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La famille, thème privilégié du cinéma français contemporain, comme composante de la réussite bourgeoise

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 82-88)

Parcourir les titres des films du cinéma français au cours des toutes dernières années, donne une première idée du nombre de films concernés, sans rapport avec les périodes précédentes : c’est un clair constat d’abondance qui peut être dressé quant à l’illustration de la thématique familiale. L’approche critique est conjointement éradiquée en corrélation avec le rétrécissement du périmètre narratif qui caractérise cette production. La famille apparaît bien alors comme une composante de la réussite bourgeoisie désormais prévalente dans l’imaginaire dominant.

Constat d’abondance

Les titres mêmes des films apparaissent, dans nombre de cas, comme exprimant clairement que la thématique familiale constitue l’objet narratif des films en cause. Hors de tout recensement exhaustif, il suffit de relever, par exemple en 2007 : Comme ton

père269, Demandez la permission aux enfants270, Le fils de l’épicier271, L’homme qui rêvait

d’un enfant272, Il a suffi que maman s’en aille273, Je déteste les enfants des autres274, Mon

fils à moi275, Tel père, telle fille276, La tête de maman277… Liste non exhaustive à laquelle il faudrait ajouter nombre d’autres films dont les titres ne révèlent pas directement l’objet familial, qui en constitue néanmoins la trame centrale.

En 2009, la déclinaison lexicale de nombre de titres est tout aussi significative :

Divorces278, Je suis heureux que ma mère soit vivante279, Mères et filles280, Non ma fille,

269 De Marco CARMEL (France, 2007). 270 D’Éric CIVANYAN (France, 2006). 271 D’Éric GUIRADO (France, 2007). 272 De Delphine GLEIZE (France, 2005). 273 De René FERET (France, 2007). 274 D’Anne FASSIO (France, 2007). 275 De Martial FOUGERON (France, 2005). 276 De Jacques DOILLON (France, 2006). 277 De Carine TARDIEU (France, 2007). 278 De Valérie GUIGNABODET (France, 2009). 279 De Nathan et Claude MILLER (France, 2008). 280 De Julie LOPES-CURVAL (France, 2009).

83 tu n’iras pas danser281, Le père de mes enfants282, Pour un fils283, Tellement proches284,

Une semaine sur deux (et la moitié des vacances scolaires)285… et là encore nombre de films aux titres moins explicites mais traitant encore du rapport à la famille complètent le tableau avec des comédies telles que Neuilly sa mère286, Le petit Nicolas287 ou Victor,

fallait pas l’adopter !288.

Même chose, par exemple, encore en 2011, où à côté de films comme Le Skylab289 traitant directement de réunions de famille, s’enchainent La fille du puisatier290, Le Fils à Jo291,

Mon père est une femme de ménage292, Monsieur Papa293, On ne choisit pas sa famille294,

Le roman de ma femme295, Tu seras mon fils296, Un heureux événement297… Liste toujours non exhaustive dont l’avalanche se poursuit en 2012, avec, notamment s’agissant de titres explicites : Chroniques sexuelles d’une famille d’aujourd’hui298, Comme des frères299,

Dans la Maison300, Maman301, L’oncle Charles302, Les papas du dimanche303, Un enfant

de toi304, Un jour mon père viendra305… auxquels il faudrait ajouter nombre de films aux titres moins explicites, qu’il s’agisse de Quelques heures de printemps306 sur les rapports entre mère et fils face à la mort, Parlez-moi de vous307 sur la quête de sa mère par une

281 De Christophe HONORE (France, 2009).

282 De Mia HANSEN-LФVE (France/Allemagne, 2009). 283 D’Alix De MAISTRE (France, 2008).

284 D’Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE (France, 2008). 285 D’Ivan CALBERAC (France, 2009).

286 De Gabriel JULIEN-LAFERRIERE (France, 2008). 287 De Laurent TIRARD (France/Belgique, 2010). 288 De Thomas GILOU (France, 2009).

