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responsabilité délictuelle par l'élargissement de la condition d'illicéité

1. L'approcbe voulue par les auteurs de l'Avant-projet

Dans une jurisprudence récente8, le Tribunal fédéral a consacré le principe de la responsabilité fondée sur la confiance (Vertrauenshaftung), dans le sens d'une obligation de réparer9 se situant entre la responsabilité délictue1\e

8 ATF 120 JI 331, Wibru Holding AG c. Swissair Beteiligung AG, JT 1995 1359; ATF 121 III 350, Fédération suisse de lutte amateur c. Grossen; ATF 124 III 297, Musikvertrieb AG c. Motor-Columbus AG.

9 Le sens de la responsabilité fondée sur la confiance est effectivement entendu ici dans le sens de l'obligation de réparer le dommage causé à un tiers, et non dans le sens où le comportement d'une personne fait naitre, par l'apparence créée, un lien contractuel avec une autre.

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de l'art. 41 al. 1 CO et la responsabilité contractuelle de l'art. 97 al. 1 CO.

S'inspirant d'une théorie venue d' AllemagnelO,le TF voit dans ce concept un chef de responsabilité autonome, empruntant ainsi une voie qui a été tracée depuis des décennies en matiére de cu/pa in contrahendoll • Il en li-mite pourtant l'application à des cas où, dans le cadre d'un rapport particu-lier de confiance (Sonderverbindung) non contractuel, une personne suscite chez une autre des attentes déterminées, qui sont déçues de maniére contraire à la bonne foi, au sens de l'art. 2 al. 1 CCI2. Ainsi en est-il d'une entreprise de renommée mondiale qui fait des déclarations publicitaires trompeuses aux clients de sa filiale 13 ou d'une fédération sportive qui, au bénéfice d'une situation de monopole, adopte une attitude contradictoire dans la fixation des exigences de qualification à une compétition internationalel4. Ainsi pour-rait-il en être aussi d'une personne qui, disposant de connaissances particu-liéres dans un domaine, fournit à une autre des renseignements qui se révè-lent erronés Il.

Dans l'Avant-projet de loi visant la révision du droit de la responsabilité civile (AP), on ne trouve nulle part l'expression ''responsabilité fondée sur la confiance". Et pourtant, les auteurs de l'Avant-projet n'entendent pas igno-rer ce concept, qui en tant que tel leur parait être juste et utile. Au contraire, ils veulent lui donner une consécration légale. Mais plutôt que d'en faire, comme le TF, un fondement autonome, et donc un nouveau chef de responsa-bilité un peu hybride, ils le rangent clairement dans la responsabilité délictuelle.

Cet objectif obéit au postulat d'unification qui a guidé la réforme entre-prisel6. Il se réalise par l'élargissement de la notion d'illicéité, plus précisé-ment par l'inscription à l'art. 46 al. 2 AP de la régIe selon laquelle la viola-tion du principe de la bonne foi est illicite.

10 BK.KRAMERlSCHMIDLlN, n. 150 s. et les réf. cit.j WALTER, Vertrauenshaftung, pp,.273 .. ct 285 ss et les réf. cit.; MISTELI, Responsabilite, p. 165.

II WALTER, Vertrauensbaftung, pp. 281 ct 294; CHAPPUIS C., Confiance, pp. 166 $S. À noter que le TF n'exprime pas clairement dans les arrêts cités plus haut (note 8) s'il comble une lacune de la loi et à quel régime sont soumises les modalités de l'action en réparation; WALTE~ VertrauCDsbaftung, pp. 282 s. paraît donner une préférence à l'ap-plication des règles sur la responsabilité contractuelle, compte tenu de l'exigence d'une relation spécifique de confiance.

12 WALTER, Vertrauenshaftung, pp. 281 et 294 s.; CHAPPUIS C., Confiance, pp. 171 ss;

DELCO, Trou und Glaubcn, pp. 133 55.

