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Identifier les standards de référence pertinents pour le processus

Chapitre 1 – Problématique et enjeux conceptuels

2.4 Identifier les standards de référence pertinents pour le processus

Avant même de cibler des groupes ethniques qui pourraient faire l’objet de stratégies spécifiques, quatre questions se posent : 1) quelles sont les priorités médicales des organismes responsables ?; 2) quelles interdictions, temporaires ou permanentes, pourraient constituer un frein au recrutement d’un groupe spécifique ?; 3) jusqu’à quel point les organismes sont disposés à intégrer, dans la définition même de leurs stratégies, des considérations différentes des principes qui sous-tendent le modèle

12 Selon les données qu’Héma-Québec a compilées sur les donneurs prélevés depuis 2009 qui ont

universaliste du don individuel, libre, altruiste et anonyme ?; 4) de même, jusqu’à quel point pourront-ils tenir compte de représentations symboliques du sang qui s’éloignent de celles qui font la promotion du sang comme substance biologique neutre et « désenchantée » (Attali, 2004) ?

La revue des priorités médicales et des règles qui visent à assurer l’innocuité des produits sanguins devraient permettre d’établir un certain ordre de priorités parmi les groupes à cibler, car il est évident qu’un établissement ne peut se lancer dans de telles activités de recrutement ciblées en s’intéressant à tous les groupes à la fois (Brijnath et coll., 2012).

Il est assez probable que les établissements choisiront d’abord de prioriser des cibles qui permettront de répondre aux besoins médicaux qui exigent des produits sanguins spécifiques. Si c’est d’abord la population noire qui est ciblée ici, il faudra tout de même réaliser une analyse plus complète pour savoir si d’autres groupes doivent aussi faire l’objet de stratégies ciblées. C’est d’ailleurs ce que le plan d’action rédigé par le comité spécial de l’ISBT propose de faire (EBA, MIMI, 2013).

À l’opposé, il faut probablement éviter d’encourager le recrutement de personnes qui ont migré de pays où les exclusions permanentes au don de sang sont largement répandues, alors qu’elles seront probablement refusées lorsqu’elles se présenteront aux collectes (Schreiber et coll., 2006). De grandes frustrations peuvent être engendrées par de tels messages contradictoires. On sait, par exemple, que la malaria est présente dans une centaine de pays, mais on la retrouve de façon plus concentrée en Afrique (40 pays), ainsi qu’en Chine ou au Vietnam. Les interdictions permanentes concernent aussi les personnes qui ont migré d’Europe de l’Ouest, en particulier de la France et de l’Angleterre, à cause de la maladie de Creutzfeld-Jacob (vMCJ). Or, au cours de la dernière décennie, la France est demeurée en tête des pays d’où proviennent le plus d’immigrants qui s’installent dans la région de Montréal.

Cette réflexion devra aussi prendre en considération les habitudes de voyage fréquent dans les pays d’origine soumis à des interdictions temporaires de la part de membres de

certains groupes ethniques, une fois qu’ils sont installés dans leur pays d’accueil. Le retour au pays des « ancêtres » est par exemple, assez fréquent dans certaines communautés latino-américaines. La maladie de Chagas est répandue dans plus de vingt pays d’Amérique latine. Devrait-on quand même chercher à recruter des donneurs provenant de cette communauté ?

Les organismes responsables de l'approvisionnement en produits sanguins doivent ensuite se demander s’ils sont disposés à intégrer, dans la définition même de leurs stratégies, des considérations différentes des principes qui sous-tendent le modèle universaliste du don individuel, libre, altruiste et anonyme. Ils devront aussi reconnaître l’existence de représentations symboliques du sang qui s’éloignent de celles qui font la promotion du sang comme substance biologique neutre et « désenchantée ». Dans les deux cas, les établissements seront contraints à faire des choix pour définir les stratégies d’approche des groupes ciblés, mais leur direction doit aussi pouvoir diffuser des consignes claires aux employés qui ont la charge d’organiser des collectes en partenariat avec des associations ethniques et religieuses, car ce sont ces employés qui négocient directement les conditions pratiques dans lesquelles vont s’organiser ces collectes. Les consignes sont tout autant pertinentes pour les employés des collectes qui sont en interaction directe avec les donneurs potentiels et qui doivent répondre à des questions qui pourraient précisément concerner des conceptions différentes de la pratique du don de sang. (Charbonneau et Daigneault, 2013).

Les établissements doivent donc se positionner stratégiquement entre les approches les plus standards – celles qui sont déjà utilisées avec la population majoritaire – et celles qui tiendraient compte des représentations culturelles, sociales et religieuses de groupes ethniques qui se distinguent précisément de la majorité par des marqueurs spécifiques dans ces domaines. Jusqu’à présent, il n’était pas apparu nécessaire de s’éloigner des messages standards et conformes aux principes universalistes. À partir du moment où une organisation s’engage dans le développement de stratégies pour des groupes ciblés, il est bien difficile d’éviter ce débat.

 Les organismes responsables de l'approvisionnement en produits sanguins seront-ils favorables à l’idée que le don de sang n’est pas toujours un geste individuel et libre, mais qu’il puisse être motivé par un sentiment d’obligation et de devoir ou encore par des pressions collectives ?

 Jusqu’à quel point ces organismes seront-ils prêts à collaborer avec une association qui fait davantage la promotion de motivations politiques, religieuses ou d’intérêts purement stratégiques, en termes de visibilité sociale par exemple, pour collaborer à l’organisation d’une collecte, alors qu’on défend l’idée que le don de sang doit être motivé par une volonté de participation citoyenne désintéressée ?

 Est-ce que ces organismes s’engageront dans des stratégies de promotion du don de sang qui mettront de l’avant le fait que le sang prélevé pourrait profiter à un groupe spécifique – un don qui circulerait à l’intérieur d’une communauté – alors qu’elles défendent les principes du don anonyme et de la réserve collective qui profite à tous, indifféremment des origines ?

 Seront-ils prêts à accepter cette idée, largement répandue dans de nombreuses sociétés, que l’échange de sang crée une parenté fictive ? Qu’il est important de rassurer les donneurs que le sang ne quittera pas le « tube », ce qui lui évitera de devenir impur ou de prendre le temps de leur rappeler que le sang régénéré n’est pas de moindre qualité que celui qui a été prélevé ?

 Quels compromis seront acceptables lors de l’organisation des collectes, pour respecter des consignes religieuses (par exemple de séparer hommes et femmes, dans des collectes organisées en collaboration avec des associations musulmanes) ?

 Sera-t-il nécessaire de développer un protocole spécifique pour gérer la confidentialité des exclusions dans des collectes collectives, où un tel refus pourrait avoir des conséquences discriminatoires subséquentes pour celui qui y est exposé ?

C’est en répondant à ces questions que les établissements pourront définir leur niveau de confort à tenir compte de principes qui s’éloignent des standards dont les organisations internationales font la promotion. Quand les priorités de recrutement parmi les groupes ethniques auront été établies et des questions que nous venons de présenter auront été répondues, il sera temps de passer à l’étape suivante.

2.5 Choisir l’approche qui répond le mieux aux besoins et critères de