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Survol de la documentation

Chapitre 4 L’anémie falciforme: une cause peut-elle changer la perception des

4.5 Les communautés noires et le don de sang

4.5.1 Survol de la documentation

Quelques dizaines d’ouvrages et articles scientifiques traitent des populations noires et du don de sang dans différents pays46. Nous avons déjà mentionné au premier chapitre que les personnes issues de minorités ethnoculturelles donnent proportionnellement moins de sang que la majorité blanche, ce qui s’avère aussi être le cas des Africains- américains (Gillum et coll., 2008; Murphy et coll., 2009). Shaz et coll. (2009) précisent même que 2,4 % des Africains-Américains donnent du sang en comparaison avec 4,2 % des Blancs (Whites) au niveau national et donnent l’exemple de la région métropolitaine de la ville d’Atlanta où les Blancs donnent 73 % des produits sanguins alors qu’ils représentent 53 % de la population, tandis que les Africains-Américains, qui constituent 35 % de la population, contribuent à la hauteur de 14 %. La population afro-américaine

46 Pour cette revue de documentation, nous avons retenu une cinquantaine de références depuis 1989

qui ont été choisies selon leur pertinence et le nombre de citations. Parmi celles-ci, certains ont comme sujet d’autres biomatériaux, comme le sang de cordon ou bien le don d’organes (treize) : ces écrits nous donnent une perspective plus large sur la problématique et raffinent notre compréhension

semble pourtant aussi motivée que le groupe majoritaire à donner du sang pour venir en aide aux autres (Glynn et coll., 2002 et 2006). Shaz et coll. (2010) constatent que la deuxième motivation des Africains-américains chrétiens de la région métropolitaine d’Atlanta émane d’une demande directe formulée par un proche. Rappelons que Shaz et coll. (2009) trouvent que les Africains-américains portent plus d’importance que la société majoritaire à la commodité de l’emplacement de la collecte, la confidentialité durant le processus de sélection et au fait de donner du sang à une personne souffrant d’anémie falciforme. Ce dernier point, comme nous l’avons soulevé au premier chapitre, a également été corroboré par Mathew et coll. (2007) qui relatent que les personnes de ce groupe sont plus enclines à donner aux membres de leur communauté. Ils ont aussi plus tendance à considérer le bilan de santé (health screen) comme une motivation au don de sang que la majorité blanche.

Parmi les raisons de ne pas donner de sang, l’on retrouve, entre autres : la peur des aiguilles, le mal et l’inconfort (36 %), la peur, la nervosité de donner du sang (35 %) et la peur de perdre connaissance, se sentir étourdi ou souffrant (33 %) (Shaz et coll., 2010). Les Africains-américains sont aussi plus nombreux à se plaindre de l’accueil de la part du personnel de collecte (Schreiber et coll., 2006; Nguyen et coll., 2008; Shaz et coll., 2009). Selon James et coll. (2012), les Africains-américains (36 %) sont moins éligibles à donner du sang que les Blancs (46 %) et les Latino-américains (41 %) pour diverses causes médicales ce qui expliquerait, en partie, le plus faible taux de don de cette population. Deux recherches de Price et coll. (2006 et 2009) révèlent qu’une sensibilisation à l’anémie falciforme peut encourager les non-donneurs africains-américains à faire un premier don. La première étude (2006) d’une durée d’un an réfère à une vidéo éducationnelle sur l’anémie falciforme et l’importance du don de sang qui a été envoyée à plus de 5000 foyers africains-américains : six mois suivants sa diffusion, le taux de premiers donneurs a augmenté de 64 % dans le secteur, comparé aux premiers six mois de l’année précédente, mais dès le deuxième intervalle de six mois de l’étude, les chercheurs notent un déclin et finalement, aucune différence n’est discernée au courant des deux intervalles de six mois suivants l’année de l’étude comparée aux six mois

précédents l’étude. Leur deuxième étude a été réalisée auprès de trente-quatre églises africaines-américaines entre 2003 et 2006. Une vidéo éducationnelle sur l’anémie falciforme a été diffusée et a été suivie d’une collecte de sang organisée par chacune des églises : les auteurs rapportent que ce programme éducationnel a permis de quadrupler le taux de premiers donneurs en quatre ans même si, selon leur propre analyse, ce taux reste relativement bas comparativement à la taille des congrégations religieuses. Les auteurs suggèrent de mener d’autres études afin de voir à la fidélisation de ces nouveaux donneurs.