289 De Julie DELPY (France, 2011).

290 Nouvelle version de Daniel AUTEUIL (France, 2011). 291 De Philippe GUILLARD (France, 2010).

292 De Saphia AZZEDINE (France, 2010). 293 De Kad MERAD (France, 2011). 294 De Christian CLAVIER (France, 2011). 295 De Djamshed USMONOV (France, 2010). 296 De Gilles LEGRAND (France, 2010). 297 De Rémi BESANÇON (France, 2011). 298 De Jean-Marc BARR (France, 2011). 299 De Hugo GÉLIN (France, 2011). 300 De François OZON (France, 2012). 301 D’Alexandra LECLERE (France, 2011). 302 D’Etienne CHATILIEZ (France, 2011). 303 De Louis BECKER (France, 2011). 304 De Jacques DOILLON (France, 2012). 305 De Martin VALENTE (France, 2010). 306 De Stéphane BRIZE (France, 2012). 307 De Pierre PINAUD (France, 2012).

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jeune femme née sous x, ou encore Nos plus belles vacances308, retour nostalgique dans les terres de l’enfance familiale pour les vacances…

La première opposition frontale entre la période des origines du cinéma français et la période actuelle est donc d’ordre quantitatif mais cette donnée révèle, logiquement, d’importantes mutations qualitatives en termes d’imaginaire des auteurs/réalisateurs, des publics auxquels les films sont destinés mais aussi, conjointement des regards portés sur la famille.

Le rétrécissement du périmètre narratif

La propension à traiter de manière privilégiée de la famille, outre qu’elle témoigne d’une sensible réduction du périmètre scénaristique et des préoccupations sociales, et sociétales, occultant les thématiques, de plus vaste envergure - passage du bistrot populaire au salon bourgeois -, exprime déjà, en soi, un regard pour l’essentiel, positif et valorisant de la famille.

La plupart des comédies traitant de la famille sont quasiment, par nature, dépourvues de velléités critiques et ne font jamais qu’appréhender les petits travers, inconvénients et difficultés inhérents à la vie familiale selon le paradigme, modernisé et sophistiqué, de

Papa, maman, ma femme et moi309. Nombre d’entre-elles jouent des différentes palettes de

la nostalgie, du temps qui passe, des conflits de génération, des enfants qui grandissent, des grands-parents qui disparaissent comme c’est le cas avec un film comme Le premier

jour du reste de ta vie310. Non seulement le modèle familial n’est pas récusé, n’est pas stigmatisé, mais il est souvent revendiqué.

Signe de l’insertion du cinéma dans son époque, le mariage, les enfants, la constitution d’une famille, sont revendiqués pour les couples qui en étaient privés, les couples homosexuels, avec, par exemple, Comme les autres311, plaidoyer en faveur de l’adoption pour les couples homosexuels. Coïncidence ici entre l’imaginaire cinématographique et l’évolution législative, entre les représentations du cinéma et les institutions.

308 De Pierre LELLOUCHE (France, 2011). 309 De Jean-Paul LE CHANNOIS (France, 1955). 310 De Rémi BESANÇON (France, 2008). 311 De Vincent GARENQ (France 2008).

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L’adoption et la revendication légitime d’un foyer, d’un papa et d’une maman est, par ailleurs, au cœur de plusieurs films de la même époque, tels Michou d’Auber312 attestant qu’un vil raciste, joué par Gérard Depardieu, pouvait devenir un père aimant et protecteur d’un petit arabe confié par l’assistance publique. Le cercle familial autour d’un enfant est ainsi porteur de vertus thérapeutiques même pour les individus les moins sociables. Le lien paternel comme contrepoison à la haine et à la bêtise.

Les liens du Sang313 et leurs effets coagulateurs perdurent de leur côté, même quand tout oppose deux frères dont l’un (Guillaume Canet) est policier, et l’autre (François Cluzet) un délinquant. Malgré la violence des oppositions et le caractère irrémédiable de la séparation, la menace de mort qui pèse sur l’un ressoude aussitôt la relation fraternelle. L’instinct familial et fraternel plus fort que les destinées individuelles divergentes.

Tellement proches314, comme le proclame un autre titre, que les querelles et conflits inhérents à toute communauté ne sont, le plus souvent, qu’incidents sans gravité dont l’heureuse issue découle du cadre familial lui-même, dans les nombreuses comédies sans ambition, qui ne visent, précisément, qu’à servir de miroir rassurant à l’une des seules communautés qui résiste dans le contexte du règne de l’individualisme libéral et de la compétition sociale érigée en valeur cardinale.

