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La syllabe orthographique, une illustration de l’autonomie des codes orthographiques . 42

CHAPITRE 1 :L’INFLUENCE DE L’ORAL SUR L’ECRIT

5. Syllabe phonologique ou orthographique ? Une illustration du débat entre médiation

5.2. La syllabe orthographique, une illustration de l’autonomie des codes orthographiques . 42

Les études précédentes révèlent l’importance de la syllabe en production écrite.

Néanmoins, ces études n’ont jamais questionné la nature de cette unité syllabique,

transférant directement la syllabe phonologique utilisée à l’oral en production écrite.

Pourtant, dès 1990, Caramazza et Miceli, sur la base des observations réalisées sur le patient

LB

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, ont déjà proposé l’idée d’une syllabe orthographique (graphosyllabe). Si cette absence

de considération ne remet pas en cause l’existence de la syllabe en production écrite, puisque

dans l’ensemble des expériences présentées précédemment le découpage syllabique ne

change pas qu’il soit phonologique ou orthographique, elle ne permet pas non plus de statuer

sur la nature de la syllabe. Pourtant, comme indiqué par de nombreuses recherches, les

caractéristiques de la syllabe (e.g. la fréquence de la syllabe, le nombre de syllabes) ont

également un impact sur la production écrite. Il est donc tout à fait possible que la nature

phonologique ou orthographique de la syllabe ait également un impact sur la production

écrite. Afonso et Álvarez (2011) en espagnol ont par exemple mis en évidence un effet de

fréquence syllabique sur la copie de mots. Concrètement, les lettres appartenant à une même

syllabe fréquente étaient plus rapidement associées qu’elles ne le sont dans une syllabe peu

fréquente. Ces effets ont toutefois été modulés par Zhang et Wang (2014) qui ont montré

qu’en chinois Mandarin le choix de la triple copie influençait l’apparition de cet effet.

Lambert, Kandel, Fayol et Espéret (2008) ont également mis en évidence un effet du nombre

20 L’analyse des erreurs produites par le patient LB (Caramazza et Miceli, 1990) révèle des erreurs de

substitution (e.g. natuva au lieu de natura) et des échanges de lettres (e.g. mudolo au lieu de modulo) qui respectent à la fois la structure syllabique du mot (e.g. ici CVCVCV) ainsi que le statut consonne ou voyelle

des lettres substituées (e.g. v au lieu de r) ou inversées (e.g. u et o dans modulo). Ces patterns d’erreurs

semblent indiquer que, non seulement le statut des lettres dans le mot (voyelle ou consonnes) serait stocké, mais que la structure de la syllabe le serait également.

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de syllabes sur les latences d’écriture chez des adultes français. Plus le nombre de syllabes

est grand, plus les latences sont longues. Ce résultat a été répliqué par Sausset, Lambert et

Olive (2013) et par Sausset, Lambert, Olive et Larocque (2014), mais uniquement avec une

écriture script minuscule.

L’effet du nombre de syllabes est directement à rapprocher de la question de la

syllabe orthographique. Si le découpage syllabique est pratiquement toujours identique qu’il

soit fait sur la base phonologique ou orthographique, il existe néanmoins en français un

certain nombre de situations où ces deux découpages sont différents (e.g. table a une syllabe

phonologique – table – et deux syllabes orthographiques – ta.ble). Ainsi, il est possible

d’envisager que la nature de la syllabe, phonologique ou orthographique, ne conduise pas

aux mêmes prédictions sur le nombre de syllabes traitées pendant la latence et donc à terme

sur la durée de la latence. Pour aborder cette question, quelques chercheurs ont proposé de

manipuler une particularité de la langue française, la présence de lettres muettes. Lambert,