13 ATF 12011 331, JT 19951 359.

14 ATF 121 \11350.

15 ATF 11611695, JT 1991 1625.

16 WIDMERlWESSNER, Rapport explicatif, pp. 16 s. ct 49.

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traduit la conception dualiste qui prévaut aujourd'hui en la matière, selon que le bien juridique atteint est un droit absolu ou non. Comme on le sait, certains droits, par exemple l'intégrité corporelle des hommes ou la pro-prièté des choses, s'imposent à chacun et sont protégés comme tels -le plus souvent d'ailleurs par des prescriptions civiles et pénales - en raison de la valeur hiérarchiquement supérieure qu'ils représentent. En cas d'atteinte à de tels droits,l'iIIicéité est d'emblée réalisée, sans qu'il soit nécessaire d'exa-miner si et de quelle manière une norme de comportement spécifique a été violée. Il est question ici d'iIIicéité par le résultat. Lorsqu'en revanche, c'est un droit d'une autre nature qui est touché, comme il en va d'une simple perte patrimoniale découlant d'une escroquerie ou d'un acte de concurrence dé-loyale, l'iIIicéité n'est réalisée que si l'auteur a transgressé une règle ayant pour vocation spécifique de protéger le bien atteint. Il est question là d'iIIicéité par le comportement; la notion ne sert alors pratiquement qu'à circonscrire le cercle des victimes de dommages purement économiques; elle est appré-hendée par l'art. 46 al. 2 AP.

3,

La

notion particulière d'iIIicéité pour les responsabilités rattachées au comportement d'une personne, au sens de l'art, 46 al, 2 AP

Le champ d'application de l'art. 46 al. 2 AP ne couvre que les responsabili-tés liées au comportement d'une personne, qu'il s'agisse de la responsabilité pour faute (art. 48 AP) ou de responsabilités objectives dites simples ou or-dinaires, parmi lesquelles il y a lieu de citer la nouvelle responsabilité du fait de l'organisation dans les entreprises (art. 49a AP)2I.

L'art. 46 al. 2 AP donne une définition plus spécifique de l'illicéité, tout à la fois élargie et précisée par la référence à des normes protectrices poten-tielles, et notamment au principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC)22. À vrai dire,la règle énonce qu'un fait dommageable est illicite "s'il est contraire à une injonction ou à une interdiction de l'ordre juridique, au principe de la bonne foi ou à un devoir contractuel". Le cas échéant, il y aura lieu d'admet-tre l'existence d'une "atteinte à un droit protégé", au sens de l'art. 46 al. 1 AP.

21 On citera ici également les hypothèses connues, qui ne sont pas touchées par la ré-forme (art. 333 et 679 CC) ou qui font l'objet d'une révision (art. 49, 60 et 61 AP).

22 À noter que la Commission d'étude n'avait pas directement envisagé d'ancrer dans la loi une telle définition spécifique de l'iIIicéité; cf. WIDMERlWESSNER, Rapport expli-catif, p. 53.

136 PIERRE WESSNER

Dans la première hypothèse -l' illicéité définie comme une contraven-tion à une injonccontraven-tion ou à une interdiccontraven-tion de l'ordre juridique -, sont visées les transgressions à d'innombrables dispositions légales (civiles, pénales, administratives) qui prescrivent telle ou telle conduite, comme par exemple celles qui interdisent les excès dans l'exercice des droits de voisinage ou de la concurrence économique ou encore celles qui répriment l'abus de con-fiance ou l' escroquerie23Sur ce point, il n 'y a rien de modifié par rapport au droit actuellement en vigueur.

La deuxième hypothèse posée à l'art. 46 al. 2 AP déclare illicite

un

com-portement dommageable qui est contraire au principe de la bonne foi, au sens de l'art.

2

CC. Pour les auteurs de l'Avant-projet, ce principe com-mande en général une attitude de loyauté et d'égards dans la vie sociale; sa transgression peut, à certaines conditions, être sanctionnée par une obliga-tion de réparer, dans laquelle s'inscrit le concept de responsabilité fondée sur la confiance. Nous y reviendrons plus bas.

Quant à la troisième hypothèse, qui considère comme illicite

un

com-portement dommageable contraire à un devoir contractuel, elle est

à

mettre en relation avec la règle prévue

à

l'art. 42 AP. Cette règle entend soumettre à l'avenir les violations positives du contrat au régime de la responsabilité délictuelle, et cela, encore une fois, au nom de l'unification du système qui régit la compensation des préjudices24.

B_ La contravention au principe de la bonne foi comme