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Jacques VIGUIER Professeur de droit public

Dans le document LA FAMILLE, LE DROIT ET LE CINEMA. (Page 195-199)

Université Toulouse I Capitole I

Institut du droit de l’énergie, des territoires et de la communication (IDETCOM - EA 785)

Le Parrain609, Le Parrain 2610 et Le Parrain 3611 constituent une saga tournant autour de la même famille, les Corleone, du nom du village d’où est originaire le Parrain fondateur de la famille, Vito Corleone (Marlon Brando dans Le Parrain, Robert de Niro dans Le Parrain 2). Au long des trois films, on suit principalement deux personnages : Vito, qui reçoit comme patronyme le nom de son village par une simplification des services de l’immigration, comme on le voit dans Le Parrain 2 ; son fils Michael (Al Pacino), qui reprend la direction de la famille.

Le réalisateur des trois œuvres, Francis Ford Coppola - qui, d’ailleurs, avait mis Ford entre son prénom et son nom, en hommage à John Ford, au début de sa carrière, puis l’avait retiré, certainement pour montrer son autonomie - les a comprises comme un ensemble dans lequel la famille est omniprésente. Francis Coppola est célèbre pour de nombreuses autres œuvres – il fait partie de la génération très cinéphile612 des Martin Scorsese, Steven Spielberg et Georges Lucas. Né en 1939, il a réalisé son premier film en 1963, Dementia

13613. Puis il a enchaîné les œuvres, avec un grand projet destiné, comme le rêvent tous les

réalisateurs, à obtenir une autonomie absolue par rapport aux producteurs vus toujours comme castrateurs par les réalisateurs. Ce grand projet consistait en la création de studios lui appartenant. Ce fut l’aventure Zoetrope studios, qui se termina hélas par une faillite, conduisant Francis Coppola à réaliser quelques films de commande, sur lesquels il réussira

609 The Godfather/Le Parrain (États-Unis, 1972).

610 Francis Ford COPPOLA, Mario Puzo's The Godfather: Part II/Le Parrain 2 (États-Unis, 1974). 611 Francis Ford COPPOLA, Mario Puzo's The Godfather: Part III/Le Parrain 3 (États-Unis, 1990).

612 Comme leurs confrères français, plus jeunes, de la Nouvelle vague. D’ailleurs Steven Spielberg avait attribué à François Truffaut un rôle important dans Close encounters of the third kind/Rencontres du troisième type, (États-Unis, 1981), pour bien marquer cette parenté entre les réalisateurs séparés par une génération et l’Atlantique.

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généralement à imprimer son style. Parmi les tournages sinistrés, mais aboutissant à un succès mondial, il y eut Apocalypse Now614, qui obtint la Palme d’Or à Cannes. Distinction qui le place d’ailleurs dans le club très fermé des détenteurs de deux Palmes d’Or, car il l’avait décrochée en 1974 pour The Conversation615. Parmi les films marquants, on peut citer encore Rumble fish616, The Cotton Club617, Tucker: the man and

his dream618, The Rainmaker619, mais on pourrait en mentionner bien d’autres.

Dans la carrière de Francis Coppola, les trois Parrain occupent une place à part. Reconnaissance de la critique, surtout pour Le Parrain 2, adhésion du public, il est rare que les deux éléments se combinent.

Il est difficile de résumer les trois Parrain. Chacun possède une intrigue complexe et riche de multiples rebondissements. Pour essayer de se livrer à un simple rappel, il est possible d’indiquer que Le Parrain conte l’activité de Vito Corleone (Marlon Brando), âgé et voulant passer la main à ses fils. Le successeur logique, c’est l’aîné, Sonny (James Caan), mais celui-ci est abattu dans un traquenard tendu à un péage d’autoroute. Le cadet, Michael (Al Pacino), qui a suivi des études, et pour lequel Don Vito espère une carrière politique honorable, finit par reprendre les rênes de la famille. Il semblait au départ ne pas se plier à la solidarité familiale édifiée dans l’illégalité, il finit par être le successeur qui la reconstruit. Son frère, Fredo (John Cazale) semble y échapper, ainsi que sa sœur, Connie (Talia Shire), ou même sa femme, Kay (Diane Keaton). Quand Vito prend sa retraite, Michael va régler les comptes avec les ennemis de la famille Corleone.

