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B_ Fondement de la responsabilité

C. Questions ouvertes

Alors que la jurisprudence refuse expressément le second point65 et admet implicitement le premier66, elle retient de manière claire que la responsabilité fondée sur la confiance ne relève ni de l'art. 41 CO, ni de l'art. 97 CO, mais représente un chef de responsabilité sui generis67. Cette qualification hors système pose une série de problèmes qui n'ont pas encore été résolus:

1. Le dommage réparable doit-il être défini par référence aux catégories développées en rapport avec l'art. 97 al. 1 CO, celles de l'intérêt néga-tif et posinéga-tif ou encore celle de l'intérêt à l'intégrité du patrimoine (Erhaltungsinteresse)68?

2. La faute du responsable est-elle présumée, selon le modèle de l'art. 97 al. 1 CO, ou

à

prouver par le lésé, conformément à l'art. 41 al. 1 CO?

62 MISTELI, Responsabilité, pp. 169 ss, 173 ss, 177 ss; WERRO, Liability, pp. 181 ss;

WERRO, Plâdoyer, pp. 361 ss; SCHWENZER/SCHONENBERGER, pp. 353 ss; GAucHiSWEET, pp. 117 ss; LORANDI, Haftung, pp. 19 ss.

63 Dans cc sens, l'art. 46 al. 2 de l'avant-projet de révision du droit de la responsabilité civile (cf. supra n. 47). Voir la contribution de Pierre WESSNER dans le présent ouvrage.

64 Il a été soutenu ailleurs (CHAPPUIS C., Responsabilité, pp. 92 5S; CHAPPUIS c., Bonne foi, pp. 230 58 et réf. cit.) que les règles de la bonne foi étaient susceptibles de faire naître aussi bien des devoirs relatifs [lorsqu'il existe un rapport particulier de confiance à l'égard d'une personne déterminée (cu/pa in contrahendo, responsabilité pour renseignements inexacts, etc.)] que des devoirs généraux [lorsque ce rapport lie le responsable à un nom-bre indéterminé de personnes qui mettent leur confiance en lui (état de fait de l' anêtSwissair, hypothèses semblables à la responsabilité des auteurs de prospectus, art. 752 CO)]; dans le premier cas, plus fréquent en pratique, la responsabilité est soumise à l'art. 97 al. 1 CO, dans le second, à l'art. 41 al. 1 CO. (Erhaltungsinteressel, cf. SCHWENZER, Obligalionenrecht, N 14.32;GAucHiSCHMIDIREV, N 2703, 2706; LÜCHINGER, Schadenersalz, N 344 ss.

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3. Le responsable pour le fait d'autrui bénéficie-t-il de la possibilité d'exculpation prévue par l'art. 55 al. 1 CO ou non selon l'art. 101 al. 1 C069?

4. Faut-il envisager une responsabilité personnelle de l'auxiliaire sur le modèle de la responsabilité délictuelle (concours imparfait entre les responsabilités fondées sur les art. 41 al. 1 et 55 al. 1 CO) ou le maître est-il seul responsable (art. 101 CO)? L'arrêt du géologue70, dans un obiter dictum, apporte un élément de réponse à cette question en rete-nant qu'une responsabilité personnelle de l'auxiliaire est envisagea-ble, pour autant qu'il existe entre celui-ci et le lésé une relation person-nelle étroite ou que l'auxiliaire ait donné une garantie personperson-nelle pour le succès de l'entreprise.

5. Quel est le rapport entre ce troisième chef de responsabilité et la res-ponsabilité pour acte illicite ou pour inexécution d'une obligation con-tre un même responsable? Le concours alternatif doit-il être admis11 ou la responsabilité fondée sur la confiance est-elle subsidiaire aux chefs de responsabilité traditionnels?

6. Quel est le rapport entre les différents coresponsables, entre le respon-sable classique (par exemple, le propriétaire voisin) et le responrespon-sable pour la confiance (le géologue) ou entre le cocontractant (la filiale) et le responsable pour la confiance (la société mère)? Doit-on admettre la solidarité parfaite (art. 50 CO) ou imparfaite (art. 51 CO) entre les coresponsables 12?

7. La prétention en réparation du dommage se prescrit-elle par un an, selon la règle délictuelle (art. 60 CO) ou par dix ans, selon la règle générale (art. 127 C0)13?

8. En ce qui concerne la compétence et le droit applicable à ce type de responsabilité, convient-il de retenir le rattachement contractuel (art. 112-113 et 11 7 LOIP) ou délictuel (art. 129 et 132-133 LOIP)?

69 Sous n;serve de la pn:uve de l'absence de faute hypothétique: BK-WEBER, n. 13358 ad art. 101 CO; GAucHiSCULUEP/REV, N 2864 55 et n;f. cit.

70 ATF n. p. du 28 janvier 2000, SJ 2000 J 549, 554 c. 3 •.

71 Tout comme le concours alternatif est admis entre la prétention en donunages-intérêts fondée sur l'art. 41 CO et celle fondée surl',rt. 97 CO: BK-WEBER, Vorbern. Art. 97-109, D. 106 S8 et réf. cit.

12 Sur les points 1, 4, 5 et 6, cf. CHAPPUIS C., Responsabilité, pp. 84 5., 97 (opinion nuancée, sur le point 4), 101, 103 s.

73 Sur les points 2, 3, et 7, cf. CHAPPUIS C., Bonne foi, pp. 240 s.

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N'ayant pas encore été soumises au Tribunal fédéral74, toutes ces ques-tions sont laissées ouvertes, mais se résoudraient d'elles-mêmes si les grai-nes ·de la responsabilité pour la confiance n'avait pas été semées en dehors du jardin de la responsabilité civile.