Les enquêtes en Afrique nous rappellent que les préoccupations de ces pays restent centrées autour de questions sanitaires, d’infrastructures et d’organisation (Enosolease et coll., 2004; Fleming, 1997; Schneider, 2012; Tagny et coll., 2009a et 2009 b) : la volonté de transition vers un système de don volontaire et non rémunéré proposé par l’OMS, perçu comme plus sécuritaire, est une question centrale dans ces pays où le don de remplacement et/ou le don rémunéré sont encore très présents. Selon Rojo et Arroyo (2012), la Jamaïque, la Barbade et Trinité-et-Tobago affichent, de 2006 à 2008, des taux de don de remplacement atteignant entre 84 %-87 % contre seulement 13 %- 15 % pour les dons volontaires. Quant à Haïti, le don de sang volontaire semble maintenant plus fréquent (70 %) que le don de remplacement (30 %). En comparaison avec les Caraïbes, Enosolease et coll. (2004) constatent qu’au Bénin, seulement 4,7 % des dons de sang provient du don volontaire et de remplacement contre 95,3 % pour les dons rémunérés. Historiquement, Scheider (2012) note que la rémunération du don de sang en Afrique était un bénéfice d’envergure vu la grande pauvreté que l’on y retrouvait. Parmi les obstacles au don de sang, les questions d’inquiétude envers la qualité de la régénération du sang et la perte d’énergie associée au don sont présentes en Afrique (Duboz et coll., 2010; Umeora et coll., 2005) tandis qu’à Trinité-et-Tobago, le manque de sensibilisation et d’information constitue un frein au don de sang et aurait besoin d’être amélioré (Charles et coll., 2010; Sampath et coll., 2007).

Au premier chapitre, nous avons déjà fait constat des études réalisées au sein des communautés ethnoculturelles dans les pays occidentaux, entre autres, celle de Brijnath

et coll. (2012) sur les immigrants africains en Australie et celle de Grassineau et coll. (2007) au sujet de la communauté comorienne à Marseille. Rappelons que ces auteurs notent l’importance des représentations culturelles du sang et soulignent qu’il existe des différences marquantes entre ces représentations, la connaissance des systèmes d’approvisionnement du pays hôte et les pratiques de sang selon les générations. En France, Grassineau et coll. (2007) estiment que la médiation culturelle avec l’aide d’acteurs locaux propres aux communautés peut favoriser un rapprochement et encourager le don de sang. Le même constat est fait en Grande-Bretagne par Hudson et Johnson (2004).

Selon l’étude de Duboz et coll. (2010b) sur les donneurs d’origine maghrébine et africaine subsaharienne en France, le sentiment de citoyenneté est un facteur qui influe sur le don de sang. D’autres études indiquent que le sentiment d’appartenance au pays hôte joue un rôle important. En Australie, les études de Polonsky et coll. (2011 et 2011b) révèlent que la perception de discrimination et le sentiment d’exclusion est un obstacle au don de sang : les Noirs croient que leur sang ne sera pas accepté.

Nous avons mentionné au premier chapitre qu’il existe, pour les Noirs, une méfiance historique envers le corps et la recherche scientifique biomédicale, ainsi qu’une perception de discrimination et de racisme liée au système de santé. La confiance du citoyen envers ses institutions publiques est vraisemblablement marquée par les expériences passées dans le milieu médical et la perception du racisme et de la discrimination. Dans la section précédente, nous avons noté que les Caribéens anglophones montréalais ont été inspirés par le vécu des Africains-américains et leurs luttes. Les jeunes jamaïcains de deuxième génération interviewés dans l’étude de Labelle et coll. (2001) laissent entendre que les États-Unis restent encore un modèle de référence et un lieu d’influence. Nous verrons, dans la prochaine section, comment les enjeux feront en sorte qu’on ne peut aborder la question du recrutement de nouveaux donneurs dans les communautés noires de la même manière que pour d’autres communautés, ajoutant, de ce fait même un degré de complexité à l’équation.