Le Parrain 2, peut-être le plus abouti dans sa structure et son scénario, permet de suivre le

destin croisé de Vito Corleone jeune (Oreste Baldini), partant de sa Sicile natale, et le destin de Michael exerçant son autorité de parrain sur la famille au double sens du terme (étroit et large). Une date est donnée au début du film, lorsque le petit Vito est en quarantaine pour la variole : « Vito Corleone, Ellis Island 1901 ». Puis il y a un fondu enchainé sur un enfant remontant l’allée centrale d’une église pour sa communion : « son petit-fils, Anthony Vito Corleone, Lake Tahoe Nevada 1958 ». Plus tard un carton nous ramène à Vito620, et le film sera une suite d’allers retours entre Vito jeune (Robert de Niro)

614 Francis Ford COPPOLA, Apocalypse Now (États-Unis, 1979).

615 Francis Ford COPPOLA, The Conversation/Conversation secrète (États-Unis, 1974). 616 Francis Ford COPPOLA, Rumble Fish/Rusty James (États-Unis, 1983).

617 Francis Ford COPPOLA, The Cotton Club/Cotton Club, (États-Unis, 1984).

618 Francis Ford COPPOLA, Tucker: The Man And His Dream/Tucker (États-Unis, 1988). 619 Francis Ford COPPOLA, The Rainmaker/L’idéaliste (États-Unis, 1997).

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et Michael. Vito construit petit à petit son empire appuyé par des amis qui étaient, plus âgés, présents dans Le Parrain, comme Clemenza (B. Kearby Jr.), Michael continue à exercer son pouvoir sur la famille. Il s’engage dans des affaires à Cuba, en liaison avec Hyman Roth (Lee Strasberg), qui le trahit. La Mama Corleone (Morgana King) meurt et Michael fait tuer son propre frère Fredo, qui l’avait trahi, lui aussi.

Le Parrain 3, alors que les deux premiers s’enchaînaient, nous fait faire un saut dans le

temps. Nous nous trouvons en 1979 (quinze ans entre le deuxième et le troisième Parrain) avec une grande cérémonie, celle de la remise à Michael d’une distinction de l’Église catholique, l’Ordre de Saint Sébastien-le-Martyr. Michael a créé la Fondation Vito Corleone, dont sa fille Mary (Sofia Coppola) est présidente. Al Pacino défend son empire contre la concurrence non avouée de Don Altobello (Eli Wallach) et de Don Lucchesi (Enzo Robutti). Michael veut absolument être reconnu par l’Église à laquelle il a fait des dons. Ce qu’il avait promis autrefois à Kay, il essaie de le réaliser, mais il est trop tard pour leur couple, Kay étant remariée à un juge. Michael adore, comme tout père, sa fille ; il ne voit pas d’un bon œil qu’elle fréquente un fils naturel de son frère Sonny, Vincent Mancini (Andy Garcia), membre de la famille, violent et impulsif. Quand à Anthony Vito (Franc d’Ambronsio), il ne veut pas s’occuper des affaires familiales, mais devenir chanteur d’opéra. Il doit chanter en Italie « Cavalleria Rusticana ». Celui qui va reprendre les rênes de la famille, c’est Vincent Mancini. Amoureux de Mary, il aura dû rompre avec elle, selon le désir de Michael, pour pouvoir reprendre la tête du clan. Cela n’empêchera pas la mort de Mary, touchée par des projectiles qui devaient atteindre son père.

La famille est au centre des Parrain, famille de sang, famille de cœur, famille d'intérêt. Cependant il est difficile d’en traiter tous les aspects, en particulier ceux qui touchent au clan, qui est la famille élargie, dont Vito Corleone, puis son fils, Michael, puis Vincent Mancini seront les chefs successifs.

Une famille constitue une entité juridique. Le couple est uni par le lien juridique et le lien social du mariage et s’occupe des enfants. Et il en découle logiquement une solidarité familiale forte entre les différents membres du groupe cellulaire. Nous aurions pu élargir à la solidarité à l’intérieur du clan, mais dans le cadre d’une courte étude, nous nous focaliserons surtout sur la solidarité dans le groupe familial restreint. Certes la solidarité du clan au sens large existe ou elle est imposée à ses membres, au risque de voir éliminer celui qui n’obéirait pas suffisamment ou, plus grave, qui serait traître à son camp. La

