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Les enjeux des communautés noires caribéennes

Chapitre 4 L’anémie falciforme: une cause peut-elle changer la perception des

4.4 Les enjeux des communautés noires caribéennes

Selon Portes et Zhou (1993), la qualité de l’accueil par la société civile est un facteur à considérer dans le processus d’intégration des immigrants. Celle-ci peut se mesurer, entre autres, en référence aux modalités de l’insertion en emploi. Dans le Tableau 10,

nous notons que les taux d’activité de la population haïtienne, jamaïcaine, et trinidadienne sont supérieurs à la moyenne. Leur taux de chômage est cependant plus élevé et leurs revenus moyens sont inférieurs à la moyenne. Parmi les principaux secteurs d’emploi, celui des soins de santé et de l’assistance sociale arrivent au premier rang (ENM, 2011).

Tableau 6 : Tableau comparatif des caractéristiques socio-économiques pour les communautés d’origine haïtienne, jamaïcaine et barbadienne

Haïtienne Jamaïcaine Barbadienne Trinidadienne

Ensemble de la population québécoise Taux d'activité 67,5 % 64,6 % 55,2 % 66,2 % 64,6 % Taux d'emploi 59 % 57,1 % 47,5 58,3 % 59,9 % Taux de chômage 12,5 % 11,5 % 13,9 % 11,9 % 7,2 % Revenu moyen* 23 044 $ 23 514 $ 27 199 $ 26 934$ 32 074 $ Revenu médian* 18 303 $ 19 467 $ 23 536 $ 21 573$ 24 430 $ Taux n'ayant pas

dépassé le diplôme d'études secondaires

44 % 51 % 50 % 40 % 44 %

Taux détenant un grade universitaire ou supérieur 16 % 13 % 14 % 19 % 19 % Principal secteur industriel d'activité: Soins de santé et assistance sociale # 1 (24 %) # 1 (19 %) # 1 (17 %) # 1 (17 %) 12 %

Sources : ENM, 2011, compilation spéciale. *Portraits statistiques, MICC, 2010

L’étude de Locher (1984) montre que l’écart entre les Caribéens anglophones et l’ensemble des anglophones à Montréal sur le plan socio-économique existe depuis très longtemps; les Noirs anglophones sont largement représentés dans la classe populaire, alors que la population anglophone se situe majoritairement dans la classe moyenne. Selon des données compilées par Statistique Canada en 2001, 45 % des Canadiens d’origine haïtienne et 51 % des Canadiens d’origine jamaïcaine avaient déclaré avoir déjà été victimes de discrimination ou de traitements injustes et la majorité l’attribuait à

leur race ou la couleur de leur peau. Plus de la moitié d’entre eux – près de 70 % pour les Jamaïcains – affirmaient avoir vécu ce traitement dans des circonstances liées à l’emploi. (Lindsay, 2007g). Dans le rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui visait à mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées39 dans la grande région de Montréal, les chercheurs ont trouvé qu’à compétences égales, un candidat de la société majoritaire qui envoie son CV à un employeur potentiel a 1,8 fois plus de chance de se faire inviter à un entretien que le candidat à l’embauche ayant un nom à consonance africaine40. Comparé au candidat au nom arabe (1,65) ou latino-américain (1,47), le candidat noir est plus désavantagé. Pour les emplois qualifiés, le rapport indique également un taux de discrimination plus élevé pour les candidats noirs (38,3 %) que pour les candidats arabes (33,3 %) ou latino- américains (30,6 %) (CDPDJ, 2012).

Avant l’emploi, le premier milieu d’accueil est celui de l’école. Depuis le début des années 1980, diverses enquêtes ont été réalisées auprès de jeunes issus des communautés ethniques, et en particulier auprès des jeunes haïtiens. En 1989, Tchoryk- Pelletier publie les résultats d’une enquête réalisée dans un cégep francophone, le cégep St-Laurent, sur les difficultés d’adaptation des cégépiens des minorités ethnoculturelles41. Les résultats montrent que les élèves haïtiens ont le taux d’échec le plus élevé, tant par rapport aux autres minorités, que par rapport à la majorité. Ils ont le rendement le plus faible, dès le premier trimestre, ce qui fait dire à l’auteur : « les difficultés scolaires que vivent les élèves haïtiens aux niveaux primaires et secondaires […] semblent se perpétuer, d’une certaine façon, au niveau collégial » (p. 60). En 1992,

39 La discrimination raciste à l’embauche sera entendue ici comme toute décision d’un recruteur

d’écarter une candidature, intentionnellement ou non, sur la base de l’origine, de la « race » ou de la couleur d’un candidat, et ayant pour effet de priver la ou les personnes visées des mêmes chances que les autres candidats d’être évalués sur la seule base de leurs qualifications, de leurs compétences et de leurs expériences pertinentes (CDPDJ, 2012 , p.2).

40 « proxy » pour la catégorie « noire » de l’étude.

41 Des données sont recueillies sur l’ensemble des collégiens haïtiens (196/3551), en plus d’un sondage

réalisé auprès de 99 d’entre eux (sur 513 participants au sondage). Les trois quarts des Haïtiens du Cégep St-Laurent sont au Québec depuis plus de 5 ans, mais presque tous sont nés en Haïti.

