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Responsabilité de la banque dépositaire pour la gestion fautive du gérant externe?

Luc Thévenoz·

B. Responsabilité de la banque dépositaire pour la gestion fautive du gérant externe?

En revanche, la théorie de la responsabilité fondée sur la confiance pourrait ouvrir un nouveau champ de réflexion dans la discussion, qui demeure très controversée, de la responsabilité de la banque dépositaire en cas de gestion

i

fautive par le gérant externe.

l, Le point de départ reste que lorsqu'un client confie Un mandat de ges-tion à un gérant indépendant plutôt qu'à la banque dépositaire de ses avoirs, , la mauvaise gestion du portefeuille engage la responsabilité du gérant, non ': ' 1 de la banque2°. En principe simple exécutante des instructions de placement que le gérant externe lui transmet dans le cadre d'une procuration, la banque ne répond envers son client de la gestion fautive du gérant externe que dans : des situations relativement exceptionnelles21:

,

lorsque la banque entretient ou laisse subsister une relation trop étroite avec un gérant externe qui apparaît comme son organe de fait et en tant , 1: que tel engage la responsabilité de la banque par ses actes fautifs ou lorsque pour une autre raison l'on peut faire abstraction de l'indépen-dance juridique de la banque par rapport au gestionnaire;

l'

i:

lorsque la banque est, parallèlement ou aux côtés du gérant externe, liée par un mandat de gestion à l'égard du client22 ;

lorsqu'un organe ou un employé de la banque se rend coupable comme auteur, co-auteur, ou simple complice, d'une infraction pénale commise par le gérant (abus de confiance, gestion déloyaIe, faux dans les titres, etc.), engageant ainsi la responsabilité extracontractuelle de la banque (article 41 aI. 1 ou 55 CO);

hormis ces situations pathologiques, lorsque la banque exécute des ins-tructions du gérant externe qui dépassentIa procuration que le client a conférée au gérant aux fins de la gestion2J .

20 Par exemple: ATF n. p. du 29 octobre 1997, Sl 1998 198; Cl GE, SJ 1997590; RSDA 1998 199 r13 (n. 12).

21 CJ GE, SJ 1997590; RSDA 1998 199 r13 (n. 12); SJ 1998 198 (n. 20). Voir LÉVY, Gestion; BrzzozERo. Gérant; PLANTA, Commentaire. Cf. sunout BRETION~CHEVALLfER.

Gérant.

22 ATF n. p. 4C.432/1994 du 30 mars 1995.

23 Cf. notamment, LEVY, Gestion, pp. 114 s.; WAITER, PfIichten; DIETZI, Venmtwort·

lichkeit, pp. 197 ss.

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Dans un article qui a suscité une belle controverse, DE BEER24 a suggéré que le contrat de dépôt astreint la banque à une obligation de conserver la valeur du dépôt (Werterhaltungspjlicht) et de prévenir les dommages (&hadens-abwendungpjlicht); il se nouerait en outre un rapport de confiance entre le client et la banque, obligeant celle-ci à une forme de surveillance, certes sommaire, des activités du gérant externe, qui peut aller jusqu'à la mise en garde de son client et le refus des instructions du gérant.

À ma connaissance, la jurisprudence n'a

pas

encore eu l'occasion d' ap-pliquer la théorie de la responsabilité fondée sur la confiance à la relation entre banque simple dépositaire et son client lésé par la faute d'un gérant externe. Une grande prudence parait donc s'imposer.

La banque dépositaire qui ne reçoit pas le mandat de gestion s'oblige envers son client à exécuter promptement et diligemment les instruc-tions de placement qu'elle recevra du gérant dans les limites de sa pro-curation. Sauf situations exceptionnelles, elle ne promet, ni ne crée l' at-tente légitime qu'elle évaluera l'opportunité des instructions reçues.

Elle n'en ad' ailleurs en général pas les moyens, parce qu'elle n'est pas informée de la politique de placement décidée entre le client et le gérant.

Elle n'en connait les contours que

par

l'étendue de la procuration du gérant, qui est généralement très étendue et n'exclut que les retraits. Il est cependant évident qu'elle ne peut exécuter des instructions non cou-vertes par cette procuration sans engager sa responsabilité.

