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Le principe de \'allocation d'une indemnité à celui que la confiance infondée suscitée par autrui a détemtiné à prendre des dispositions se révélant ulté-rieutement préjudiciables ou inutiles pout lui est sans doute justifié. La répa-ration se calcule Sut la base de la valeut correspondant à ces dispositions.

Fallait-il pout autant y parvenir par la voie nouvelle de la "responsabi-lité fondée Sut la confiance"l? C'est ce que les lignes qui suivent ont l'am-bition de déterminer.

1. Dans le domaine qui nous occupe, la responsabilité a le sens d'obliga-tion de réparer un préjudice causé à autrui.

2. Cette responsabilité est la conséquence de la violation d'undevoir juri-dique par un comportement de l' auteut, par opposition

à

ce qui vaut pout les responsabilités objectives.

3. En droit suisse, le devoir juridique au sens strict prend la forme soit du devoir général soit de l'obligation; l'article 41 CO s'appuie sut le premier,

\'article 97 Sut la seconde. C'est le lieu de rappeler que cette dernière dispo-sition s'applique à toutes les obligations qu'elles résultent ou non d'un contrat2 4. La responsabilité couvre le dommage résultant de la violation (fautive) d'un devoir déterminé: ce dommage correspond à la différence entre l'état actuel du patrimoine et son état (hypothétique) tel qu'il serait si le devoir avait été observé. En d'autres termes, le dommage se calcule par référence à l'intérêt à ['exécution du devoir. Que ce dernier soit général ou particulier n'a

pas

d'importance à ce stade.

• Professeur à l'Université de Genève. -L'auteur remercie Messieurs G, Donatiello et O. Kronegg de leur relecture critique.

1 Le prof. E. A. KUMER a fait entrer cette notion dans le droit suisse dans: BK-KRAMERISCHMIDLIN, zu Art. 1 und 2 OR, 00. ISO •. renvoyant aux no. \33 SS.

2 BK-WEBER, no. 97 5S ad notes liminaire. aux art. 97-109CO; BaK·WIEGAND, no. 3 ad art. 97 CO; GAucHiSCHLUEP/REY, no. 2567 ss.

l,

1

184 GILLES PETITPIERRE

S. Le contenu du devoir violé par le comportement dommageable se défi-nit, parmi d'autres caractéristiques, par la confiance créée

par

l'auteur. Cette caractéristique pose en soi le problème de savoir si le reproche objectif fait à l'auteur est d'avoir créé la confiance ou, ce qui n'est pas du tout la même chose, de ne pas avoir donné suite à l'expectative créée. Il suffit pour l'instant de dire qu'il s'agit d'un comportement contraire aux régies de la bonne foi (objective) dans la perspective des attentes que l'auteur a fait naître chez autrui.

6. Le devoir peut résulter de l'application de l'article 2 CC qui n'est pas équivoque: l'expression être tenu (en allemand "hat... zu"; en italien tenuto') traduit l'idée d'un véritable devoir3.

7. Celui qui s'est fié à juste titre à l'apparence suscitée par l'auteur et subit de ce fait un préjudice peut obtenir la réparation de celui-ci si les autres conditions d'une responsabilité sont données.

8. L'arrêt Swissair illustre cette idée: Swissair a accepté de renforcer le crédit de sa filiale IGR par l'indication orientée vers le public de l'apparte-nance de cette filiale au groupe. Dans la mesure où la situation se modifiait (vente d'IGR à une société tierce), qu'en conséquence la confiance susci-tée dans le public envers IGR n'avait plus de fondement, c'était le devoir de Swissair d'empêcher ce qui devenait un malentendu. Si Swissair avait ob-servé le devoir qui lui incombait dans ce sens, les tiers auraient pu mettre fin à leurs rapports avec IGR ou n'en point nouer. L'intérêt des tiers à l'exécu-tion de ce devoir (intérêt "positif') était de ne pas entrer ou de ne pas rester en relation avec la filiale dans la mesure où cette caractéristique était déci-sive pour eux. Il se trouve que l'intérêt positif dans la relation de confiance avec Swissair correspond à l'intérêt à ne pas entrer ou

à

ne pas rester en relation avec IGR (intérêt "négatif' dans cette deruière optique).

9. Le probléme se pose différemment dans l'arrêt Grossen. On aurait pu construire, à la lecture de l'état de fait de l'arrêt, une véritable déclaration de volonté de la Fédération suisse de lutte amateur de conclure (offre) avec M. Grossen pour autant qu'il remplisse les conditions fixées par la décla-rante. M. Grossen l'ayant acceptée et rempli les conditions fixées, la Fédé-ration était tout bonnement liée par un contrat. La difficulté vient de ce que pour M. Grossen l'intérêt positif, soit l'intérêt à l'exécution de ce contrat

3 Voir SCHÔNLE, Responsabilité, pp. 223, 229 ss; SCHÔNLE, Bonne foi, pp. 34 SS, 47-48;

YUNG, Vérité, pp. 80, 83-84; YUNG, Devoirs, pp. 118 ss; FISCHER, pp. 24 ss; ATF 57 II 86.

