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Modélisation de la production de mots isolés à l’oral

CHAPITRE 2 :L’INFLUENCE DE L’ECRIT SUR L’ORAL

3. Quelle influence pour l’orthographe en production orale de mots isolés ?

3.1. Modélisation de la production de mots isolés à l’oral

Dans les différentes modélisations proposées pour expliquer la production orale

(Dell, 1986, 1988, 1990 ; Dell & O’Seaghdha, 1991, 1992 ; Dell et al., 1997 ; Humphreys et

al., 1988 ; Levelt et al., 1999), il existe de très nombreuses divergences concernant : le

nombre de niveaux de traitement (e.g. Levelt et al. (1999) en proposaient sept contre

seulement trois pour Dell et al. (1997)), les processus de sélection des représentations

utilisées à chaque niveau (e.g. inhibition, compétition, etc.), ou encore la façon dont les

traitements s’effectuent (e.g. conception discrète

35

pour Levelt et al. (1999) ; conception

interactive

36

pour Dell et al. (1997) ; conception en cascade

37

pour Humphrey et al. (1988)).

Caramazza (1997) indique finalement qu’il n’y a que deux points sur lesquels l’ensemble

des chercheurs tombent d’accord : d’une part, les niveaux de représentation sémantiques,

syntaxiques et lexicaux sont admis comme étant indépendants, et d’autre part l’accès à ces

niveaux de représentation est probablement séquentiel.

Bonin et al. (1997) ont toutefois souligné un autre point commun à ces modèles

proposés : aucun d’eux ne discute d’un rôle potentiel pour l’orthographe, ce qui semble

indiquer que pour ces auteurs (Dell, 1986, 1988, 1990 ; Dell & O’Seaghdha, 1991, 1992 ;

Dell et al., 1997 ; Humphreys et al., 1988 ; Levelt et al., 1999) les représentations

orthographiques ne sont pas (ou très moindrement) activées en production orale.

L’absence d’un niveau orthographique indique que les données utilisées pour la

formulation de ces différents modèles – précisées dans le Tableau 4 ci-dessous – ne

nécessitaient pas l’intervention d’un niveau orthographique pour être modélisées (bien qu’il

soit également possible d’envisager que les données utilisées jusqu’ici ne permettaient pas

non plus de mettre en évidence un éventuel effet orthographique).

35 Conception sérielle discrète : le niveau de traitement au niveau n+1 ne commence que lorsque le niveau de traitement au niveau n est terminé.

36 Conception en cascade : le traitement peut débuter à un niveau n+1 avant la fin du traitement au niveau n, à partir du moment où le traitement effectué au niveau n est suffisant pour activer le niveau n+1.

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Tableau 4 : Résumé des différents jeux de données utilisés pour chaque modèle

Modèle proposé par… À partir de données … Pour modéliser

Levelt et al. (1999) En temps réel chez des sujets typiques

(s'inspire également des erreurs de production)

Production orale

Dell et al. (1997) Issues d’analyses d’erreurs chez des sujets

typiques et des patients cérébrolésés

Production orale

Humphrey et al. (1988) En dénomination d’images chez des sujets

typiques et des patients cérébrolésés

Production orale d'images

Caramazza (1997)

En neuropsychologie cognitive (inclut aussi des données issues de sujets

typiques)

Production orale et écrite

Bonin et al. (1997)

Se basent sur les visions proposées par les chercheurs qui étudient la production orale et les

recherches en neuropsychologie étudiant la production écrite.

Production orale et écrite

Le modèle en Réseau Indépendant (IN) proposé par Caramazza (1997) se démarque

néanmoins des autres modèles en proposant un niveau orthographique (lexème

orthographique). La présence de ce niveau orthographique, qui s’avère particulièrement

intéressante pour la présente thèse, vient avant tout de la volonté de modéliser à la fois la

production orale et la production écrite. Ainsi, la proposition d’un niveau lexème

orthographique est uniquement avancée pour expliquer la production écrite.

Caramazza (1997) désignait d’ailleurs les lexèmes orthographiques et phonologiques

comme des représentations lexicales d’une modalité de sortie spécifique, indiquant que

chaque lexème contribuait respectivement à une sortie : écrite ou orale. De plus, seule une

influence des lexèmes phonologiques sur les lexèmes orthographiques est discutée par

Caramazza afin de questionner la médiation phonologique obligatoire en production écrite

(pour une revue de question, voir le Chapitre 1). À aucun moment une influence des lexèmes

orthographiques sur les lexèmes phonologiques n’est envisagée.