IV. Les perspectives d'avenir

L'admission d'une responsabilité sui generis fondée sur la confiance ap-porte certains changements dont la portée est difficile à évaluer et ouvre la porte à des développements théoriques nouveaux ou pennet, peut-être, de confinner des développements qui n'ont encore été qu'esquissés. Cinq thè-mes peuvent ainsi être mentionnés sous fonne d'interrogation.

1. La responsabilité fondée sur la confiance constitue-t-elle une autre manière d'envisager la cu/pa in contrahendo et, dans l'affirmative, quelles en sont les conséquences sur les règles qui la régissent 75?

2. Quel est le régime juridique désonnais applicable à la responsabilité pour renseignements inexacts? Celle-ci relevait, auparavant, de la res-ponsabilité délictuelle76, mais a été attribuée, en tant que sous-ensem-ble, à la responsabilité pour la confiance 77.

3. Cette nouvelle fonne de responsabilité offre-t-elle une piste pour ren-dre responsable l'auteur d'un avis d'expert à l'égard de tiers avec les-quels l'auteur n'était pas en rapport78?

4. La figure du contrat avec effet protecteur des tiers (ou "contrat avec effet de protection envers les tiers", Vertrag mit Schutzwirkung zugunsten Dritter)79 est-elle destinée, dans la foulée, à faire son

appa-74 La question de la prescription était posée dans l'ATF n. p. du 7 janvier 1999, 51 2000 1533,539, c. 4b, mais n'a pas été résolue, faute d'avoir été invoquée par le responsable devant J'autorité cantonale.

1S Cf. supra n. 60.

76 ATF 111/198511471 c. 2-3,JdT 19861485. Voircependant,l'ATF 1121198611 347, JdT 1987128 (res.), qui admet, dans le cas particulier, la conclusion d'un conlrat portant sur un avis d'expert concernant une lampe Gallê. Cf. les contributions de Luc THËVENOZ ct de Franz WERRO dans le présent ouvrage; MISTEU, Responsabilité, pp. 65 IS, 203 ss;

SCHONENBERGER, Haftung.

17 ATF 121/1995111350,355 c. 6c; cf. cependant, ATF 124/1998111363 c. Sb, SJ 1999 138,44.

78 Voir la contribution d'Alain HIRSCH dans le présent ouvrage. Cf. par ailleurs, MOSER, Haftung.

79 BK-WEBER, Vorb. Art. 97-109, n. 43 ss, n. 290 ss ad art. 97 CO (l'admet de manière limitée); SIEGRIST, Vertrag; MOSER, Haftung, pp. 47 ss, 86,94 ss.

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rition en droit suisse? Cette théorie signifierait que le contrat liant le géologue au maître d'ouvrage pourrait être invoqué en vue de protéger le propriétaire voisin lésé. On sent le Tribunal fédéral de plus en plus tenté!o. Sans admettre franchement l'idée, l'arrêt du géologue se borne à refuser son application au cas d'espèce!l. L'un des arrêts non pu-bliés!2 fournis par Hans Peter WALTER se montre plus favorable encore à cette théorie dont on peut sans doute prédire la réception à la pro-chaine occasion!3.

5. Le présent discours est-il déjà dépassé par l'avant-projet de révision du droit de la responsabilité civile, dont la définition large de l'illicéité pennet d'appréhender la violation des règles de la bonne foi84? Quel que soit le sort que connaîtra cet avant-projet, les questions évoquées ici méritent quelques réflexions, car, de lege ferenda, il est nécessaire de s'interroger sur le bien-fondé de la qualification comme acte illicite d'une violation des règles de la bonne foi, puis, le cas échéant de lege lata, de concrétiser celles-ci en vue de leur application dans le cadre du furur art. 46 al. 2 CO, comme de l'actuel art. 41 al. 1 CO.

V. Conclusion

Après ce bref tour d 'horizon de la jurisprudence, deux constatations s' impo-sent. Premièrement, le Tribunal fédéral conçoit clairement la responsabilité fondée sur la confiance comme une responsabilité sui generis, une troisième voie entre le contrat et le délit. En second lieu, cette qualification, ou plutôt

80 Voir la contribution de Hans Peter WALTER dans le présent ouvrage, 111.5.

81 ATF D. p. du 28 janvier 2000, SJ 2000 1 549, 555 s. c. 3b: "La proxiIllité puremenl géographique, mais non fondée sur des rapports personnels, entre les demandeurs et le maître d'ouvrage ne suffit pas pour attirerccux-là dans le champ de protection"du contrat", 82 ATF n. p. du 18 janvier 2000, c. 4, annexe 2.4, p. 229: "Certes, l'opinion a été défen-due, cn doctrine, que la responsabilité contractuelle pouvait englober le dommage subi par des tiers étrange .. au contraI (Vertrag mit Schutzwirkung zugunsten Driller) [ ... j. On est dans un cas d'application de la responsabilité fondée sur le principe de la confiance, cc qui présuppose un rapport de confiance reconnaissable entre le cocontractant et le tiers impliquê",

83 Une bonne partie de la doctrine y est favorable: voir les contributions de Ernst A.

KRAMER ct de Bruno ScHMlDLlN dans le pn\sent ouvrage. Cf. par ailleurs, BK-KRAMERI SCHMIDLlN, n. 144 ss et les n\f. cit. n. 79. Contra: SCHWENZER, Obligationenrechl, N 87.01 ss, 87.05; HONSELL, Haftpflichtrccbt, § 4 N 22; PIOTET, Débiteur; PIOTET, Res-ponsabilité, pp. 337 ss, 342 ss.

84 Art. 46 al. 2 de l'avant-projet. Cf. la contribution de Pierre WESSNER dans le présent ouvrage.

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ce refus de qualification, laisse de nombreuses questions importantes non