Autre différence majeure avec les années des origines, et autre signe du temps présent : dans la majorité des cas, les familles dont il s’agit, vivent – conformisme oblige des temps présents - dans un contexte privilégié, hors des difficultés sociales, qui constituent pourtant le lot commun d’un grand nombre des publics potentiellement concernés par le cinéma.

De la distinction sociale

Sauf exceptions, point de petites gens, point d’ouvriers, point de paysans, point de classes populaires dans le cinéma français contemporain. On est désormais loin des ruraux

312 De Thomas GILOU (France, 2005). 313 De Jacques MAILLOT (France, 2008).

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de Goupi mains rouges315, loin des rudes travailleurs des carrières du Val d’Enfer316 ou du petit peuple du métro parisien des Portes de la Nuit317.

La Bourgeoisie aisée, le plus souvent mise en scène, par le cinéma français contemporain, est essentiellement confrontée à des problèmes d’héritage et de transmission, de confrontation patrimoniale en forme d’antithèse du cadre prolétaire des origines.

Deux films, de 2008, dus à deux des auteurs les plus représentatifs du cinéma actuel et des plus respectés par la critique cinéphilique, Olivier Assayas et Arnaud Despleschin, sont à cet égard significatifs et peuvent servir d’illustrations emblématiques.

Dans L’heure d’Eté318 d’Olivier Assayas, la famille est réunie dans la grande et belle demeure familiale pour fêter les 75 ans de la grand-mère. Pendant qu’une bande de beaux et joyeux petits enfants s’ébrouent dans le grand parc alentour, les trois enfants-adultes doivent s’interroger sur l’héritage incluant l’œuvre picturale de l’oncle décédé, à la postérité de laquelle, leur mère (Edith Scob) a consacré une partie de sa vie. Famille brillante, réussites individuelles, dans le design aux Etats-Unis pour la première, dans le marketing en Chine pour le deuxième, dans la littérature à Paris pour le troisième. Casting en adéquation avec le paradigme de la réussite, fondé sur trois acteurs appréciés des producteurs, Juliette Binoche, Jérémie Régnier, Charles Berling.

Les protagonistes d’Un conte de Noël319 d’Arnaud Desplechin n’ont pas grand-chose à leur envier même si le film commence devant un tribunal par la mise en faillite de l’un des fils, propriétaire, mais mauvais gestionnaire, d’un théâtre. Sa sœur dispose d’une fortune personnelle suffisante pour racheter la totalité de ses dettes, conditionnée par un bannissement du fils prodigue du cercle familial. La famille se réunira néanmoins dans la toute aussi belle et grande maison de Roubaix, même si les enjeux sont d’une tout autre ampleur, mais que dans le film d’Olivier Assayas, eux-mêmes révélateurs de la puissance des liens familiaux : trouver un donneur compatible, de moelle osseuse pour sauver la mère (Catherine Deneuve) atteinte d’une leucémie…

Mais le cinéma de pur divertissement n’est pas en reste et des dizaines de déclinaisons des mêmes valeurs familiales pourraient être ici évoquées. Ainsi, par exemple, dans Le héros

315 De Jacques BECKER (France, 1943). 316 De Maurice TOURNEUR (France, 1943). 317 De Marcel CARNE (France, 1946). 318 (France, 2007).

87 de la famille320. Le sujet est conçu, une nouvelle fois, autour des mêmes profonds enjeux sociétaux : l’héritage, en l’occurrence d’une boîte de nuit. Toutes les générations de la famille sont donc réunies à cet effet et elles sont, significativement, là encore, incarnées par une pléiade de vedettes susceptibles de rentabilité financière pour les producteurs, témoignant elles-mêmes des vertus de la réussite sociale (Catherine Deneuve, Gérard Lanvin, Emmanuelle Béart, Valérie Lemercier, Miou-Miou… autour du patriarche Claude Brasseur)…

Autant de traits attestant de considérables contrastes, d’une spectaculaire mutation entre deux périodes du cinéma français quant à la représentation de la famille. Contrastes, qui, faut-il le préciser, expriment conjointement les considérables mutations subies par la société française elle-même.

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