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Chapitre 1 – Problématique et enjeux conceptuels

1.5 Ethnicité et don de sang

1.5.2 Le niveau mésosocial

Pour recruter davantage de donneurs de sang parmi les membres de communautés ethnoculturelles, les organismes responsables doivent définir des cibles prioritaires, comme le suggèrent Brijnath et coll. (2012), et des stratégies qui leur sont adaptées. L’analyse des flux migratoires montre que ceux-ci subissent des fluctuations en regard de la diversité des pays d’origine des nouveaux arrivants. Ces flux nous renseignent à la fois sur la taille des populations concernées et sur l’ancienneté des vagues

d’immigration : deux éléments importants pour assurer la présence de groupes ethniques organisés dans le pays d’accueil et de la présence des « deuxième ou troisième générations », potentiellement plus enclines à participer à des activités citoyennes pour lesquelles elles auraient été socialisées dans les institutions de la société majoritaire, comme l’école.

L’inventaire des principaux pays d’immigration sert aussi à repérer les sources d’influence potentielle provenant des références nationales sur les pratiques d’approvisionnement en produits sanguins – qui peuvent mettre en concurrence le système de don volontaire, le don de remplacement, rémunéré ou avec compensation, le don patriotique, de solidarité communautaire ou en hommage aux martyrs – ainsi que les représentations culturelles et religieuses sur la symbolique du sang (famille/lignée/étranger). La connaissance des causes historiques, politiques, sociales et personnelles qui ont justifié le départ des migrants de leur pays d’origine est aussi nécessaire pour anticiper le niveau de difficulté d’intégration dans le pays d’accueil et, ainsi, la possibilité qu’un jour, le don de sang monte dans l’ordre des priorités d’action d’un individu ou d’un groupe.

Mieux connaître les communautés ethnoculturelles présentes dans la société d’accueil est également un préalable pour toute démarche éventuelle de collaboration avec des associations locales qui les représenteraient, précisément pour juger de leur capacité représentative. Certaines communautés sont très fragmentées sur le plan linguistique, économique, politique, religieux, sur celui des classes sociales ainsi que selon les régions d’origine (urbaine/rurale). Il faut toujours questionner la position et la qualité représentative des élites et leaders autoproclamés, qui sont ceux avec lesquels les contacts avec la société majoritaire sont les plus fréquents et à qui on peut demander de devenir les porte-parole de la cause du don de sang.

Connaître les communautés ethnoculturelles, c’est aussi pouvoir les situer dans le cadre des rapports entre majorité et minorités. Les marqueurs revendiqués (langue, religion, style de vie, projet politique) par certains groupes peuvent parfois être proches de ceux de la majorité. À l’opposé, ils peuvent en être très éloignés. Il sera plus facile de

construire une relation de collaboration sur des intérêts communs, mais si l’histoire des rapports majorité/minorités est ponctuée d’épisodes de racisme et de discrimination qui se transmettent dans la mémoire des générations, le travail de rapprochement demandera des efforts bien plus grands.

Pourquoi collaborer à des collectes de sang ? Pourquoi une association serait-elle intéressée à faire la promotion du don de sang auprès des membres de la communauté ethnoculturelle qu’elle représente ? Ces questions nous ramènent au cœur des raisons d’existence de ces groupes et des fonctions qu’elles estiment assumer, et encore plus, des motivations stratégiques qu’elles peuvent avoir en collaborant avec une organisation représentative de la société majoritaire. Est-ce un geste naturel pour une communauté qui s’estime bien intégrée et veut remplir les devoirs civiques que cela implique ? Y a-t-il une attente de reconnaissance sociale de la communauté ou, plus modestement, de confirmation de la légitimité de l’association volontaire ? Est-ce que le groupe se reconnaît simplement dans les valeurs associées au don (charité, générosité), comme ça pourrait être le cas pour une communauté religieuse ? Est-ce un geste tourné vers la communauté elle-même, par exemple, pour aider à surmonter les problèmes médicaux qui lui sont propres ? Le repérage de ces motivations informe aussi sur les stratégies à retenir pour inciter les groupes à participer à l’objectif de recruter plus de donneurs issus de ces communautés et pour mieux définir les rôles qui en sont attendus, de même que la nature des relations qui s’établiront sur la frontière entre les communautés et les agences d’approvisionnement.

1.5.3 Le niveau microsocial

Le don de sang est un geste individuel, même s’il peut s’effectuer dans un contexte collectif, comme lorsqu’une association ethnique participe à l’organisation d’une collecte. Il est le résultat d’une décision individuelle qui subit de nombreuses influences. Le pays d’origine pourra éventuellement fournir un point de repère potentiel pour comparer les systèmes d’approvisionnement ou pour partager des représentations culturelles du sang. La durée de présence dans la société d’accueil informera sur l’étape

à laquelle un immigrant pourrait être rendu dans son processus d’insertion, considérant probable que le don de sang ne soit pas une priorité des premiers moments. L’âge à l’arrivée dans le pays est tout aussi important : cela permet de savoir si l’individu a fréquenté les institutions socialisatrices de la majorité – ce qui sera aussi le cas pour un enfant né au Québec de parents immigrants (deuxième génération). Quelles sont ses caractéristiques personnelles ? Fait-il partie de l’élite ? A-t-il connu une mobilité sociale importante depuis son arrivée au pays ? Cela le placera aussi plus près de la majorité et, éventuellement, des pratiques citoyennes de celle-ci.

Dans une perspective constructiviste de l’ethnicité, se placer du point de vue de l’individu, c’est repérer sa dynamique d’identité et d’appartenance. Quel héritage revendique-t-il de la culture de ses ancêtres ou de la mémoire de son groupe ethnique d’appartenance, qui pourrait influencer ses représentations du sang et du don de sang ? Est-ce que son réseau personnel est ethnicisé ? Si c’est le cas, il pourrait être influencé par les normes communautaires partagées au sein de son groupe, que ce soit la méfiance à l’égard de la science ou des institutions médicales ou, à l’opposé, la connaissance qu’un proche ou une connaissance a particulièrement besoin de transfusions sanguines de personnes de sa propre communauté. A-t-il subi des expériences de racisme et de discrimination qui pourraient l’éloigner de toute action associée à la société majoritaire ? Effectue-t-il des voyages ponctuels dans le pays de ces ancêtres… qui pourraient le voir interdit de don de sang parce qu’il fréquente des lieux où le risque sanitaire est élevé ? Dans les situations de brouillage des appartenances, il faudra pouvoir repérer les groupes qui paraissent les plus influents dans les perceptions individuelles du don de sang.

C’est en répondant à toutes ces questions qu’il sera possible de définir des stratégies efficaces pour augmenter le recrutement de donneurs issus de l’immigration et des communautés ethnoculturelles au Québec. Nous verrons, au prochain chapitre, comment on peut appliquer ces enseignements de façon concrète à partir de l’enquête que nous avons réalisée.

Chapitre 2 – Recruter de nouveaux donneurs de sang issus des

communautés ethnoculturelles