un contrat que les deux 'parties' soi-disant en cause. D'autres intérêts doivent entrer dans notre calcuF.

S HIRSCH, Confiance.

6 Elle implique en tout cas l'abandon des enseignements classiques: "Omnis enim obligatio vel ex contractu D8SCitur vcl ex delicto" (Gaius, Institutiones. 3,88).

7 VILLEY, n' 90, p. 25. Cette réflexion s'impose d'autant plus en droit suisse que le principe de la relativité des contrats ne fait pas l'objet d'une règle expresse du Code des obligations, qui serait le pendant de l'art. 1165

ccrr.

UN ORNITHORYNQUE JURIDIQUE 165

B. Y a-t-il une vie avant le contrat?

Ce débordement du contrat est en premier lieu temporel: la conclusion du contrat est précédée de négociàtions qui peuvent être longues, parfois do-cumentées, souvent coûteuses, et qui par conséquent ne peuvent laisser le droit insensible. La responsabilité précontractuelle prend ses racines dans la loi avec en particulier les articles 26 et 39 COs. Il faut bien admettre cependant que sans les talents de jardinier du Tribunal fédéral, ces racines n'auraient pas suffi à faire fleurir la jolie plante conceptuelle qu'est la res-ponsabilité pré-contractuelle. Sa nature juridique reste équivoque aux yeux du théoricien9, mais son existence comme chef de responsabilité, et son régime juridique, sont suffisamment bien établis pour satisfaire le praticien 10.

C. Y a-t-il une vie après le contrat?

Si le contrat déploie des effets avant sa conclusion déjà, il continue à en déployer après sa résolution, ou son invalidation. La fin du contrat change la nature du débat: de la question de l'exécution du contrat, on passe à celle de sa liquidation.

En cas de résolution, la nature des prétentions en restitution des presta-tions effectuées sur la base du contrat est parfois qualifiée de contractuellell .

Là encore, ces prétentions trouvent leurs racines dans la loi (en particulier les articles 109 et 208 CO en cas de résolution du contrat) et leur qualifica-tionjuridique par les tribunaux relève de l'interprétation de la loi plus que de la création prétorienne.

Lorsque le contrat est invalidé, ou nul de plein droit, la nature juridi-que des prétentions en restitution des prestations effectuées sous l'empire du contrat invalidé bénéficie de catégories juridiques plus claires, puisqu'il s'agit soit d'une action réelle en revendication, soit d'une action obligationnelle en enrichissement illégitime. Lorsque cette restitution concerne les deux prestations échangées dans le cadre d'un contrat

synal-8 L'article 39 CO est fréquemment cité comme un fondement légal de la responsabîlîte pré-contractuelle en droit suisse (voir par exemple CHAPPUIS

c.,

Confiance, p. 169), alors qu'on peut se demander si ce cas de responsabilité sans faute (art. 39 al. 1 CO) est vrai-ment un bon exemple de cu/pa in contrahendo.

9 Comme le reconnaît le Tribunal fédéral in: ATF \08

n

419, cons. 5.

10 Étant cependant réservée la question du droit applicable à la responsabilité délictuelle, qui résulte d'une cuuistique dont la mise en œuvre est un véritable casse~tête pour les praticiens. Voir à ce sujet HEINI, Kommentar, ad Art. 132-142.

Il Pour les tenants de ."·Umwandlungstheorie". Voîr à ce sujet GAUCH. Wirkung.

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lagmatique,l' application régulière

par

les tribunaux de l'article 82 CO à ces