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ENFONCER UNE PORTE OUVERTE? 185

n'avait pas de valeur économique et que seul l'intérêt négatifpar rapport à ce même contrat était en revanche économiquement pertinent et relative-ment facile à chiffrer. Pour attribuer la valeur de ce dernier au sporti f lésé, il aurait fallu passer par l'application (analogique) de l'article 107 al. 2 3ème hypothèse CO et de l'article 109 CO pour ouvrir la voie à la réparation du dommage correspondant à l'intérêt négatif".

10. On aurait pu aussi appliquer, directement ou par analogie, l'article 8 al.

2 CO qui régie la couverture des impenses déjà faites au moment du retrait d'une promesse de récompense.

11. Si l'on ne retient pas la conclusion d'un contrat entre la Fédération et le sportif, on pourrait parvenir au même résultat final, par l'admission d'un véritable devoir de la Fédération de ne pas faire croire à M. Grossen qu'elle l'enverrait au championnat alors qu'elle n'en avait pas la ferme volonté comme cela s'est révélé par la suite. L'exécution de ce devoir de la Fédération (d'informer M. Grossen de sa volonté de ne pas s'engager ferme) lui aurait permis de ne pas se lancer dans les dépenses et les abandons de gains résultant de sa décision de remplir les conditions de l'envoi au cham-pionnat. L'intérêt (positif) à l'exécution de ce devoir se trouve correspondre à l'intérêt de M. Grossen

à

ne pas investir en vue de sa participation au championnat (une sorte d'intérêt "négatif' de nouveau).

12. Ces deux arrêts incitent le lecteur à tenter de découvrir quel est préci-sément le devoir pertinent pour comprendre en quoi consiste sa violation et trouver selon les règles habituelles de la causalité quel est le dommage que l'auteur doit réparer si les conditions d'un chef de responsabilité sont réu-nies par ailleurs.

13_ Sous ch. 5 ci-dessus, nous avons laissé la question ouverte. Les contro-verses et une certaine confusion qui leur est liée résultent à mon point de v;ue de ce que la place et le rôle de la confiance ne sont pas définis claire-ment dans l'état de fait. La confiance nous intéresse-t-elle parce qu'elle n'a pas été honorée d'un comportement qu'elle permettait d'attendre ou bien parce qu'elle ne devait pas être suscitée dès le départ ou, ce qui revient au même, entretenue en dépit d'un changement pertinent des cir-constances?

BK-WEBER, no. 9 SS, 19 ad art. 109 CO; BaK-WIEGAND, no. 3 ad Introduction aux art. 91-109 CO, et les références citées.

i :ii

14. Si la première de ces constructions était la bonne, Swissair devenait une sorte de garant de la solidité économique d'IGR envers Wibru; la Fédé-ration de lutte de l'envoi de M. Grossen au cbampionnat Or le Tribunal fédéral a écarté cette solution dans les deux espèces:

a) il a en effet alloué à Wibru lé montant que cette société n'avait pas récupéré d'IGR parce qu'elle ignorait que la confiance suscitée initiale-ment par l'intégration dans le groupe Swissair avait perdu son fonde-ment;

b) il a alloué

à

M. Grossen les frais et la perte de gain qu'il avait consentis parce que la Fédération lui avait laissé croire qu'ils étaient la condition de son envoi au championnat

15. Sans le dire avec toute la clarté sinon souhaitable, du moins souhaitée par le soussigné, il a choisi la deuxième solution: le comportement contraire

à

la bonne foi n'est pas de ne pas honorer la confiance suscitée, mais bien de l'avoir suscitée initialement (Grossen) ou de l'avoir entretenue passi-vement aprés un changement de circonstances (Swissair). Le Tribunal fé-déral ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que "la responsabilité fondée sur la confiance [ ... ] impose [ ... ] de réparer le dommage causé par la con-fiance justifiée qui s'est trouvée trompée ultérieurement"5.

16. Il est désormais possible d'exprimer ce devoir positivement: il est objectivement contraire aux règles de la bonne foi (objective) de ne pas dire la vérité sur des faits déterminants (objectivement) pour autrui.

Ce devoir est un devoir juridique dont il importe peu de le qualifier de devoir général ou d'obligation au sens technique. Le dommage pertinent corres-pond à la différence entre le patrimoine actuel du lésé et ce qu'il serait si le devoir avait été observé: Wibru aurait pu se faire rembourser son investisse-ment (arrét Swissair), M. Grossen n'aurait pas consenti des dépenses et pas renoncé à des éléments de gains professionnels s'il avait connu la réa-lité (voir un état de fait semblable dans l'ATF Crédit suisse, succursale de Chiasso c. W. Inc., de 1984)6; de même plus récemment, l'ancien exploi-tant d'un café-restaurant n'aurait pas subi de dommage si les reprenants potentiels avaient respecté leur devoir pré-contractuel de réflexion et de

S ATF du 8 juin 1998, SJ 19991113, 117. Pourtant, dans un arrêt isolé (ATF du 7 janvier 1999, SJ 2000 1 533 avec une note d'Alain HIRSCH), le Tribunal a fondé l'obligation de réparer de l'acheteur d'un immeuble sur le motif qu ·il n ·avait pas honoré la confiance suscitée par lui en refusant le solde du prix parce que le contrat de vente était nul.

6 ATF 110 Il 360, 371 ss, cons. 5, JT 19851 130, 142.

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prudence avant de s'engager

dans

une affaire importante

7,

et la banque X