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Björn SONNENBERG-SCHRANK

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 172-175)

M.A. et doctorant en études cinématographiques à l'Université de Cologne

La famille en tant qu’unité fondamentale et culturelle de la société constitue un objet d’étude pour des chercheurs de domaines aussi différents que la sociologie, l’histoire, le droit, l’anthropologie, ainsi que les études culturelles, et les études cinématographiques ou littéraires. Dans ce chapitre, nous nous focaliserons sur la représentation cinématographique de la famille, à savoir « la famille au cinéma ». Lorsque l’on analyse les films où la famille apparaît à l’écran, un motif fréquent et récurrent montre l’interaction des familles à table. Il est évident que pour diverses raisons la table du repas n’est pas seulement importante, mais pour des besoins pratiques elle est aussi essentielle puisqu’elle est la façon la plus appropriée d’organiser des gens à l’écran (surtout une famille) et de montrer clairement au spectateur leur affiliation. On pourrait presque dire : pas de famille sans table.

Nous présenterons des approches théoriques de la table du repas afin de souligner son ubiquité comme objet et symbole, avec une parenthèse sur les Beaux-Arts, avant d’aborder la discussion centrale qui porte sur certains films exemplaires dans lesquels la table est l’espace où ont lieu des situations structurantes. Notre échantillon comprend principalement des films américains qui sont organisés autour d’adolescents, puisque pour ces films le fait qu’ils appartiennent à une famille (ou à une structure familiale) est un facteur beaucoup plus important que pour les récits qui s’articulent autour d’adultes, qui, eux, sont plus indépendants.

579 Le titre original de l’article est : « The Dinner Table, a Battle Field. Adolescence and Family in American

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Les films d’adolescents, dits « teen films » constituent un vrai genre américain580 qui est fait de différents genres, sous-genres et de cycles, et dont les débuts remontent à la deuxième guerre mondiale. Cet énorme corpus de films et de productions de télévision cible un public d’adolescents, et les emploie souvent comme protagonistes en les plaçant dans leur milieu naturel. Le trope le plus important des « teen films » est la quête d’identité et d’indépendance de l’adolescent racontée à travers l’initiation personnelle et sociale qui est associée à un rite de passage à l’âge adulte. Ces films constituent, pour la culture de masse la contrepartie cinématographique au bildungsroman, le roman d’apprentissage de la littérature, genre toujours d’actualité et dont les racines remontent aux romans du 19ème siècle.

En réalité les adolescents naviguent principalement dans des espaces contrôlés par les adultes, généralement ceux de leur famille, leur maison, et de leur école. Les adolescents du grand écran ne sont à cet égard pas si différents : les lieux courants de ce genre de récits sont les Highschools, c’est à dire des lycées américains (avec leurs couloirs, leurs

cafétérias, leurs salles de sport, leur terrain de foot et leurs toilettes, tous typiques et facilement reconnaissables), ou la maison familiale, dans ce cas, le film se transforme en une négociation sur les conventions, les fonctions et la signification de la famille.

Non seulement la maison familiale est architecturale, une extension matérielle de la sphère privée, mais la famille nucléaire est aussi (comme unité sociétale dans un contexte plus large) « une petite société dans La Société ». La famille peut être comprise comme un microcosme de la société et en tant que tel elle suit la même subdivision ; ainsi la maison familiale (comme lieu cinématographique et réel) est divisée en deux parties, une sphère publique et une sphère privée. Cette division correspond à la structure binaire établie dans la Grèce antique de l’oikos et de la polis : les sphères privées et publiques, ou la sphère personnelle et sociale, étudiées notamment par Hannah Arendt ou par Jürgen Habermas, dans différents contextes historiques et sociétaux581. En ce sens, les lieux dans lesquels les protagonistes évoluent sont chargés de sens et de pouvoir d’agencement. A y regarder de

580 L’adjectif américain, impliquant la diversité multinationale du continent entier et comprenant le Nord et le Sud de manière égale, sera utilisé dans cet article uniquement pour nommer les Etats-Unis. Nous précisons que nous ne nous joignons pas à l’hégémonie linguistique des Etats-Unis.

581 Hannah ARENDT, Vita Activa oder vom Tätigen Leben [1981], 6ème edition, Munich: Piper 2007 ; Jürgen HABERMAS, The Structural Transformation of the Public Sphere: An Inquiry Into a Category of Bourgeois Society [Strukturwandel der Öffentlichkeit. Untersuchungen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft, [1962], Cambridge, MA: MIT Press, 1991.

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plus près, chaque appartement ou maison familiale devient un musée ethnologique qui démontre, affiche ou même permet aux spectateurs de tirer des conclusions concernant le contexte culturel à partir duquel ces lieux émergent. Afin d’illustrer l’idée de la division en espace privé et publique de la famille et des adolescents, voici quelques exemples. La chambre est l’espace privé le plus évident. Les théoriciennes de la culture féministe que sont Angela McRobbie et Jenny Garber, dans leurs travaux sur ce qu’elles appellent « bedroom culture », la culture de la chambre582, ont observé que cette dernière est liée à la personnalité de ses habitants. Dans la perspective de l’individu (ici l’adolescent), la chambre représente un espace privé et personnalisé à l’intérieur de l’environnement collectif (c’est à dire non privé) qu’est la maison familiale. Dans les films et programmes de télévision populaires, la cuisine est généralement considérée comme l’espace de la mère, ange du foyer, et le garage celui du père, la salle à manger est le seul espace qui appartient collectivement à la famille, qui est sa sphère publique, pour ainsi dire583.

Afin d’examiner la notion de famille dans un contexte cinématographique, nous allons nous concentrer sur les représentations cinématographiques de la salle à manger familiale et de sa pièce maîtresse, la table du repas. C’est la table qui avant tout incarne la famille comme idée et en tant qu’unité sociale et culturelle ; en organisant les membres de la famille dans l’espace, la table donne forme au développement des personnages et à la dynamique de leurs relations.

582 Concernant le rôle de la chambre dans la participation de filles adolescentes aux subcultures, elles écrivent : « la culture des ados peut facilement être intégrée dans la maison, elle nécessite simplement une chambre et un tourne-disque et la permission d’inviter des amis ; mais dans cette adaptabilité même elle pourrait offrir aux filles l’opportunité de prendre part à un rituel quasi-sexuel... La culture offre également la possibilité de s’exposer à la fois en privé et en public – la chambre recouverte de posters ou le concert de rock. » (186-87) Angela MCROBBIE and Jenny GARBER, “Girls and Subcultures”, p. 177-88 in Stuart HALL and Tony JEFFERSON (Eds.), Resistance Through Rituals:Youth Subcultures in Post-War Britain [1975], New York: Routledge, 2006.

583 Cependant il faut faire une distinction, puisque les espaces comme la cuisine ou le garage sont semi- privés, semi-publics, selon qui y fait quoi. Lorsque d’autres membres de la famille les traversent, ils deviennent publics (par exemple lorsque quelqu’un va à la cuisine pour prendre quelque chose dans le réfrigérateur, ou doit chercher quelque chose dans le garage). Mais lorsqu’on dit qu’ils appartiennent respectivement à maman ou à papa, comme étant leur domaine spécifique et qu’il est associé aux rôles spécifiques qu’ils y accomplissent, ils deviennent également des espaces privés – ainsi que des espaces sexospécifiques.

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Le pouvoir d’agencement de la table du dîner : un bref aperçu

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