Ledoyen confirme ces résultats42. Le taux d’abandon des cégépiens haïtiens est deux fois plus élevé (32 %) que dans le groupe de référence (17 %), alors que les Noirs anglophones se situent dans la moyenne. Dans l’enquête de Ledoyen, 96 % des jeunes haïtiens interrogés sont nés en Haïti et 89 % ont déclaré le créole comme leur langue maternelle.43 Plus récemment, McAndrew et coll. (2006, 2008 et 2009) ont noté que les immigrants caribéens dont la langue maternelle est le français ont des résultats dans la moyenne, mais que les créolophones sont, avec les anglophones originaires des Antilles, ceux qui présentent les taux de diplomation les plus faibles au secondaire (39, 5 %, pour une moyenne de 57,8 % après cinq ans d’études (McAndrew et coll., 2008). Au cégep, les Haïtiens, quelle que soit la langue maternelle, auraient plus de difficultés à terminer leurs études collégiales que les autres. Dans le Tableau 10, nous constatons qu’il existe également un écart important du taux de diplomation postsecondaire pour les personnes d’origine ethnique jamaïcaine; 51 % de ces dernières n’ont pas dépassé le diplôme d’études secondaires contre 44 % pour l’ensemble de la population québécoise.

Selon Laperrière (1998), les adolescents haïtiens font le constat d’une exclusion grandissante qui les pousse vers les gangs, où ils trouvent un environnement propice à leur affirmation identitaire. Les relations avec la police sont aussi tendues. Les jeunes Haïtiens s’estiment plus souvent sujets à des arrestations. Le document de consultation sur le profilage racial de la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse soulève qu'en 2006-2007, les Noirs forment 29,1 % des personnes interpellées et 17,1 % des personnes arrêtées, alors qu’ils ne constituent que 7 % de la population

42 Elle a comparé la situation de 273 noirs francophones sur 2200 entrevues réalisées auprès de

membres de huit communautés ethniques minoritaires.

43 Dans le Tableau 9, on remarque que selon les données de l’ENM 2011, 41 % des personnes s’étant

montréalaise (Journal le Métro cité dans CDPDJ, 2010). Une autre problématique touche particulièrement les jeunes caribéens : un taux de chômage particulièrement élevé44. C’est sur la question de la discrimination que les associations caribéennes ont fait front commun à quelques reprises, plus particulièrement dans les actions concertées qui faisaient référence à des instances où la revendication de l’identité noire était en jeu. Ceci renvoie d’ailleurs à la thèse de la mobilisation politique mentionnée au premier chapitre. Cependant, de tels rassemblements au fil des années ont été plutôt ponctuels. Quelques « bavures policières » les ont rassemblées au fil des ans (Potvin, 1997)45. Les auteurs notent par contre que ces deux grandes communautés caribéennes ont déjà travaillé pour d’autres causes communes comme les programmes d’accès à l’égalité en emploi, l’entreprenariat, etc. Pour sa part, Torczyner et coll. (2001) soulignent les difficultés qu’ont ces deux groupes distincts de communiquer et de s’organiser alors qu’ils ne sont pas suffisamment bilingues. Le fait d’être géographiquement implantés dans des quartiers distincts de Montréal n’a certes pas aidé au rapprochement (Dejean, 1978).

Que retenir des enjeux qui touchent les communautés noires et comment peuvent-ils influencer le don de sang ? Le don de sang volontaire et altruiste est un geste citoyen. Lorsque Héma-Québec ou d’autres organismes sembalbles interpellent les membres de la collectivité afin qu’ils donnent leur sang, elles supposent que le sentiment d’appartenance à cette collectivité sera suffisamment ancré en eux pour les inciter à poser ce geste citoyen. Pour reprendre le vocabulaire constructiviste : il faut que la frontière entre les groupes qui composent une collectivité soit la plus poreuse possible.

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Selon les données du recensement de 2006, le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans était de 18,4 % pour les personnes d’origine haïtienne et de 21,6 % chez les jeunes d’origine jamaïcaine par rapport à 12 % pour l’ensemble de la population du même âge.

45 En 1987, Anthony Griffin, un jeune homme de 19 ans d’origine jamaïcaine, non armé, est abattu par

un policier alors qu’il tentait d’échapper à une arrestation. Quant à Marcellus François, 24 ans, d’origine haïtienne, il est abattu en 1991 lors d’une opération policière où il avait été confondu pour un autre suspect noir recherché.

Qu’en est-il quand la discrimination et le racisme marquent la vie quotidienne de certains citoyens ?

De plus, quand on est un immigrant récent, le don de sang n’est pas nécessairement une activité prioritaire, on doit d’abord combler ses besoins les plus urgents : se loger, se nourrir (Duboz et coll., 2010b; Hollingworth et Wildman, 2004). Mais quand l’insertion sociale et économique connait des ratés à long terme, le don de sang peut-il quand même devenir une priorité ?

Finalement, à cause des besoins en sang phénotypé, Héma-Québec, comme d’autres organisations semblables, est placée dans une situation où elle veut recruter des membres des communautés noires. Dans la seconde partie de ce chapitre, nous nous intéressons directement à la question du don de sang chez les communautés caribéennes noires du Québec.