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Sylvain LOUET Agrégé de lettres modernes

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 138-140)

Doctorant en études cinématographiques Université Paris-Est Marne-la-vallée, LISAA EA 4120

« L’arbre portera des fruits obtenus par greffe493 »

L'adoption est une institution juridique et sociale qui renvoie à deux ensembles de sens. D’une part, sa dimension juridique la désigne comme une institution. Un lien de famille ou de filiation est créé entre l'adopté et le ou les adoptants. En droit de la famille, adopter signifie communément donner à quelqu'un le rang et les droits de fils ou de fille. D’autre part, le terme adoptif (du latin adoptare « à choisir »), en parlant d'une entité morale ou d'une chose considérée comme telle, renvoie plus largement à quelque chose qui a été l'objet d'un choix, d'une préférence délibérée, voire envisagée comme définitive. Cette signification oblige à ne pas limiter l’étude de l’adoption à des considérations stricto

sensu juridiques. Qui plus est, la notion d’adopté, a priori passive, se charge d’un sens

actif. On songe à la continuité des sens passif ou actif que connaissait le latin : adoptivus,

a, um désigne successivement « adoptif », « adopté », mais aussi « qui adopte ». Aussi

Ovide pouvait-il écrire : « l'arbre portera des fruits obtenus par greffe ».

En outre, étudier le motif de l’adoption dans des films étasuniens qui mettent en scène son histoire nécessite de tenir compte de l’évolution du droit aux Etats-Unis, tel qu’il a pu être interrogé par les films. Il convient d’indiquer combien la pensée juridique de l’adoption a peu à peu évolué aux Etats-Unis où les lois ont développé un droit visant à prendre en compte l’individu, y compris l’adopté. Si l’adoption informelle demeure la norme jusque

493 « adoptivas arbor habebit opes » dans OVIDE, L’Art d’aimer [Ars amatoria], Livre 2, v. 652, Paris, Imprimerie de Carpentier-Méricourt, 1829, p. 188.

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dans les années 1850 (une famille proche prenait en charge l’orphelin), avec l’accroissement du nombre des adoptions, il est peu à peu apparu nécessaire de donner un cadre légal au processus. Dès lors, l’intérêt de l’enfant adopté a été explicitement souligné et l’adoption devait être approuvée par un juge. Dans cette perspective, en 1929, tous les Etats avaient peu ou prou instauré une législation régissant l’adoption494. Ainsi, l’anonymat liminaire et l’enregistrement des documents qui les rendaient par la suite secrets sont devenus des pratiques adoptives récurrentes afin de garantir l’anonymat du processus495.

Ces vues de l’adoption en font un motif ancien et récurrent dans la cinématographie étasunienne, en particulier dans le western classique. En effet, ce genre filmique est emblématiquement une fiction d’établissement, notamment quand les personnages choisissent de s’installer dans un territoire, pour y fonder une famille ou la faire vivre et survivre. Ils trouvent ainsi une terre, voire une patrie adoptive, et se font, éventuellement, adopter (dans le sens d’admettre) par leurs voisins. Certains westerns font aussi de l’adoption la matrice créatrice d’une Nation qui sait accueillir les enfants ou apprend à le faire, afin de repousser le spectre de la délinquance. A travers le thème du pardon, la Nation semble ainsi se construire peu à peu en adoptant (dans le sens d’accepter des individus comme des citoyens en puissance) toutes sortes de personnages, y compris d’anciens hors-la-loi. Certains westerns attribuent donc à l’adoption une puissance intégrative. Le rachat des personnages témoigne du pouvoir résilient, voire thaumaturge, de l’adoption. L’adoption permet de commuer le mal en bien, et les mérites obtenus par les souffrances des justes adoptants paraissent profiter à l'ensemble de la communauté. Toutefois cette double rhétorique, instituante et intégrative, ne se fait pas sans dissonance. Certes, quand des personnages acceptent ou revendiquent une adoption, celle-ci peut assurer le surgissement de la justice institutionnelle en repoussant la violence privée et son temps fermé, entropique et obsessif. C’est le cas dans Three Godfathers496 où, après avoir traversé une contrée sauvage biblique, un lieu de souffrance et de rédemption, la nouvelle

494 Stephen B. PRESSER, « The historical background of the American law of adoption », Journal of Family

Law, 1972, 11, p. 466.

495 A partir des années 1920 et jusque dans les années 1940, les Etats ont progressivement modifié leur législation afin de garantir la pérennité de la confidentialité de l’adoption et pour rendre impossible l’accès à ces informations, hormis pour une raison juridiquement justifiée (« good cause »). Voir Joan Heifetz HOLLINGER, « Aftermath of adoption. Legal and social consequences », p. 13-15 in Joan Heifetz HOLLINGER, Adoption law and practice, New York, Matthew Bender & Co., Inc., 1991.

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famille, fruit d’une adoption ouverte, arrive dans un bourg, sous l’égide de la résilience personnelle et du respect de la communauté.

Cependant, à travers la question de l’adoption, d’autres films abordent celle du métissage. La problématique du métissage culturel de l’adopté est alors redoublée par le motif de la terre, à la fois sauvage et habitée, domestiquée mais toujours près de redevenir sauvage. Dans The Searchers497, l’adoption assumée de l’autre, Indien, rappelle aussi la dangereuse proximité des espaces encore sauvages et de la violence. A travers l’adoption, le western montre la puissance ambivalente du peuple des blancs dont la culture assure leur domination par son pouvoir d’attraction, alors que les blancs eux-mêmes sont capables de sauvagerie. Dès lors, dans ce film, la question du métissage culturel ne débouche pas sur une union interraciale qui engage l’adopté.

Enfin, dans The Unforgiven498, l’intégration de la descendance indienne à la Nation se réalise à travers une adoption secrète et la violence, après un massacre d’Indiens et l’élimination d’un fantôme blanc ensauvagé, représenté par un homme errant depuis la guerre de Sécession. L’établissement pacifié des descendants des blancs et de ceux des Indiens est ainsi rendu possible à travers une forme de purification par la violence réciproque. L’établissement des personnages prend désormais la voie d’une probable union interraciale, pleinement assumée, entre l’Indienne adoptée et son frère blanc d’adoption.

Three godfathers : l’adoption ouverte pour expier un crime et bâtir un

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 138-140)

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