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solidarité apparaît naturelle entre la famille au sens étroit et la famille au sens large. Au cours de la scène de mariage, dans Le Parrain, on voit ces hommes de main « attendrissants », l’un faisant danser une petite fille, l’autre - Clemenza (Richard Castellano) - se lançant dans une danse endiablée, puis réclamant à boire. Dans Le Parrain

2, quand on fait connaissance avec un Clemenza maigre, il y a déjà une solidarité avec

Vito, puisqu’il lui offre un tapis, celui-ci ayant caché des armes qui lui appartenaient. Et Pentangeli (Michael V. Gazzo), le « successeur » de Clemenza, insiste sur le fait de vouloir fonder sa famille, mais Michael lui rappelle qu’il fait partie de la famille Corleone. Par ailleurs Michael veut aussi être parfaitement reçu dans la grande famille constituée par l’Église catholique621.

C’est donc le cadre étroit qui sera choisi pour étudier cette saga qui s’étale du début du XXe siècle aux années soixante-dix. Cette solidarité familiale dans les films doit beaucoup à la solidarité familiale du clan Coppola dans la vie622. Le père de Coppola est compositeur, sa sœur, Talia Shire, interprète la sœur de Michael, Connie, et sa fille, Sofia Coppola, Mary, la fille de Michael623.

La famille Corleone, au sens étroit, est fortement fondée sur la solidarité autour du premier Parrain, Vito, même s’il y a des hauts et des bas, en particulier dans les rapports entre les frères et sœurs. Cependant la survie de la famille elle-même est fondée sur cette solidarité. Le sénateur Geary (G. D. Spradlin) dans Le Parrain 2, parle de « vous et de votre foutue famille ». Même ceux qui croient pouvoir y échapper se la voient imposer et

621 On voit dans Le Parrain 3 Michael, qui tient à se voir reconnaître par la grande famille de l’Église, en se faisant décorer d’un ordre ecclésiastique grâce au directeur de la Banque du Vatican, l’archevêque Gilday (Donal Donnelly), certainement, en espérant racheter tous ses crimes, mais ce n’est pas aussi simple. On peut s’interroger d’ailleurs sur le fait de savoir si Michael est croyant ou pas. La question n’est jamais directement posée. On peut parfois penser qu’il accomplit les rites, qui correspondent à sa personnalité de plus en plus hiératique, sans y croire vraiment. En même temps, dans Le Parrain 3, son attitude devant le cercueil de Don Tommasino laisse à penser qu’il croit. Il dit : « Donnez-moi une chance de me racheter et je ne pécherai plus jamais ». Peut-être sa foi s’est-elle déclarée en vieillissant, comme cela arrive à de nombreuses personnes ?

622 « Le fait de travailler avec des membres de ma famille était un des choix qui a fait du film ce qu’il est. Si ma sœur, ma fille, mon père ne s’étaient pas impliqués, le film aurait été totalement différent » in « Entretien de Iannis Katsahnias et Nicolas Saada avec Francis Ford Coppola », Les Cahiers du cinéma, n° 442, p. 29. 623 « J’avais toujours en tête ma propre famille quand j’ai écrit le scénario. C’était déjà le cas pour les deux premiers Parrain. Ma sœur Talia, par exemple, joue le rôle de Connie Corleone. Quand je faisais des choix dans l’écriture du scénario des trois Parrain, je les basais en général toujours sur quelque chose que j’avais connu personnellement. Maintenant j’ai vieilli : j’ai un fils et une fille. Je me suis efforcé d’écrire ces personnages en m’inspirant de mes enfants. J’avais même au départ pensé donner le rôle de la fille de Michael à ma fille, parce qu’elle lui ressemble. Puis je me suis dit qu’il fallait une actrice plus expérimentée. J’ai donc choisi Wynona Ryder et quand, plusieurs mois plus tard, elle s’est révélée indisponible, il me semblait qu’au bout du compte ma fille convenait pour le rôle. » in Les Cahiers du cinéma, op.cit., p. 28. Dans les bonus du DVD, James Caan confirme que « Francis est quelqu’un de très famille » et Eleanor Coppola, la femme de Francis, dit que Diane Keaton s’est inspirée d’elle pour interpréter Kay.

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ils finissent par l’accepter. En étudiant la famille comprise au sens étroit du père, de la mère, des frères et sœurs, nous sommes conduits à évoquer la solidarité dans le couple, puis la solidarité dans le rapport parents-enfants et enfin la solidarité dans la fratrie.

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