Sausset et Rigalleau (2015) ont ainsi demandé, dans une première expérience, à des

participants de copier trois fois chaque mot qui leur était présenté. Les mots étaient

sélectionnés de sorte qu’ils soient bisyllabiques d’un point de vue phonologique, mais

trisyllabiques d’un point de vue orthographique – condition avec e muet (e.g. cul.ture –

cul.tu.re), bisyllabiques orthographiquement et phonologiquement (e.g. con.cert), ou

trisyllabiques orthographiquement et phonologiquement (e.g. ma.ga.sin). Les auteurs ont

tout d’abord observé des latences

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plus longues pour les mots trisyllabiques que pour les

mots bisyllabiques. De plus, les mots bisyllabiques (orthographiquement et

phonologiquement) étaient produits avec des latences plus courtes que les mots avec un e

muet (phonologiquement bisyllabiques et orthographiquement trisyllabiques). À l’inverse,

aucune différence n’était observée dans les latences entre les mots trisyllabiques

(orthographiquement et phonologiquement trisyllabiques) et les mots avec un e muet

(phonologiquement bisyllabiques et orthographiquement trisyllabiques). L’ensemble de ces

résultats semblent indiquer que les mots avec un e muet sont traités comme des mots de trois

syllabes et, par conséquent, qu’ils sont segmentés sur une unité syllabique orthographique.

Les auteurs ont observé un résultat similaire dans une seconde expérience en manipulant la

21 Pour les deux études, la première latence est systématiquement plus longue que les deux suivantes et elle

ne montre aucun effet. Aussi, lorsque les latences sont mentionnées par la suite, il s’agit uniquement de la

deuxième latence (temps entre la fin de la copie du premier mot et le début de la copie du second mot) et de la troisième latence (temps entre la fin de la copie du deuxième mot et le début de la copie du troisième mot).

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présence d’un e muet en milieu de mot. Lambert et Quémart (2015) ont répliqué ces résultats

en observant à nouveau l’usage d’une syllabe orthographique dans la segmentation

d’adjectifs. Une pause plus longue était observée à la frontière syllabique entre la lettre i et

la lettre r dans « noi.re » par rapport à la même frontière dans « noi.r ». L’unité syllabique

sur laquelle l’écriture repose serait donc orthographique.

La présence d’une syllabe orthographique a également été démontrée chez les

enfants. Kandel, Hérault, Grosjacques, Lambert et Fayol (2009) ont pour cela demandé à des

enfants de CE2, CM1 et de CM2 de copier des mots dans une écriture cursive. Les mots

copiés étaient : soit phonologiquement monosyllabiques et orthographiquement

bisyllabiques – avec e muet (e.g. barque – bar.que), soit phonologiquement et

orthographiquement bisyllabiques – sans e muet (e.g. bal.con). La durée d’écriture de chaque

trait

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et la fluence de ces traits étaient analysées (Figure 4). Pour cela, les mots étaient

segmentés en lettres. L’analyse de la durée des traits a révélé une augmentation de cette

durée due à la frontière syllabique pour les mots sans e muet mais aussi pour les mots avec

un e muet et ceci, quel que soit le niveau scolaire de l’enfant. Concernant la fluence

d’écriture, une augmentation de la durée du trait a été retrouvée à la frontière syllabique pour

les deux types de mots. Les mots avec un e muet (phonologiquement monosyllabiques et

orthographiquement bisyllabiques) ayant la même segmentation que les mots sans e muet

(phonologiquement et orthographiquement bisyllabiques), cela suggère que les mots avec

un e muet seraient traités comme des mots de deux syllabes. La segmentation des syllabes

est donc orthographique dès le CE2 et le reste pendant l’automatisation de l’écriture en CM1

et en CM2. Ainsi, bien qu’il existe pour le moment très peu de recherches sur la question,

les premiers résultats semblent tous indiquer l’existence d’une syllabe orthographique, ce

qui refléterait la (relative) autonomie de la récupération des codes orthographiques par

rapport à la phonologie.

22Il s’agit d’un trait constitutif d’une lettre ce qui est délimité par la présence de ralentissements successifs

dans l’écriture avant et après ce trait. Si l’on prend l’exemple de la lettre a, elle est constituée de quatre traits.

Un premier trait est descendant pour commencer la boucle du a, puis le deuxième ascendant pour terminer de former la boucle du a, un troisième redescend pour former une pente qui termine de former la lettre et enfin une dernière courbe ascendante est tracée pour lier la lettre à la suivante.

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6. Conclusion