Une véritable obligation de surveillance du dépositaire sur les instruc-tions du gérant est une charge onéreuse, qui suppose des informainstruc-tions supplémentaires, des

ressources

en personnel et en technologies de l'in-formation, et surtout qui fait supporter au surveillant des risques non négligeables. Le législation impose une telle obligation aux banques dépositaires des fonds de placement (article 19 al. 2 LFp25). Mais cette prestation fait l'objet d'une rémunération (0,2 à 0,4% selon W ATIER26).

On ne peut attendre un service semblable de la banque dépositaire d'un portefeuille privé qui n'obtient de rémunération que pour la conserva-tion des valeurs, leur administraconserva-tion courante et l'exécuconserva-tion des ordres de bourse.

24 DE BEER, Verantwortlichkeit, pp. 127 .S.

25 Loi fédé",le sur l.s fond. de placement du 18 mars 1994 (RS 951.31).

26 WATIER, Ptlichten, p. 1176.

l,

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Dans le contexte d'un contrat existant entre deux parties, la responsabilité fondée sur la confiance-en fait, la responsabilité pour violation des obliga-tions nées de l'article 2 al. 1 CC dans un rapport particulier qui naît ici d'un contrat - est fort proche de l'interprétation supplétive ou du comblement des lacunes du contrat. Elle n'est pas et ne doit pas être un instrurnentde correc-tion des obligacorrec-tions contractuelles clairement stipulées par les parties.

III. Responsabilité pour renseignements financiers inexacts

Selon une jurisprudence qui paraissait bien établie27, la banque qui, inten-tionnellement ou par négligence, foumit des renseignements commerciaux et financiers inexacts à l'un de ses clients est susceptible d'engager sa respon-sabilité.

Ces renseignements sont toujours expressément donnéssineobligo, c'est-à-dire avec la mention expresse que la banque rend ce service à bien plaire et non sur la base d'un mandat, qui ne serait d'ailleurs

pas

rémunéré.

À

défaut d'un contrat, la jurisprudence retient que la responsabilité de la banque est fondée sur un acte illicite:

Celui qui est interrogé sur des faits sur lesquels, grâce à sa position, il dispose de connaissances ou d'informations particulières doit - s'il s'autorise à donner une réponse - donner un renseignement confonne à la vérité pour autant qu'il lui soit reconnaissable que ce renseigne-ment est lourd de conséquences pour celui qui l'interroge; il ne doit pas énoncer des faits qu'il sait faux ni se permettre des affirmations dont la fausseté devrait lui sauter aux yeux sans grande vérification. [ ... Il est également responsable] lorsqu'il tait des faits qui lui sont connus et dont il devait se dire que leur connaissance pourrait influencer la déci-sion à prendre [par l'autre partie.]28 '

L'arrêtSothebyde 1986, qui portait sur l'expertise exécutée à titre gracieux d'une lampe Gallé, paraît avoir remis en cause cette jurisprudence tradition-nelle29. Le Tribunal fédéral y admit la conclusion d'un mandat gratuit, avec la responsabilité qui en résulte.

27 ATF 124 III 363 cons. Sa, SJ 19991 38;ATF 121 III 3S0cons.6b, SJ 19961 197; ATF 112 II 347 cons. l, JdT 1987 1 28; ATF III II 471 cons. 2, JdT 19861485.

28 ATF 111 II 471 cons. 3, JdT 19861485 (ici en traduction libre). Arrêts antérieurs énumérés par SCH6NLE, Responsabilité, p. 219 note 3.

29 ATF 112 II 347, JdT 1987128.

",.'

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Le Tribunal fédéral étendrait-il la même analyse aux renseignements financiers, suivant en cela le Bundesgeriehtshofallemand qui y voit un con-trat gratuit3

1l?

Il ne semble pas avoir pris cette direction dans un arrêt de 1996 relatif à la responsabilité de la banque chef de file du placement public d'un emprunt obligatairell.

