CHAPITRE 1 :L’INFLUENCE DE L’ORAL SUR L’ECRIT
5. Syllabe phonologique ou orthographique ? Une illustration du débat entre médiation
5.1. La syllabe phonologique, une illustration de la médiation phonologique obligatoire
Lorsque la question d’une possible unité de traitement syllabique a initialement été
posée en production écrite, la nature de la syllabe n’a pas immédiatement été interrogée.
Ainsi, le découpage syllabique effectué dans l’ensemble des études rapportées ci-dessous est
directement dérivé de celui qui aurait été réalisé à l’oral.
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Pour mettre en évidence le rôle de la syllabe chez l’adulte, Kandel, Álvarez et
Vallée (2006) ont demandé à des participants français de copier une série de mots en
majuscules et ont manipulé la structure syllabique des mots présentés. Les mots possédaient
soit une structure CCV
17, soit une structure CCVC. Chaque mot ayant une structure CCV
était appareillé avec un mot ayant une structure CCVC sur les quatre premières lettres (e.g.
tra.ceur vs trac.tus). L’intérêt d’une telle manipulation est que seul l’emplacement de la
frontière syllabique, matérialisé sur les exemples par un point, change. L’écriture en
majuscules des participants a aussi permis d’analyser les intervalles interlettres (ILI), à
savoir la durée de pause entre chaque lettre, et donc de comparer les durées de pause à la
frontière syllabique du mot CCV (e.g. tra_ceur) avec son équivalent de la condition CCVC
(e.g. tra_c.tus). L’hypothèse classiquement proposée est que si la syllabe est l’unité de
préparation motrice choisie, alors le temps à la frontière syllabique devrait être plus long que
les autres temps interlettres du mot. C’est effectivement ce qui a été observé par les auteurs.
Des résultats similaires ont également été retrouvés en espagnol (Álvarez, Cottrell &
Afonso, 2009). De plus, l’étude de participants bilingues français-espagnol (Kandel et al.,
2006b) révèle que pour un « même mot
18», la durée des ILI varie en fonction de la
localisation de la frontière syllabique. Ainsi, pour le mot « consigner », la durée ILI était
plus longue entre la lettre i et la lettre g qui forme la frontière syllabique en français, tandis
que cette durée était plus longue entre la lettre g et la lettre n en espagnol. La syllabe semble
donc être, chez l’adulte, une unité de traitement à l’écrit, en français et en espagnol.
Analysée également au cours de l’apprentissage de l’écriture, la syllabe est aussi une
unité de programmation motrice chez l’enfant. Kandel et Valdois (2006a) ont interrogé des
enfants français de CP (6 ans et 8 mois en moyenne), CE1 (7 ans et 8 mois en moyenne),
CE2 (8 ans et 10 mois en moyenne), CM1 (9 ans et 8 mois en moyenne) et CM2 (10 ans et
11 mois en moyenne). Les enfants avaient pour consigne de copier des mots bisyllabiques
et des pseudo-mots tandis que les auteures ont enregistré à la fois la dynamique de leur
écriture et leurs mouvements oculaires avant et pendant l’écriture. L’analyse des
mouvements oculaires révèle que chez les enfants de CP et de CE1, la consultation du
modèle est souvent nécessaire au cours de l’écriture. De plus, l’emplacement de la fixation
oculaire correspondait souvent à la frontière syllabique du mot, ce qui semble indiquer que
17 Dans les acronymes désignant les structures syllabiques, C renvoie à consonne et V à voyelle.
18 Les auteurs ont pour cela utilisé des mots cognates qui sont des mots dont l’orthographe n’est pas ou
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pour les enfants de CP et CE1 la syllabe serait une unité visuelle pertinente (résultat répliqué
par Kandel & Valdois, 2006b). En revanche, dès le CE2, l’enfant semble capter le mot en un
regard et cette « syllabe visuelle
19» ne serait plus utilisée. Concernant l’analyse de la
dynamique de l’écriture, les auteures relèvent systématiquement un déclin de la durée
d’écriture à partir de la première lettre de la seconde syllabe. Ceci suggère que la
programmation de la seconde syllabe interviendrait avant son initialisation, peut-être même
pendant l’exécution de la première syllabe. La syllabe serait ainsi l’unité sur laquelle
s’appuient les enfants (quel que soit leur niveau) pour stocker l’information pour la
programmation motrice de l’écriture. Les mots seraient ainsi stockés comme un ensemble
graphosyllabique dans le module orthographique et ils seraient écrits par l’activation d’une
unité motrice basée sur la syllabe. Kandel et Valdois (2006b) ont rapporté des résultats
différents chez les enfants espagnols. Dès le CP (6 ans et 8 mois en moyenne), les enfants
utiliseraient une unité visuelle globale, ce qui indique que la transparence de la langue
influence le choix de la taille de l’unité visuelle. De plus, chez les enfants espagnols, aucune
augmentation dans la durée du mouvement n’a été observée à la frontière syllabique pour la
copie de mots bisyllabiques, ce qui semble indiquer que les syllabes sont programmées avant
même le début de la copie. Soler et Kandel (2009) ont néanmoins rapporté que, pour des
mots trisyllabiques, les enfants (âgés de 6 ans et 6 mois en moyenne) marquent une pause à
la frontière syllabique entre la deuxième et la troisième syllabe. Les mots plus complexes
conduisent ainsi les enfants espagnols à recourir à l’unité syllabique. Cette différence entre
les enfants français et les enfants espagnols a été répliquée chez des enfants bilingues
français-espagnol de CP (âgés de 6 ans et 7 mois en moyenne) et de CE1 (âgés de 7 ans et
8 mois en moyenne), ce qui indique que ces différences sont bien dues à la structure de la
langue et non à des différences interindividuelles ou à des facteurs environnementaux
(Kandel & Valdois, 2006b). En catalan, une étude longitudinale menée auprès d’enfants âgés
de 5 ans et 7 mois en moyenne a également montré que la syllabe joue un rôle quatre mois
après le début de la scolarisation des enfants en CP, pour des mots bisyllabiques. Pour les
mots trisyllabiques, il faut en revanche attendre trois mois supplémentaires pour observer un
effet similaire, ce qui semble traduire une appropriation de mots plus complexes
(Vilageliu & Kandel, 2012). La comparaison d’enfants de CP français (âgés de 6 ans et
5 mois en moyenne) et catalans (âgés de 6 ans et 6 mois en moyenne) a également répliqué
19 La notion de syllabe visuelle désigne le découpage syllabique effectué par l’enfant pendant qu’il regarde le
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les résultats observés en français, à savoir une anticipation dans la préparation de la syllabe
avec une augmentation dans la durée du mouvement aux frontières syllabiques (Kandel &
Soler, 2010). En revanche, en catalan, la première syllabe semble préparée avant le début de
l’écriture et la seconde au cours de l’écriture. En effet, chez les enfants catalans aucune
augmentation dans la durée du mouvement n’était relevée à la frontière syllabique.
Pris ensemble, comme l’indiquent Zhang et Wang (2014), ces résultats dénoteraient
clairement l’influence de la phonologie en production écrite.
5.2. La syllabe orthographique, une illustration de l’autonomie des codes
Dans le document
Influences réciproques entre le langage écrit et le langage oral
(Page 52-55)