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Ces lignes ont pour objet la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la responsabilité fondée sur la confiance. Il ne s'agit pas de répéter tout ce qui a déjà été écrit dans les contributions précédentes. Je me limiterai donc à

un

bref tour d'horizon. Aprés quelques remarques d'ordre historique (1), j'en viendrai au développement de la notion (II), pour présenter ensuite un ré-sumé de la jurisprudence du Tribunal fédéral (Ill). Je terminerai en tentant de dégager de cette jurisprudence les contours généraux du nouveau concept (IV). Je dois renoncer ici à une revue détaillée de la doctrine. Cela dépasse-rait le cadre de ce court exposé, dans la mesure où partisans et adversaires de cette institution ont aftùté leur plume avec une rapidité jusqu'ici inconnue-tant et si bien que la doctrine suisse se divise maintenant en deux camps, ceux qui ont déjà écrit sur le sujet, et ceux qui relisent encore leurs épreuves d'imprimerie. Au moins

sur

le plan de la doctrine, la boîte de Pandore est ouverte - pour reprendre une image déjà utilisée par HONSELL 1.

I. Les sources

"Omnis enim obligatio ve/ ex contractu nascitur ve/ ex de/icto." Ce pré-cepte, inspiré de la distinction opérée par Aristote entre les mouvements de fortune reposant sur la volonté des parties et ceux échappant à leur libre arbitre, introduite par GAlUS2 dans le droit romain, détennine encore actuel-lement la pensée des juristes. Nous avons, aujourd'hui comme hier, du mal à nous écarter de ce schéma, bien qu'il ait été de tout temps reconnu que cette division fondamentale ne parvenait pas à saisir chaque cas de figure. GAIUS

admettait déjà qu'il existait, à côté des obligations contractuelles ou

Président du Tribunal fédéral, Président de 1. 1" Cour civile. le remercie Mme Ma·

rie-Pierre de Montmollin Hermann. greffière au Tribunal fédéral, pour la relecture criti-que du manuscrit et sa traduction en français.

1 HONSELL, Haftpllicbtrecbt, p. 53.

2 Inst. II1,88.

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en pourparlers contractuels comme un quasi-contratI2. Mais il faut replacer cette théorie dans son contexte historique. Durant la deuxième moitié du 19ème siècle, la "théorie de la confiance" s'est développée comme une anti-thèse à la ''théorie de la volonté",laquelle prédominait jusque-là, avant tout sous l'influence de SAVIGNY. JHERING considérait déjà comme insatisfaisant et injuste de ne faire reposer les obligations contractuelles que sur la volonté des parties; il préconisait, pour y remédier, d'introduire une indemnisation pour le dommage résultant de la confiance trompéell. L'idée d'une respon-sabilité fondée sur la confiance était née. Il est vrai qu'à l'époque elle n'a été qu'à peine reconnue comme telle et qu'elle a vite sombré dans l'oubli: la théorie de la confiance devait d'abord s'imposer dans un domaine beaucoup plus important, celui de l'interprétation et des effets obligatoires des déclara-tionsde volonté. À cet égard, je me contenterai de rappeler la formule pré-gnante utilisée par le Tribunal fédéral dans un arrêt de 1943:

"[Dler Erkllrende ist nicht gebunden, weil er einen bestimmt gearteten inneren Willen hatte, sondem weil er ein Verhalten an den Tag gelegt hat, aus dom die Gegeoseite in guten Treuen auf dos Vorbandeosein eines bestimmten Willens schliessen durfte. " ..

Je cite ce passage pour souligner que la responsabilité fondée sur la con-fiance (Vertrauenshaftullg) a les mêmes racines que le lien obligationnel re-posant sur la confiance (Vertrauensbilldung): tous deux trouvent leur fonde-ment dans la confiance digne de protection qui doit régner entre les parties entretenant des relations juridiques. Dans cette optique, lien obligationnel et responsabilité ne constituent que les deux faces d'une même médaille. Tan-dis que la confiance éveillée peut, en raison de l'apparence juridique, faire naître un lien normatif, la confiance trompée peut, en raison de l'apparence des faits, engendrer une obligation de réparation. Dans la doctrine allemande, la notion de responsabilité fondée sur la confiance est utilisée comme un concept général recouvrant les deux hypothèsesls. J'utiliserai en revanche cette notion uniquement pour désigner les questions relatives à

l'indemnisa-12 ZIMERMANN, Obligations, p. 244.