La théorie de la responsabilité fondée sur la confiance amène probable-ment à examiner le même problème sous un nouvel angle. La banque qui foumit un renseignement à bien plaire n'entend pas prendre des engagements contractuels, et ceci est reconnaissable pour le bênéficiaire de ces renseigne-ments. Admettre un contrat relèverait de la fiction. En revanche, la violation d'un devoir de ne pas foumir des renseignements inexacts, tel qu'il résulte de la jurisprudence traditionnelle, est moins la violation d'un devoir général (acte illicite) que celle d'un devoir relatif, c'est-à-dire d'une obligation par-ticulière qui naît entre celui qui sollicite le renseignement et celui qui accepte à titre gracieux de le lui donner. Entre eux naît un rapport légal particulier, une Sonderverbindung, fondée sur les règles de la bonne foi (article 2 al. 1 CC). Le Tribunal fédéral a tendu la perche dans un arrêt relatif à la respon-sabilité de l'avocat qui avait établi une attestation inexacte en sa qualité de proteetor d'un trust:

... il paraît approprié de qualifier la responsabi lité pour faux renseigne-ments de responsabilité délictuelle ou de soumettre aux principes de la responsabilité fondée sur la confiance, respectivement de la culpa in contrahendo.32

Ce considérant met bien évidence l'alternative: devoir général (et donc acte illicite) ou devoir relatif, ou plutôt obligation? Entre celui qui demande un renseignement et celui qui accepte de le donner, il naît un rapport particulier (Sonderverbindung), même s'il n'est pas contractuel. Plutôt qu'une respon-sabilité "d'un troisième type", qui ne soit ni délictuelle ni contractuelle, on peut analyser la responsabilité fondée sur la confiance comme résultant de la violation d'une obligation (au sens technique du tenne) rèsultant entre les parties des régies de la bonne foi (article 2 al. 1 CC). Comme d'ailleurs une partie importante de la doctrine l'admet depuis longtemps pour la cul pa in eontrahendo33 , la violation d'une telle obligation relève des articles 97 ou

39 WM 1998 1771, ZIP 1998 14H.

31 ATF n. p. du 2 août 1996, Si 1997 \08 cons. 7.

32 Cons. Sb, ATF 124 III 363, Si 1999138.

33 ATF 90 II 449, 458 cons. 6; VON TuHR, Obligationenrech~ pp. 192 s.; ENGEL, Traité, pp. 185 s. et 749 ss.

,

1

1

"il

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101 CO, dont personne ne conteste qu'ils ne se limitent pas aux obligations contractuelles.

IV. En guise de conclusion: exil le contrat bancaire général

À mes yeux, le principal bénéfice de la théorie de la responsabilité fondée sur la confiance est de revaloriser l'importance et l'étendue des règles de la bonne foi, qui font naître certaines obligations réciproques aussitôt que deux ou plusieurs sujets de droit entrent dans un rapport particulier, même sans acte juridique prèalable.

Dans la relation bancaire, généralement de longue durée mais qui, sur le plan contractuel, s'analyse comme un cumul et/ou une succession de con-trats particuliers, limités dans le temps et dans leur objet, les règles de la bonne foi viennen.t tisser certaines obligations autour, et parfois dans les lacunes, de ces contrats.

La tentative de la doctrine et de lajurisprudence14 d'analyser la relation bancaire comme fondant un contrat bancaire général ou résultant d'un tel contrat est une fictionjuridiquel5• Même interprétées selon le principe de la confiance, il n'y a pas de manifestations de volonté réciproques de s'obliger durablement et en des termes très générauX.

Il n'en existe pas moins certaines obligations réciproques qui résultent de cette relation durable, mais elles n'ont pas un fondement contractuel.

Elles reposent sur l'article 2 al. 1 CC, qu'il appartient au juge d'appliquer avec prudence dans chaque cas concret afin de déterminer s'il convient de retenir, à charge d'une partie, une obligation que les règles de la bonne foi lui imposent même si elle ne l'a pas voulue.

Le fondement dogmatique d'une telle responsabilité est en parfaite co-hérence avec le système de notre droit privé. On peut sans regretter écarter la fiction juridique d'un contrat général bancaire que les parties n'ont jamais voulu conclure.

14 SI 1999 1 205 con •. 3a (n. Il, ct auteurs cités; SCHMID, Bankvcrtragsrecbt,pp. 158 ss;

WIEGAND, Rcchtsbeziehung, pp. 13 1 ss, 135.

35 GUGGENHEIM, Contrats, p. 26; KLEtNER, Bankkonto, pp. 274 •. Cf. TApp. TI, Rep. 1990 244, rés. RSI 1993 31 n' 6.

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La responsabilité fondée sur la confiance