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Par l'affirmation dans la partie générale du Code qu'un fait dommageable contraire au principe de la bonne foi est illicite, les auteurs de l'Avant-projet de loi révisant le droit de la responsabilité civile veulent conférer un véritable statut à la responsabilité fondée sur la confiance. Ils écartent ainsi la solution prétorienne hybride et inachevée qui prévaut actuellement, à cheval entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle, au profit du ré-gime de compensation des préjudices prévu aux art. 41 ss AP, un réré-gime qui a la prétention d'être complet, homogène et moderne. Une telle proposition satisfait à l'exigence de sécurité du droit. Elle est conforme au principe posé

37 Cf. ENGEL, Traité, p. 450 et l'exemple cité dans WIDMER/WESSNER, Rapport expli-catif, pp. 103 s.

38 Dans ce sens DELCO, Treu und Glauben, pp. 198 ss.

39 Message du 18 mai 1983 à l'appui du projet de loi fédérale contre la concurrence déloyale, in: FF 1983 II 1074: "On peut parfaitement soutenir l'opinion selon laquelle il y a une certaine relation spéciale entre les participants à la concurrence ... Chaque parti-cipant à la concurrence doit se comporter de manière à ce qu'il ne déçoive pas la con-fiance que l'autre place dans son comportement juridique dont il croit de bonne foi qu'il s'intègre dans la communauté de concurrence, et de manière à ce que lui-même soit fidèle à la communauté et qu'il ne commette pas des actions utilisant le système de la libre concurrence à son propre profit". Il est vrai que le Conseil fédéral précise aussi d'emblée qu'on ne saurait ici comprendre "de façon par trop restrictive l'exigence d'une relation juridique spéeiale" (FF 1983 II 1073).

!4O PIERRE WESSNER

dans la norme fondamentale d'imputation (art. 41 al. 1 AP). Selon ce prin-cipe, ''une personne est tenue de réparer le dommage causé à autrui dans la mesure où le fait dommageable peut lui être imputé en vertu de la loi", mais - et cela est sous-entendu et néanmoins hautement significatif-seulement

dans cette mesure.

B. Quant aux effets de l'extension de la notion d'i/licéité

La reconnaissance du principe de la bonne foi comme norme de protection fondamentale aura pour effet d'étendre la notion d'illicéité et, en conséquence, d'élargir le champ d'application des responsabilités rattachées à un compor-tement. On pense tout d'abord à la responsabilité pour faute, qui absorbera non seulement les cas liés à laculpa in contrahendo, mais aussi les hypothè-ses prévues par l'actuel art. 41 al. 2 CO. C'est dire qu'on pourra à l'avenir renoncer à cette dernière disposition40-et avec elle au critère inévitablement discutable de la contrariété aux mœurs. Les cas d'application tomberont donc sous le coup du nouvel art. 48 AP, mais sans l'exigence d'une faute intentionnelle. L'extension de la notion d'illicéité aux actes dommageables commis en contravention des règles de la bonne foi devrait contribuer à élar-gir aussi la portée des responsabilités objectives simples ou ordinaires, parmi lesquelles il y a lieu de citer la nouvelle responsabilité du fait de l'organisa-tion dans les entreprises (art. 49a AP)4l . En ce sens, la règle prévue à l'art. 46 al. 2 AP contribuera à sa manière à satisfaire au postulat d'unification du droit de la responsabilité civile, qui caractérise la réforme entreprise42•

C. Quant aux soi-disant déficits de la responsabilité délictuelle

Jusqu'ici, le TF ne s'est pas clairement exprimé sur le régime juridique ap-plicable à la responsabilité fondée sur la confiance. Toutefois, il semble que la préférence soit donnée à l'application des régies sur la responsabilité contractuelle, compte tenu de l'exigence d'une relation spécifique de confiance entre le responsable et la victime du préjudice43 . On pourrait dès lors

crain-40 WIDMERfWESSNER, Rapport explicatif, p. 104; cf. aussi PETITPIERRE. Fondements.

p.279.

41 Cf. supra II.A.3 in initio. Ne parle-t-on pas parfois de Berufs- ou Untemchmungs- ou encore Konzernvertrauenshaftung!

42 Cf. supra I.A.! et 2.

43 Dans ce sens WALTER, Vertrauenshaftung, pp. 282 s.

AVANT-PROJET DE RÉVISION 141

dre une péjoration des droits du lésé si, à l'avenir, la responsabilité fondée sur la confiance devait être soumise au régime délictuel régissant la compen-sation des dommages.

Ces craintes doivent être tempérées en ce sens que, déjà aujourd 'hui, les différences entre les deux régimes de responsabilité apparaissent davantage théoriques que pratiques. On sait en effet que la jurisprudence actuelle se montre très sévère dans la preuve de la diligence objective imposée à l'em-ployeur, selon l'art. 55 al. 1 cr CO, et que cette tendance devrait être confir-mée avec la révision, lorsque le sujet de la responsabilité aura recours à des auxiliaires (art. 49 et 49a AP). À cela, il y a lieu d'ajouter que l'Avant-projet allonge considérablement les délais de prescription de l'action en réparation du préjudice (art. 55 AP). Quant à l'avantage qu'on voit dans la présomp-tion de faute en matière contractuelle, il faut aussi le relativiser et ne pas oublier que la faute, en elle-même, n'est pas un fait, mais un jugement de valeur au moyen duquel le juge qualifie un certain comportement. Seul ce comportement peut faire l'objet d'une preuve. JI en découle que le fait dom-mageable imputable au responsable doit aussi être prouvé par la personne lésée. De fait, on aboutit ici à une répartition du fardeau de la preuve de la faute.

Enfin, l'extension de la notion d'illicéité à la violation du principe de la bonne foi aura aussi pour effet d'entrainer l'application de nouvelles règles régies par les art. 41 ss de l'Avant-projet. Pour n'en citer que quelques-unes significatives, il faut mentionner tout d'abord la responsabilité objective du fait de l'organisation de l'art. 49a AP, qui pourrait s'appliquer certes à une entreprise, mais aussi pourquoi pas à un groupe de sociétés, comme le SAirGroup, mais également à une collectivité publique lorsque, par exem-ple, elle fait des recommandations qui se révèlent dangereuses pour la santé des individus. On peut ègalement citer la facilitation dans le régime des preu-ves, telle que prévue à l'art. 56d AP, et notamment l'autorisation donnée au tribunal de se contenter d'une vraisemblance convaincante lorsque la causa-lité entre le fait dommageable et le préjudice ne peut être établie de manière certaine. En dernier lieu, on mettra en valeur le nouvel art. 57 AP, qui limite la liberté de restreindre par avance sa responsabilité, par exemple dans le cas où une entreprise s'adresse à un certain nombre plus ou moins déterminé de personnes, en donnant des infonnations inexactes, comme cela a pu être le cas de fabricants d'ordinateurs pour ce qui touchait le passage à l'an 2000.