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Dans le modèle Réseau Indépendant (Figure 8), les connaissances lexicales sont

organisées sous forme de réseaux indépendants connectés entre eux par un nœud lexical

spécifique à chaque modalité (orale ou écrite). La production d’un mot implique tout d’abord

la sélection d’une représentation sémantique qui propage son activation aux réseaux

syntaxiques

38

(flèche pointillée, Figure 8) et lexémiques orthographiques et phonologiques

(flèches en trait plein, Figure 8). La transmission de l’activation du niveau sémantique vers

les niveaux syntaxiques et lexémiques est simultanée et indépendante. Par la suite, les

lexèmes phonologiques transmettent l’activation reçue pour permettre la production d’un

mot à l’oral (les lexèmes orthographiques réalisant la même opération pour produire un mot

à l’écrit).

38 Dans le modèle en Réseau Indépendant, Caramazza (1997) fait l’hypothèse que l’activation reçue depuis le

niveau sémantique vers le niveau syntaxique n’est pas suffisante pour récupérer les caractéristiques

grammaticales du mot. La sélection des caractéristiques grammaticales est donc réalisée par les niveaux lexèmes.

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Seuls Bonin et al. (1997) ont envisagé un rôle pour l’orthographe en production orale.

Dans le modèle proposé par Bonin et al. (1997) illustré ci-dessous (Figure 9), la production

d’un mot (orale comme écrite) débute par l’activation des concepts, qui permet d’activer des

lemma

39

. Deux hypothèses alternatives sont proposées : soit le lemma active les lexèmes

orthographiques et phonologiques en production orale (comme en production écrite), soit il

active uniquement les lexèmes phonologiques en production orale (et uniquement les

lexèmes orthographiques en production écrite). Pour tester ces hypothèses, Bonin et al.

(1997) ont proposé à leurs participants une tâche d’interférence image-mot, au sein de

laquelle une image cible était à chaque fois accompagnée d’un distracteur. Ils ont

manipulé : la nature de l’amorce (visuelle ou auditive), le SOA (0 ms ou +150 ms) et le lien

existant entre l’image cible et le distracteur (uniquement orthographique, uniquement

phonologique, orthographique et phonologique) – pour plus de détails sur la procédure,

se reporter au Chapitre 1, partie 4.2.1. La tâche du participant était à chaque fois de nommer

l’image cible tout en ignorant le mot distracteur. Si l’accès aux lexèmes orthographiques et

phonologiques en production orale se fait en parallèle, alors une facilitation orthographique

et phonologique était attendue à tous les SOAs. Si, à l’inverse, seule la phonologie est activée

à l’oral, alors un effet de facilitation de la condition phonologique ainsi que de la condition

orthographique et phonologique était attendu avec un SOA neutre (mais pas avec le SOA de

+150 ms). En revanche, aucun effet de facilitation n’était attendu avec la condition

uniquement orthographique.

L’analyse des temps de réaction a révélé des résultats inattendus. Lorsque le

distracteur était présenté visuellement, aucun effet de facilitation phonologique n’était

observé. Seul un effet de facilitation de la condition uniquement orthographique était

observé. Cet effet reste néanmoins marginal dans le sens où seule l’analyse par participant

était significative. Lorsque le distracteur était présenté auditivement, seul un effet de

facilitation de la condition uniquement orthographique était observé avec un SOA neutre.

Cet effet est également observé à un SOA de +150 ms, bien qu’il s’agisse là encore d’un

effet marginal (seule l’analyse par participant était significative). Ces résultats n’ont pas

permis aux auteurs de conclure en faveur ou en défaveur de l’une des hypothèses testées.

Il faut néanmoins noter que cette expérience rapporte un effet (marginal) de l’orthographe.

39 Le lemma est une « représentation mentale abstraite correspondant à une entité non phonologiquement

spécifiée d’un mot. Le lemma donne des informations sur la syntaxe d’un mot comme sa catégorie

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Bien que Bonin et al. (1997) ont souligné la difficulté à interpréter cet effet, ils indiquaient

que cela suggère que les codes orthographiques pourraient être activés à l’oral.