13 ZIMMERMANN Obligations, pp. 2, 29 et 32 ss; on peut relever dans ce contexte le droit général des Étals prussiens, qui en 1794 stipulait déjà au § 2S4 1 S: "W.s wege" des hei ErflIllung des Vertrages zu vertretenden Grades des Scbuld Rechtens ist, gilt auch auf den FaU, wenn eiDer der Contrahenten bei Abschliessung des Venrages die ihm obliegenden Ptlicbten vemachlAssigt bat."

1. ATF 69 Il 319, 322.

IS CANARIS, Vertnluenshaftung, p. 3; dans un même sens pour le droit suisse, LOSER, Konkretisierung, pp. 73 .s; LoSER-KROOH, Vertrauenshaftung; divergeant, BK-KRAMERI SCHMIDLlN, nO ISO S.; cf. déjà JAGGI, Vertrauensprinzip, pp. 14S 5S.

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tion du dommage causé à autrui. Je me limiterai ainsi aux problèmes qui se présentent lorsque les attentes légitimes suscitées par le comportement d'un tiers ne donnent pas naissance à des prétentions d'ordre contractuel, mais permettent néanmoins à celui dont la confiance a été déçue d'obtenir répara-tion du préjudice subi16•

II. La notion

L'institution d'une responsabilité fondée sur la confiance, allant au-delà de la seuleculpa in contrahendo, a été importée d'AllemagneI7• La notion, liée aux noms de BALLERSTEDT, COING et CANARIS, a été introduite dans la termi-nologie juridique suisse par KRAMER 18; elle s'est imposée rapidement - con-trairement à l'institution juridique en elle-même - à tout le moins en Suisse aIémaniquel9, peut-être plus tard et plus difficilement chez les auteurs fran-cophones2o•

Le code civil et le code des obligations ignorent la notion de responsabi-lité fondée sur la confiance. Mais on y trouve néanmoins quelques cas d'obli-gations reposant sur l'apparence juridique (avant tout dans les dispositions sur la représentation, en ce qui concerne les registres publics ou dans le droit des papiers-valeurs )21, ou de responsabilité pour culpa in contrahendo dé-coulant de l'apparence des faits créée (également dans le droit de la repré-sentation, mais surtout en relation avec les vices du consentementf2.

Malheureusement, le Tribunal fédéraI n'utilise pas toujours dans un même sens la notion de responsabilité fondée sur la confiance. La formule a

vrai-l6 En général, la responsabilité fondée sur la confiance suppose une faute. mais il existe des cas (p. ex. l'art. 39 al. 1 CO) dans lesquels cette condition ne joue aucun rôle, selon le principe dit du risque; cf. à ce sujet LOSER, Konkretisierung, p. 91 avec les références.

17 KRAMER, Einfluss, pp. 379 s.

18 BK-KRAMERlSCHMlDLlN, n' 150 s.

19 Cf. par ex. BaK-BuCHER, n' 89 ss ad art. 1 CO; BaK-SCHNYDER, n' 44 ad art. 41 CO;

BaK-WIEGAND, Einleitung zu Art. 97-109 CO, n'Il; ZK-BAUMANN, n' 105 ss ad art. 2 CC; BK-BREHM, n' 53. ss ad art. 41 CO; BK-WEBER, Vorbemerlrungen zu art. 97-\09 CO, n' 47 et n' 81 ss ad art. 97 CO; GAucHiSCHLUEP/REy, § 982. ss; SCHWENZER, Obligationenrecht, pp. 305 ss; HONSELL, H.ftpflichtrecht, pp. 52 S.; WALTER, Vertrauenshaftung.

20 ENGEL, Traité, pp. 244 s.; CHAPPUIS c., Confiance, pp. 165 ss; MISTELl, Responsabi-lité, pp. 169 ss; MORIN, Responsabilité.

21 Par ex. art. 973 CC, art. 33 al. 3, 34 al. 3, 933,1006 al. 2, 1147, 1152 CO.

22 Par ex. art. 411 al. 2 CC, art. 26, 31 al. 3, 36 al. 2, 39 CO; voir aussi ATF 124 III 355 consid. 4 et 363 consid. II/2.

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semblablement été employée expressément pour la première fois en 1988,