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Anne DOBIGNY-REVERSO Maître de conférences en histoire du droit

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 46-48)

Université d'Angers, Centre Jean Bodin

« Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ? Partout ailleurs ». Cette réplique de Jacques Rezeau, dans le film Vipère au poing réalisé par Philippe de Broca en 2004 donne clairement le ton et la thématique du film121.

Vipère au poing est un roman autobiographique écrit par celui que l'on surnomme le

« romancier de la famille », Hervé Bazin. Datant de 1948, il est le premier d'un cycle de trois romans et relate l'enfance de Jean Rezeau, deuxième fils de Jacques et Paule Rezeau. Seul le roman Vipère au poing a été adapté au cinéma en 1971122 et en 2004123. Pourtant, il ne faut pas négliger les deux autres romans, La mort du petit cheval et Cri de la Chouette, car beaucoup de répliques ou d'allusions transcrites dans les films sont empruntées à ces récits. Certains dialogues sont mêmes intégralement conservés. D’ailleurs, les deux films utilisent la voix off, ce qui d’un point de vue esthétique, témoigne d’une mise en image du récit de l’histoire d’une famille.

Quelques mots pour resituer l'histoire. L'intrigue se déroule au début des années 1920, près d'Angers. La famille Rezeau appartient à la bourgeoisie de province. Elle s'est illustrée en donnant à la nation des militaires et un académicien. Jacques Rezeau est l'aîné de la famille ou plutôt le premier enfant mâle. Il s'est marié avec Paule Pluvignec (que Jean et ses frères surnommeront Folcoche), la fille du Sénateur du Morbihan avec laquelle il a eu trois enfants : Ferdinand, Jean (le héros) et Marcel. Durant l'absence de leurs parents qui sont partis en Indochine, les deux aînés, Ferdinand et Jean, sont élevés par leur grand-mère paternelle. Mais quand celle-ci décède, le couple Rezeau-Pluvignec est obligé de rentrer. À partir de cet instant les ennuis vont commencer.

121 Cette réplique est issue du roman, cf. Hervé BAZIN, Vipère au poing, Paris, Le livre de poche, 2012, p. 118.

122 Pierre CARDINAL, Vipère au poing (France, 1971). Ce film est maintenant en DVD, zone 2, INA éditions, 2010.

123 Philippe deBROCA, Vipère au poing (France, 2004). Ce film est sur support DVD, zone 2, France Télévisions, 2005. Il peut également être vu sur le site Dailymotion.

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Le roman d'Hervé Bazin touche aux fondements de la famille et donc au mariage. « Miroir de la société et projections des rêves individuels124», le cinéma permet de mettre en lumière le fonctionnement d'une famille. Habituellement ce que l'on retient des adaptations de Vipère au poing c'est la relation mère/enfant, la dureté de la mère surtout lorsqu'elle est interprétée par Alice Sapritch comme dans le film de 1971. Mais si l'on regarde les deux films avec l'œil du juriste, on perçoit divers éléments qui permettent de mettre en image le droit de la famille au début du XXe siècle.

Dans un premier temps, le juriste sera frappé par la place que les cinéastes ont donné au couple mari/femme, une place de premier ordre qui correspond aux mentalités de l'époque selon lesquelles le couple devient une fin en soi et non un moyen en vue d'une fin qui lui est supérieure. Le mariage qui était rattaché à l'idée de devoir, va de plus en plus être relié à l'idée de bonheur125. Mais si l'on regarde encore d'un peu plus près, c’est le fonctionnement du ménage et les relations pécuniaires entretenues par les époux qui s’imposent.

Ce roman est une sorte de critique de tout ce que l'auteur déteste et qu'il va par la suite combattre : la famille traditionnelle, la bourgeoisie, la religion, la politique... Les représentations cinématographiques qui en sont issues nous invitent à pénétrer dans l'histoire des mentalités, des sentiments profonds et des secrets. Ces films offrent une vision ancienne de la famille, celle dans laquelle on ne se marie pas, mais où l'on est marié. La forme passive indique que la famille est reçue de l'extérieur. Or, le mariage étant créateur d'une famille, toute une série de conséquences en découle : le couple est-il l'élément unificateur d'une famille ? Est-ce pour son épouse126 ou pour son patrimoine que l'on se marie ?

Par ailleurs, le mariage a pour but de créer une société parentélaire. La parentalité se confond-t-elle avec la conjugalité127 ?

Les deux adaptations cinématographiques de Vipère au poing montrent que la famille est une réalité sociale et morale, non une réalité sentimentale. Néanmoins, en trente ans, la société a évolué, tout comme les souhaits des réalisateurs. L'étude de ces deux versions

124 Yves BREUIL, « Variations cinématographiques », p. 1103 in Sabine MELCHIOR-BONNET et Catherine SALLES (dir.), Histoire du mariage, Paris, Robert Laffont, 2009.

125 Sur ce point voir Ambroise Colin. Ambroise Colin opposait à l'idée de devoir « qui dominait naguère l'institution du mariage », l'idée de bonheur qui tend maintenant à s'y substituer, cf. Anne LEFEBVRE- TEILLARD, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996, p. 221. 126 Par épouse, faut-il entendre son individualité ou l’ensemble des droits sociaux qui la définissent ? 127 Ce point sera traité dans Cri de la Chouette à propos de Salomé.

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permettra de mettre en lumière le cœur de l'existence quotidienne : la vie de famille à travers le prisme de l'histoire juridique. Il s’agit donc de croiser le cinéma et le droit à travers les deux principaux thèmes abordés dans les films : l'amour et l'autorité car ils apparaissent comme les socles de la famille.

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 46-48)

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